N° 4411
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2021.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative à la levée de l’embargo des États‑Unis contre Cuba afin de permettre l’augmentation des capacités de production de vaccins et les transferts de technologie dans le cadre de la lutte contre la pandémie mondiale de la covid‑19,
présentée par Mesdames et Messieurs
François‑Michel LAMBERT, Jean‑Félix ACQUAVIVA, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, Jean‑Yves BONY, Marie‑George BUFFET, Annie CHAPELIER, André CHASSAIGNE, Jean‑Michel CLÉMENT, Éric COQUEREL, Jennifer DE TEMMERMAN, Frédérique DUMAS, Jean‑Jacques FERRARA, Hubert JULIEN‑LAFERRIÈRE, Sébastien JUMEL, Stéphanie KERBARH, Mustapha LAABID, Jérôme LAMBERT, Michel LARIVE, Jean LASSALLE, Nicole LE PEIH, Jean‑Paul LECOQ, Josette MANIN, Max MATHIASIN, Jean François MBAYE, Monica MICHEL‑BRASSART, Paul MOLAC, Sébastien NADOT, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Xavier PALUSZKIEWICZ, Bertrand PANCHER, Maud PETIT, Loïc PRUD’HOMME, Richard RAMOS, Muriel RESSIGUIER, Fabien ROUSSEL, Sabine RUBIN, Gabriel SERVILLE, Sira SYLLA, Aurélien TACHÉ, Stéphane VIRY,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’immunité collective ne sera pas atteinte en 2021, prévient Soumya Swaminathan, responsable scientifique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Afin d’atteindre l’immunité collective, il faudrait vacciner au moins 70 % de la population mondiale. Cela permettrait de casser la chaîne de transmission du virus, d’éviter l’apparition de nouveaux variants et de mettre fin à la pandémie. Or, en l’état actuel des choses, d’après OXFAM, neuf personnes sur dix dans les pays pauvres n’auront pas accès au vaccin contre la covid‑19 d’ici la fin de l’année. Conjointement, l’apparition de variants plus transmissibles et plus mortels menace la levée des restrictions sanitaires et fait craindre un bilan humain et économique plus grave encore.
L’enjeu du déploiement des vaccins, en particulier auprès des pays défavorisés, est donc urgent et capital. Les taux d’infection explosifs dans de nombreux pays, à l’instar de certaines régions du Brésil, de l’Argentine ou de l’Inde nous le rappelle avec force au quotidien. Œuvrer à la production et la distribution mondiale, effective et équitable des vaccins doit être notre priorité afin de sortir de la crise au plus vite.
À cet égard, si la facilité COVAX ‑ pilier du dispositif Access to covid‑19 tools accelerator (ACT‑A) ‑, favorise la distribution mondiale de doses de vaccins, en ayant par exemple permis de sécuriser deux milliards de doses en cours de distribution, elle ne saurait être suffisante à elle‑seule pour pallier les besoins mondiaux et atteindre l’objectif d’immunité collective. Quant à la levée de la propriété intellectuelle sur les vaccins contre la covid‑19, bien qu’elle doive être encouragée et qu’elle soit engagée après les déclarations de l’Union Européenne et des États‑Unis, elle ne pourra être en aucune manière une solution répondant à l’urgence de la situation sanitaire dans le temps court de l’année 2021. En effet, il s’agit d’un travail de fond, s’inscrivant dans le cadre d’ACT‑A et nécessitant à la fois le recours à des transferts de technologie et à des accords de licence volontaires entre les laboratoires et les unités de production dans les autres pays. Par souci d’efficacité, il convient également de rappeler que les lieux de production des doses de vaccins doivent être au plus près des populations auxquelles elles sont destinées, notamment au sein des pays en voie de développement et plus particulièrement en Afrique et en Amérique latine.
Dans ce contexte, Cuba a déjà été et pourrait être, une nouvelle fois, une force non négligeable dans la lutte contre la pandémie de la covid‑19. Face à la crise mondiale, Cuba s’est engagé dans des actions de solidarité internationale en envoyant à travers les brigades Henry Reeve des centaines de médecins et de personnels soignants dans plus de 35 pays pour répondre à des demandes d’aide immédiate. Ce n’était pas la première fois que Cuba participait à des opérations de coopération médicale. Lors de l’épidémie d’Ébola, les médecins cubains avaient été en première ligne en Amérique latine, en Asie et en Afrique. Les institutions scientifiques de Cuba sont à la pointe dans de nombreux domaines, dont la médecine et la recherche biomédicale. Historiquement très performante dans la création de vaccins ‑ notamment contre l’hépatite B, la méningite B, la dengue et récemment encore contre le cancer du poumon ‑, ses organismes de recherches ont su développer une série de vaccins contre la covid‑19. Deux d’entre eux, Abdala et Soberana2, sont déjà opérationnels et en pleine phase d’utilisation, en premier lieu sur la population cubaine. D’autres, plus spécifiques, sont en phase avancée de validation. Ils concernent les enfants ou la protection renforcée face aux différents variants de la covid‑19. Les premiers vaccins entièrement conçus et produits en Amérique latine seront donc cubains.
Paradoxalement, alors que Cuba participe à l’effort mondial dans la lutte contre la pandémie, et pourrait participer encore davantage avec la production et l’exportation de ses doses de vaccins, elle n’en a pas l’opportunité et peine, en outre, à protéger sa population, cela en raison des difficultés d’accès aux équipements médicaux et pharmaceutiques parfois les plus essentiels. L’embargo américain ‑ blocus en traduction littérale espagnole ‑ que subit Cuba depuis plus de six ans est renforcé encore par l’acharnement obsessionnel de l’administration Trump ayant activé plus de 240 mesures contre elle, soit environ une mesure coercitive tous les trois jours durant son mandat. Cet embargo l’empêche de produire des doses de vaccins à la hauteur de ses capacités. Les lois extraterritoriales, dites loi Helms‑Burton, maintes fois condamnées par la quasi‑unanimité des membres de l’ONU ‑ la France votant systématiquement contre et ce, quelle que soit la majorité au pouvoir ‑, entravent Cuba dans son approvisionnement en matériels médicaux et pharmaceutiques. Les entreprises commerçant avec elle craignent effectivement les sanctions et les représailles financières prises par les États‑Unis à leur encontre. En conséquence, l’embargo réduit significativement la possibilité pour Cuba de disposer d’un environnement socio‑économique favorable à la production et à l’exportation de doses de vaccins efficaces à très bas‑coûts, en particulier vers les pays d’Amérique latine où la situation sanitaire est extrêmement préoccupante. Cet embargo ne permettra donc pas à Cuba d’atteindre l’objectif de 100 millions de doses produites d’ici la fin 2021, dont les deux tiers sont prévus pour être transférés aux pays ne pouvant pleinement protéger leur population contre la covid‑19.
Ainsi, l’insuffisance de doses produites par Cuba, mettant d’une part en danger la population nationale et d’autre part, ne permettant pas une production dont l’excédent serait envoyé auprès des pays les plus démunis face à la pandémie, est avant tout le résultat d’un manque de ressources, l’embargo compliquant l’achat de réactifs, de matériel ou de seringues. Nombres d’organisations civiles, notamment au Chili, en Espagne et en Italie, ont lancé des collectes de fond pour réunir 20 millions de seringues et les envoyer vers l’île, mais cela ne saurait être suffisant. Déjà insoutenable en temps normal, cet embargo a des conséquences sanitaires, économiques et humaines désastreuses pour Cuba ‑ mais également pour ses voisins ‑ en pleine période de pandémie. Il contribue à l’enlisement de la crise mondiale et constitue une atteinte à la dignité humaine à laquelle la France ne saurait rester silencieuse et inactive.
Si la France a joué son rôle dans la lutte mondiale contre la pandémie, tant par ses dons de doses de vaccins que par son travail d’influence pour inciter les membres du G7 et ses partenaires européens à soutenir la facilité Covax, elle doit poursuivre ses efforts et lever tout obstacle ralentissant le déploiement des vaccins auprès des populations les plus précaires. Eu égard à l’urgence et au caractère particulièrement exceptionnel de la pandémie à laquelle doivent faire face tous les pays du globe, il apparait dès lors indispensable que la France use de son influence pour promouvoir la levée de l’embargo contre Cuba auprès de ses partenaires internationaux. Il impute également à la France de fournir les moyens matériels à Cuba pour permettre la production des vaccins contre la covid‑19 qu’elle a développés et développera.
La crise exceptionnelle que nous traversons appelle à des réponses politiques fortes, c’est ce à quoi nous invitions le gouvernement. Tel est l’objet de la présente proposition de résolution portant sur la levée de l’embargo des États‑Unis contre Cuba dans le cadre de la lutte contre la pandémie mondiale de la covid‑19.
proposition de rÉsolution
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Considérant la persistance dans le temps et le caractère universel de la pandémie de covid‑19 ;
Considérant le caractère indispensable d’une action globale et solidaire à l’échelle mondiale afin de permettre l’éradication du virus de la covid‑19 ;
Considérant les conséquences humaines dramatiques d’une reprise importante de l’épidémie dans certains pays amis de la France ;
Considérant l’efficacité avérée du recours aux vaccins dans le cadre des différentes stratégies nationales mises en place afin de lutter contre la pandémie de covid‑19 ;
Considérant la nécessité de compléter les dispositifs de distribution équitable des vaccins auprès des pays et des populations les plus vulnérables ;
Considérant l’action diplomatique de la France dans le cadre des dispositifs multilatéraux permettant un accès effectif et rapide à la vaccination, aux traitements et aux diagnostics partout dans le monde et en particulier dans les pays qui en ont le plus besoin ;
Considérant l’embargo pesant sur Cuba comme illégitime et relevant d’une contrainte sanitaire, économique et sociale ;
1. Souhaite que la France porte la demande sans délai et sans restriction de la levée de l’embargo américain contre Cuba afin donner les moyens à ce pays de produire en quantité importante ses propres vaccins contre la covid‑19, permettant alors leur exportation auprès des pays dont la situation sanitaire est la plus inquiétante, et notamment en Amérique latine.
2. Appelle la France à peser pleinement dans les négociations susceptibles d’avoir lieu au sein de l’Organisation mondiale de la santé s’agissant de la levée de cet embargo des États‑Unis contre Cuba.
3. Appelle la France à promouvoir la levée de cet embargo auprès de ses partenaires internationaux et notamment européens.
4. Appelle la France à fournir à Cuba les moyens matériels pour permettre la production des vaccins contre la covid‑19 que Cuba a développé et développera.
5. Encourage la France à poursuivre son action, avec ses partenaires européens, dans le renforcement de l’application du règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil relatif à la protection contre les effets de l’application extraterritoriale de législations de pays tiers, dont le titre III de la loi Helms‑Burton qui dissuade les entreprises étrangères, et notamment européennes, à porter des projets d’investissements à Cuba.
6. Souhaite que la France se déclare pleinement en faveur de la levée immédiate et temporaire des protections de propriété intellectuelle portant sur les vaccins contre la covid‑19.
7. Encourage la France à poursuivre son action dans le cadre des initiatives multilatérales existantes en matière de production et distribution des vaccins, notamment COVAX, en appelant notamment à des dons effectifs de vaccins de la part des pays développés, aux premiers rangs desquels les États‑Unis.
8. Appelle la France à soutenir toute initiative visant une augmentation de la production des doses de vaccins contre la covid‑19 et la baisse des coûts d’accès à ces vaccins en faveur des pays les plus vulnérables ou dont la situation sanitaire est gravement dégradée.
9. Appelle la France, notamment par l’intermédiaire de l’Agence française de développement et de sa filiale Proparco, à poursuivre les initiatives entreprises afin de favoriser la construction de sites de production de vaccins au sein des pays les plus vulnérables, notamment en Afrique et en Amérique latine.
10. Appelle la France à contribuer à la levée de tout obstacle, à l’échelle mondiale, susceptible d’empêcher l’exportation de doses de vaccins contre la covid‑19 de même que celle de leurs composants, dans l’objectif de pourvoir aux besoins immédiats.