Description : LOGO

N° 4433

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 septembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative au contrôle parlementaire de l’enfouissement définitif
des déchets situés dans le site de stockage Stocamine,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Raphaël SCHELLENBERGER, Patrick HETZEL, Philippe MEYER, Yves HEMEDINGER, Jacques CATTIN, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Mansour KAMARDINE, Fabien DI FILIPPO, JeanMarie SERMIER, Marine BRENIER, Fabrice BRUN, Édith AUDIBERT, Philippe BENASSAYA, Laurence TRASTOURISNART, Julien RAVIER, Bernard PERRUT, Bernard BOULEY, Virginie DUBYMULLER, Julien DIVE, PierreHenri DUMONT, Bérengère POLETTI, Josiane CORNELOUP, Valérie BEAUVAIS, Bernard DEFLESSELLES, Stéphane VIRY, Annie GENEVARD,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 18 janvier 2021, le gouvernement français a annoncé le confinement définitif des déchets situés dans le site de stockage souterrain Stocamine. L’État acte ainsi le maintien de plus de 40 000 tonnes de déchets ultimes sous le sol alsacien, décidant de ne pas aller au‑delà du déstockage partiel engagé entre 2015 et 2017. Cette annonce constitue l’épilogue d’un long processus décisionnel final engagé depuis cette période, lui‑même précédé d’une succession conséquente d’échanges et d’expertises consécutifs à l’incendie déclaré dans les galeries de la mine en 2002 qui aura profondément, et pour toujours, modifié le cours du projet de stockage situé sous la commune de Wittelsheim, dans le Haut‑Rhin.

Bien que ce processus décisionnel relève de la pleine responsabilité de l’État, le Parlement français a œuvré, dès 2017 et le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la gestion des déchets ultimes dans le cadre de la fermeture de Stocamine, pour inclure la représentation nationale et sa légitimité démocratique dans la gestion de ce dossier dont la sensibilité environnementale se trouve accentuée par un enjeu structurant de perte de confiance dans la parole de l’État. Ainsi, le 18 septembre 2018, à l’issue d’un travail parlementaire fourni, déployé sur plusieurs mois et articulé autour de nombreuses auditions, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une série de recommandations claires, destinées à l’État.

Au lendemain de la décision gouvernementale du 18 janvier 2021, très éloignée des recommandations formulées par la représentation nationale il y a plus de deux ans, il appartient à présent au Parlement de tirer les enseignements de ce processus décisionnel et de dessiner les moyens d’un contrôle parlementaire de la poursuite des opérations dans le site de stockage Stocamine.

Comme l’ont démontré ces années de débats, l’Assemblée nationale doit prendre toute sa place pour contrôler les opérations menées unilatéralement par l’État et veiller à la protection de la nappe phréatique d’Alsace dans son intégralité. Cet effort, doit également trouver écho auprès des institutions compétentes de l’Union européenne, au regard de la dimension européenne de notre nappe. 

L’épilogue du processus décisionnel autour de l’avenir du site d’enfouissement Stocamine doit servir au Parlement français et avec lui aux institutions démocratiques de l’Union, au premier rang desquelles le Parlement européen, dans l’indispensable renforcement du contrôle démocratique à engager autour des projets sensibles pour l’environnement. Cette proposition de résolution européenne entend œuvrer en ce sens, dans le prolongement des prises de position précédemment exprimées par l’Assemblée nationale.

II.  L’affirmation et la défense d’une position parlementaire

  1.               Pour la création d’une mission d’information

Le 4 octobre 2017, M. Raphaël Schellenberger a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution, cosignée par plusieurs de ses collègues, tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la gestion des déchets ultimes dans le cadre de la fermeture de Stocamine

Cette initiative parlementaire était consécutive à l’arrêté publié le 23 mars 2017 par le M. le Préfet du Haut‑Rhin autorisant « la prolongation pour une durée illimitée du stockage souterrain de déchets non radioactifs appelé Stocamine, situé sous le territoire de la commune de Wittelsheim ». Ce texte s’inscrit alors dans un contexte politique nouveau, né des élections, présidentielle et législatives, du printemps 2017.

La proposition formulée souligne le besoin d’un travail parlementaire approfondi à l’égard d’une décision de l’État qui ne respecte pas la volonté d’un territoire alsacien, exprimée à travers la mobilisation des citoyens, d’associations et de très nombreux élus locaux toutes tendances politiques confondues. Face à cette impasse préjudiciable à l’avenir du territoire alsacien, la proposition de résolution ainsi déposée propose « l’ouverture d’une enquête parlementaire, offrant ainsi l’opportunité à la représentation nationale de se saisir de ce sujet ». Ce travail doit constituer « un levier utile pour permettre enfin la définition d’une solution à la hauteur des exigences imposées par la situation. Cette commission d’enquête représente également un moyen de contrôle objectif de l’action de l’État dans ce dossier ».

Dès l’automne 2017, la proposition de M. Raphaël Schellenberger appelle donc à « instituer une commission d’enquête en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui sera chargée de dresser un bilan de la gestion du projet de fermeture de Stocamine et de proposer un scénario permettant un déstockage total des déchets dangereux situés sous le territoire de la commune de Wittelsheim ».

L’exigence d’un travail parlementaire de fond, permettant de faire un point précis sur ce dossier à la sensibilité toute singulière, prendra finalement la forme d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, que la proposition de résolution du 4 octobre 2017 aura permis d’initier. 

La mission d’information sur la gestion du site de stockage souterrain Stocamine est créée au printemps 2018, en application de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale. Celle‑ci est commune à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, témoignant ici de la pluralité des enjeux soulevés par la gestion de ce site de stockage et de la dimension naturellement européenne des travaux parlementaires alors engagés. Le 18 avril 2018, M. Raphaël Schellenberger, député de la circonscription où se trouve le site de Stocamine, en est nommé co‑rapporteur. Moins d’un an après le renouvellement législatif du mois de juin 2017, l’Assemblée nationale reconnaît ainsi l’importance d’engager un travail parlementaire face aux inquiétudes légitimes exprimées par les élus locaux et une partie de la population alsacienne. La décision prise par l’État en mars 2017, renonçant unilatéralement à tout déstockage complémentaire à celui conduit entre 2015 et 2017, est dès lors soumise à débat. Par la saisine de l’Assemblée nationale, celui‑ci sera démocratique. Une nouvelle voie, plus apaisée, doit pouvoir s’ouvrir pour la gestion du site de stockage souterrain Stocamine.

Telle était l’ambition de la mission d’information commune créée au printemps 2018, dont les travaux débutent le mardi 26 juin 2018.

  1.              Les conclusions du rapport

Les auditions conduites par la mission d’information sur le site de stockage souterrain de déchets Stocamine ont couvert, dans un temps rapide exigé par la situation dans la mine et la convergence naturelle des galeries, toutes les dimensions soulevées par la situation à l’étude. Elles ont interrogé la genèse et l’historique du projet de stockage, sa réalisation et son arrêt brutal, ses conséquences pour l’environnement, les différents scénarios envisagés pour l’avenir, ainsi que les effets de la gestion du projet sur la confiance abîmée vis‑à‑vis de la parole de l’État et de son administration.

Comme le détaille le rapport adopté à l’issue de celles‑ci, « les auditions de la mission d’information commune se sont déroulées du 26 juin au 4 septembre 2018. Au total, pas moins de 25 auditions ont été menées et une cinquantaine de personnes ont été rencontrées. Ces auditions ont été conduites à l’Assemblée nationale, mais également à Mulhouse, à Sarrebruck et à Strasbourg. Les membres de la mission d’information commune se sont tous rendus sur le site de stockage et ont visité ses galeries d’accès et de stockage, 550 mètres sous terre ».

Le 18 septembre 2018, le rapport co‑rédigé par MM. Schellenberger et Fuchs est adopté à l’unanimité des membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire ainsi que de la commission des affaires étrangères. Les recommandations formulées par l’Assemblée nationale sont fortes et opérationnelles. Elles concernent tout d’abord la situation spécifique du site de stockage Stocamine mais portent également, plus largement tels des enseignements pour l’avenir, sur la place de l’expertise technique des services de l’État et la continuité de la décision publique :

  1.               Recommandations relatives à Stocamine

Recommandation 1 : Prendre une décision sur l’avenir du site de stockage dans les 3 mois suivant la remise de l’étude du BRGM. Les membres de la mission d’information commune préconisent de déstocker l’ensemble des déchets, à l’exception du bloc 15. Sous réserve que l’étude du BRGM n’exclut pas la faisabilité technique du déstockage, cette préconisation de la mission d’information commune est conditionnée à deux sous‑recommandations :

Recommandation 1.1 : Évaluer le risque global d’un déstockage complet hors bloc 15 à la lumière de l’expérience tirée du déstockage partiel (2014‑2017) et de l’étude à venir réalisée par le BRGM.

Recommandation 1.2 : S’assurer de l’existence d’une solution de restockage des déchets offrant de meilleures garanties de stockage que le site de Stocamine.

Recommandation 2 : Conduire une analyse précise du bloc 15, afin de connaître notamment la nature et la quantité de déchets qui y sont entreposés, ainsi que le volume de sels contaminés dans le bloc. Si cette étude révèle l’absence d’une quantité de déchets pouvant avoir un impact significatif sur la nappe phréatique d’Alsace, préparer la mise en place du confinement du bloc 15.

Recommandation 3 : Prévoir la possibilité de mise en œuvre du confinement des déchets si au cours du déstockage il apparaît que ce dernier ne pourra être mené à son terme. Cette recommandation, qui implique de surveiller l’évolution géologique du stockage au cours des opérations, vise à éviter que des déchets demeurent au fond de la mine, sans pour autant avoir mis en place les barrières de confinement nécessaires à l’imperméabilité du site de stockage.

Recommandation 4 : Mettre en place des mesures de surveillance du site si une partie des déchets est maintenue au fond.

Recommandation 4.1 : Ne pas procéder immédiatement au remblayage des puits.

Recommandation 4.2 : Conserver les mesures de surveillance de l’ennoyage de la mine Amélie et de l’impact sur la nappe phréatique.

  1.               Recommandations générales

Recommandation 5 : Engager une réflexion sur la place de l’expertise technique des services de l’État, plus largement que dans le domaine minier.

Recommandation 6 : Clarifier le rôle de l’État sur les projets pour lesquels il est concerné à plusieurs titres (État police, État actionnaire), afin d’améliorer la gouvernance et la gestion financière du projet.

Recommandation 7 : Favoriser une mutation de la culture de l’État plus favorable à la reconnaissance de la faillibilité de l’État, dans une logique de droit à l’erreur.

Recommandation 8 : Faire évoluer le rôle des services de l’État dans les projets ayant un impact environnemental d’une logique de contrôle ex‑ante à un contrôle ex‑post, afin de s’assurer de la mise en œuvre effective du cadre législatif et réglementaire.

Recommandation 9 : Engager une réflexion sur la gouvernance, le suivi de dossiers sensibles et la continuité de la décision publique afin d’éviter les situations de non‑décision, comme cela a été le cas pour Stocamine.

Avec ces 9 recommandations, dont 4 spécifiques à la situation observée à Stocamine, unanimement soutenues par l’Assemblée nationale à l’issue d’un travail sérieux et conséquent dont atteste le rapport publié, le Parlement tend une main au Gouvernement dans la définition d’une solution acceptable et apaisée pour Stocamine. Les manquements ont été clairement identifiés. Les leviers pour leur levée également. L’État, seul décisionnaire dans la gestion de ce dossier, est alors placé devant ses responsabilités.

  1.               L’État pressé à agir

Le travail parlementaire a été inscrit dans un calendrier exigeant, imposé par la nature et la convergence progressive des galeries minières qui réduit, au fur et à mesure, les marges d’action disponibles pour extraire les déchets stockés sans mettre en danger les mineurs travaillant au fond. La course contre le temps engagée ne tolère pas la lenteur de l’action publique dans ce dossier. C’est ainsi que la première recommandation formulée par l’Assemblée nationale invite l’État à prendre une décision sur l’avenir du site de stockage dans les 3 mois suivant la remise de l’étude du BRGM. Toute prise de décision différée dans le temps correspond, en réalité, à une nondécision en faveur du confinement définitif sans déstockage complémentaire.

Une prise de décision rapide, tel est le sens de la mobilisation constante déployée depuis l’adoption du rapport par M. Raphaël Schellenberger, co‑rapporteur et, à ce titre, garant pour le Parlement du suivi des recommandations formulées. A travers ces recommandations, ce sont les préoccupations des habitants de la 4ème circonscription du Haut‑Rhin et du bassin potassique, ainsi que l’engagement des élus locaux du territoire en faveur d’un déstockage complémentaire qui sont ainsi relayés auprès du gouvernement.

Au cours des deux années et demi qui ont séparé la remise du rapport parlementaire en septembre 2018 et la prise de décision gouvernementale exprimée en janvier 2021, l’État a persévéré dans les erreurs déjà identifiées par le passé et relevées par le rapport de l’Assemblée nationale. Incapable de faire évoluer la culture de l’État dans un sens plus favorable à la reconnaissance de sa faillibilité, le gouvernement n’a jamais saisi l’opportunité que constituait le travail de la représentation nationale dans l’atteinte d’une solution mieux acceptée par le territoire et ses habitants.

La succession de quatre Ministres différents en charge de l’environnement depuis 2017 n’aura pas été de nature à permettre la mutation culturelle exigée permettant à l’État de reconnaître ses erreurs dans la gestion de ce dossier et d’ainsi retisser le lien de confiance abîmé avec le territoire. Une telle mutation aurait exigé une vision claire et volontaire que ces changements réguliers à la tête du Ministère ont rendu impossible, alors même que les études techniques complémentaires demandées par le gouvernement, publiées en 2019 et en 2020, ont témoigné de la faisabilité technique d’un déstockage complémentaire.

Particulièrement attendue, l’étude du Bureau de Recherches Géologiques et Minières a été présentée devant la Commission de suivi de site (CSS) Stocamine le lundi 21 janvier 2019. Ce même‑jour, l’État, par la voix de M. le Préfet du Haut‑Rhin, et non par celle du Ministre M. François de Rugy, annonçait renoncer définitivement au déstockage de l’ensemble des déchets entreposés dans l’installation Stocamine. Loin des recommandations formulées par l’Assemblée nationale et de la réalité des conclusions scientifiques alors apportées par l’expertise technique publiée, la décision gouvernementale révélait un manque de volonté politique, pourtant indispensable dans la gestion du site de stockage Stocamine. Au moment où s’ouvrait le Grand Débat national souhaité par le Président de la République après la crise sociale des Gilets Jaunes, le gouvernement renonçait à écouter le territoire alsacien sur un sujet pourtant au cœur du déficit de confiance dans la parole de l’État.

Sous la pression née de l’incompréhension d’une telle décision, le gouvernement annonçait le 12 février 2019 s’engager à étudier financièrement et techniquement les modalités de réalisation d’un déstockage supplémentaire sur le site de Stocamine à mener d’ici 2027, date de fin de la concession minière et de convergence trop forte des galeries. Saluant ce revirement, M. Raphaël Schellenberger et plusieurs parlementaires alsaciens écrivaient à M. le Ministre dès juillet 2019 afin qu’il précise le calendrier envisagé afin de l’accélérer de plusieurs mois et obtenir la délivrance de cette étude complémentaire, alors annoncée pour mai – juin 2020, soit deux ans après le lancement des travaux de l’Assemblée nationale. Un horizon de publication avant la fin de l’année 2019 apparaissait plus compatible avec l’urgence imposée par la convergence des galeries minières.

Le calendrier exposé par le gouvernement s’est de plus trouvé ralenti, début 2020, par la crise sanitaire. L’étude confiée à Antea‑Tractebel a finalement été publiée à l’automne 2020. Exposant différents scénarios, celle‑ci confirme la faisabilité d’un déstockage supplémentaire, tout en rappelant également que la poursuite de cette voie requiert une volonté politique, dont l’intérêt est clairement exposé par le rapport parlementaire de septembre 2018.

Si la publication de l’étude Antea‑Tractebel n’est pas directement suivie d’une annonce gouvernementale, un déplacement de Mme la Ministre Barbara Pompili en Alsace est organisé le 5 janvier 2021. Présenté comme l’occasion de mesurer, sur le terrain, les enjeux liés à l’avenir du site, cette visite est toutefois précédée d’une communication auprès de la presse régionale dans laquelle Mme la Ministre exprime déjà clairement une préférence en ces termes : « la solution la plus sûre pour l’environnement comme pour les travailleurs est l’option où l’on ne retire plus de déchets et où l’on confine dans des conditions optimisées ». ([1])

II.  Une nondécision gouvernementale aux conséquences définitives

  1.               Le confinement définitif, une faute gouvernementale

Le 18 janvier 2021, Mme la Ministre Barbara Pompili fait part de son choix de confiner le site sans retrait supplémentaire des déchets encore enfouis. Selon le communiqué alors publié, « la Ministre est arrivée à la conclusion que les conditions au déstockage complémentaire, posées par la mission parlementaire de 2018, ne sont pas réunies. Les avantages potentiels d’un déstockage complémentaire des déchets ne sont pas démontrés et celuici présenterait des risques significatifs pour les travailleurs, tandis que la réalisation du confinement dans des conditions optimales est indispensable pour assurer la protection de la nappe d’Alsace. Dans ces conditions, la Ministre de la Transition écologique décide de lancer la réalisation du confinement du site sans déstockage complémentaire ». ([2])

La position exprimée dans la presse locale en amont de sa visite sur site n’a donc pas évolué à l’issue de celle‑ci, confirmant le sentiment d’une décision déjà prise que le déplacement en Alsace n’était déjà plus en mesure d’infléchir malgré l’opposition d’une large majorité des élus du territoire et des associations locales face à la perspective d’un confinement définitif sans déstockage supplémentaire. Après avoir méprisé le rôle du Parlement en refusant de suivre les préconisations formulées dans le rapport publié en septembre 2018, le gouvernement persévère dans sa gestion solitaire de l’avenir du site de stockage, sourds face aux recommandations exprimées par les acteurs locaux.

En cela, la décision dévoilée le 18 janvier 2021 constitue une double erreur, de méthode et de fond.

Le rapport parlementaire de 2018 ouvrait la voie à une meilleure prise en compte des attentes de notre territoire. La décision de janvier 2021 n’est pas celle du territoire, mais de l’État. Elle est vécue, à juste titre, comme imposée. Le rapport parlementaire avait précisément identifié le déficit de confiance dans la parole de l’État né de sa promesse initiale de réversibilité prise devant les Alsaciens qui constatent aujourd’hui son impossible mise en œuvre. Cette confiance abîmée et son indispensable restauration figurait au cœur des travaux conduits par l’Assemblée nationale en 2018. En se refusant à prendre une décision rapide et en écartant, par principe, toute perspective de déstockage complémentaire, le gouvernement n’a, à aucun moment, placé l’État dans une situation à même de retisser ce lien de confiance avec le territoire. Au‑delà même de la décision prise au fond, cet échec dans la méthode, qui exigeait simplement une meilleure écoute et la construction d’une réponse collective, demeurera une erreur. 

Au fond, la faisabilité technique d’un déstockage complémentaire a été démontrée par les études successivement commandées. La poursuite du déstockage était la seule option en mesure de rétablir la confiance en l’État dans le pilotage des grands dossiers environnementaux. Tel était le constat clair déjà formulé en 2018 dans le rapport produit par l’Assemblée nationale. Un déstockage complémentaire partiel, répondant à l’impératif de sécurité des travailleurs et du site, dans le respect des expertises techniques, aurait constitué une voie d’équilibre à même de retisser une partie de la confiance abîmée depuis 2002.

Le territoire minier alsacien souhaitait pouvoir clore dignement, et en confiance, une page importante de son histoire, ouverte en 1904 par la découverte de potasse dans nos soussols. Le communiqué de presse publié le 18 janvier 2021 par Madame la Ministre de la Transition écologique ne permet pas cela, tant sur le fond de la décision prise que sur la forme de celleci.

  1.              Une impasse

L’annonce gouvernementale d’un maintien des déchets dans la mine a été largement commentée. Celle‑ci relève pleinement de l’État. Il a été du ressort des élus locaux, des associations et de l’ensemble des acteurs engagés autour de Stocamine de porter leurs arguments auprès du gouvernement pour appeler son attention sur le sujet. Cet effort, pleinement assumé au Parlement avec l’adoption unanime du rapport de l’Assemblée nationale en septembre 2018, s’est étendu sur de nombreuses années depuis l’incendie de 2002 et la situation transitoire alors ouverte. La publication du rapport de 2018 a permis une intensification nécessaire de l’attention portée à l’avenir du site de stockage, dont la convergence des galeries exigeait une prise de décision rapide. Ce temps‑là s’est clos avec la décision définitive prise en janvier 2021 par l’État.

Le dossier Stocamine n’est pas de ceux qui permettent des revirements dans le temps. Nous avons déjà trop souffert des hésitations de l’État dans ce dossier aux difficultés techniques certaines. Sous le sol alsacien, nous sommes confrontés à l’implacable réalité des mouvements de terrains, que les miniers connaissent si bien. La décision prise en ce début d’année 2021 était très attendue à Wittelsheim car il était clair que la géologie du site ne permettrait plus ensuite de prendre plus tard un chemin différent. Nous sommes à présent dans cette configuration difficile, qui exige pragmatisme et sens profond des responsabilités.

Le processus administratif choisi pour lancer le confinement rend par ailleurs impossible toute action en justice à même de retarder ou modifier ce choix. En effet, c’est sur la base de l’arrêté préfectoral du 23 mars 2017 que les opérations actuellement en cours sont fondées. Cet arrêté est à l’origine de la mobilisation citoyenne et politique en Alsace, mais les délais de recours administratif étant échus, toute nouvelle action en justice à son encontre est vouée au rejet pour des motifs de forme.

Par ailleurs, si une action en justice est à même de rétablir les responsabilités des différents acteurs du dossier, elle ne peut, seule, rétablir la confiance nécessaire au territoire. Il nous faut donc porter une ambition plus large pour rebâtir la confiance abimée entre l’État, les collectivités alsaciennes et les habitants du territoire de Stocamine.

  1.               Vivre avec cette décision

En conséquence, il appartient à présent au territoire alsacien de vivre avec cette décision et de trouver, dans ces conditions si particulières, les clefs lui permettant de clore la riche histoire minière de notre territoire, dans le respect profond de ceux qui ont œuvré dans nos mines. Nous leur devons cette conclusion digne, à la hauteur de ce qu’ils ont apporté pendant tant d’années à notre région, à la France, à son indépendance stratégique et à son développement.

Cette page nouvelle sera nécessairement collective, associant très largement les forces vives du territoire et les collectivités intéressées. L’aventure minière alsacienne a été riche, le dossier Stocamine n’en constitue qu’un épisode qui ne saurait écarter les pages bien plus denses écrites précédemment par des générations d’hommes et de femmes qui ont inscrit leur vie dans notre région, en lien étroit avec nos sous‑sols. Des initiatives historiques et pédagogiques existent déjà en Alsace pour transmettre cet héritage, au‑delà des murs de la mine, avec les nouvelles générations. Ce travail de transmission indispensable devra trouver toute sa place dans la conclusion qu’il nous appartient à présent d’écrire.

L’acceptation de la non‑décision de l’État s’accompagne d’une exigence de rebond, elle‑même conditionnée à une redescente progressive de la tension entretenue et développée depuis de longues années dans ce dossier exigeant. En la matière, il convient, avec lucidité, de reconnaître les effets négatifs de la tension parfois promue par des positions militantes extrêmes autour de Stocamine. La gestion collégiale du confinement définitif des déchets et le contrôle de sa pleine sûreté requiert aujourd’hui une désescalade de ces tensions et l’acceptation de la réalité qui s’impose, dans l’intérêt supérieur de la protection de notre environnement.  Cette désescalade passera par la mise en place d’un espace de contrôle bien plus exigeant que ceux existant aujourd’hui.

En cela, l’avenir doit pouvoir s’articuler autour de trois impératifs : le contrôle transparent du confinement définitif des déchets, l’articulation d’un dialogue constructif avec l’ensemble des acteurs impliqués et l’affirmation de projets ouvrant l’histoire minière du territoire à ses habitants, héritiers et premiers porteurs de cette identité.

III.  Pour un meilleur contrôle parlementaire de l’enfouissement des déchets décidé à Stocamine

  1.               L’exigence de confiance

L’expérience issue de la gestion lente et difficile du dossier Stocamine en Alsace doit conduire à tirer des leçons structurantes dans la perspective de l’enfouissement définitif des déchets décidé par le gouvernement, dont la mise en œuvre a déjà débuté.

Il apparaît, à la lecture des éléments chronologiques précédents, impératif de retisser un lien de confiance entre l’État et les territoires, dans le respect indispensable de l’expression démocratique. Naturellement, l’enseignement décisif tiré ici doit pouvoir trouver une traduction plus large pour le pays, au cœur des projets qui, comme celui‑ci, peuvent avoir un impact fort sur les territoires dans lesquels ils s’inscrivent. L’érosion du lien de confiance à Stocamine, consécutive à l’incendie de 2002 et à l’absence de mise en œuvre rapide de la promesse initiale de réversibilité du site, aurait dû être évitée par un dialogue plus franc et transparent entre l’État et les acteurs du territoire. L’attention à l’égard de ce dialogue constitue une composante que ne doit pas négliger l’État, demain, dans les grands projets qu’il peut être amené à poursuivre à travers le pays, singulièrement lorsque ceux‑ci comportent un volet environnemental. 

Tout est issu de la confiance. Son absence réduit toute faculté à porter des projets collectifs. La promesse initiale de réversibilité, formulée par l’État à Stocamine, ne sera pas tenue. Cet épisode doit conduire l’État à s’engager pleinement dans une démarche de sincérité, en lien avec les élus locaux alsaciens, permettant d’éviter demain tout nouveau décalage de cette nature.

Ce rétablissement de la confiance ne peut être que progressif, appuyé sur des actes concrets. Le Parlement avait ouvert une voie en ce sens à travers son rapport unanimement adopté en 2018. L’État doit aujourd’hui s’engager résolument dans une démarche identique de main tendue, en adressant des gestes concrets en direction des collectivités et de leurs élus pour une gestion collective de la mise en œuvre du confinement définitif qu’il a décidé et dont il assume, naturellement, la pleine responsabilité. 

  1.              Garantir un suivi démocratique et une attention forte

Le Parlement ayant démontré la pertinence de son action démocratique dans le cadre des travaux de la mission d’information conduite en 2018, celui‑ci doit trouver une place renforcée, aux côtés des élus locaux, dans le contrôle à exercer autour de la mise en œuvre du confinement définitif des déchets et de la protection de la nappe phréatique d’Alsace.

Parce que les enseignements de la gestion passée doivent ouvrir une nouvelle voie, il est ici proposé que le contrôle, exercé conjointement par les élus locaux du territoire et les parlementaires, succède à la commission de suivi de site (CSS) pour opérer une passation de pouvoir dans le contrôle, depuis le Préfet vers le Parlement et les élus.

Ce mode de fonctionnement nouveau, dont les modalités pratiques sont à définir collectivement, s’inscrit dans le respect de la séparation des pouvoirs et la reconnaissance des effets positifs de ce principe fort de notre République. En effet, alors que l’État est au cœur de la gestion du dossier Stocamine dont il est le décideur principal et final, le contrôle à observer doit donc lui être extérieur. C’est l’objet de cette proposition. Cette recommandation souligne également le rôle central que le Parlement est appelé à jouer en démocratie pour faire vivre l’échange, l’expression transparente de positions et l’élaboration de décisions légitimes. Au fond, il est ici proposé de faire le choix de la démocratie plutôt que de la technocratie, dont nous avons observé les limites évidentes dans la gestion du dossier Stocamine et l’incapacité à bâtir des décisions partagées.

Ce suivi démocratique doit naturellement couvrir le travail de contrôle des opérations d’enfouissement mais méritera également d’accompagner et d’encourager l’engagement de l’État dans la préservation de la nappe phréatique d’Alsace, pour laquelle il apparaît évident que les 50 millions d’euros, promis par Mme la Ministre le 18 janvier 2021 en parallèle de son annonce relative à l’avenir de Stocamine, ne peuvent constituer qu’un premier pas. L’engagement de l’État est attendu sur l’ensemble de la nappe phréatique, les enjeux liés à sa protection dépassant les difficultés liées à la décharge de Colmar. C’est une véritable stratégie de préservation qui est attendue, dont la portée, la pertinence et la bonne mise en œuvre requièrent d’y associer pleinement les parlementaires et élus locaux du territoire, tout comme les instances compétentes de l’Union européenne.

  1.               Au‑delà de Stocamine, un défi européen

Les enseignements issus de l’élaboration, de la mise en œuvre puis de la gestion du projet Stocamine, traduits en préconisations pour l’avenir de ce site et le contrôle de l’enfouissement de ses déchets, méritent également de nourrir pertinemment les travaux européens liés à la conduite de tels projets environnementaux, particulièrement structurants pour les territoires dans lesquels ils s’inscrivent.

La dimension européenne du site de Stocamine et des conclusions liées à sa gestion avaient déjà été identifiées en 2018 par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le site de stockage souterrain de déchets StocaMine, alors commune à la commission des Affaires étrangères et à la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.

Ce qui s’est passé à Stocamine doit servir l’Europe. Le défi environnemental se pose à l’échelle du continent. La page des exploitations minière se tourne progressivement dans un nombre croissant de pays européens. Nos défis face à cette situation sont communs. Dans la façon de les adresser, les Parlements doivent trouver leur place dans l’accompagnement des territoires concernés pour placer l’expression démocratique au cœur des projets à fort impact sur ceux‑ci et maintenir le lien de confiance indispensable à leur bonne conduite.

La présente proposition de résolution européenne s’inscrit dans cette perspective, proposant ainsi au Parlement de prolonger le travail engagé il y a près de trois ans par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le site de stockage souterrain de déchets StocaMine, et de lui conférer une dimension européenne particulièrement pertinente.

En conséquence, il est ici proposé de demander au gouvernement de reconnaître pleinement le rôle démocratique du Parlement français dans le suivi et le contrôle de l’enfouissement définitif des déchets situés dans le site de stockage Stocamine. Cette position exigeante d’association du Parlement à cet effort de suivi et de contrôle constitue une mesure correctrice forte par rapport au fonctionnement jusqu’à présent éprouvé d’une commission de suivi de site (CSS) articulée autour du Préfet, représentant de l’État dans le département.

Conscients des défis qui font face à notre environnement, que la décision du Gouvernement quant à l’avenir de Stocamine laisse entiers, il est également proposé d’appeler le gouvernement à protéger la nappe phréatique d’Alsace, dans son intégralité, avec le soutien de la Commission européenne au regard des implications naturellement européennes de sa bonne protection.

Enfin, la présente proposition de résolution européenne souhaite encourager la Commission européenne et le Parlement européen à promouvoir le rôle des parlementaires, européens et nationaux, dans le cadre du contrôle démocratique des projets sensibles pour l’environnement dans lequel ils s’inscrivent. Il s’agit ici de transmettre à l’échelle européenne l’une des conclusions fortes des travaux parlementaires adoptés en septembre 2018 à l’Assemblée nationale liée à la préservation de la confiance indispensable à la gestion de tels projets. Cette donne, observée en Alsace, est porteuse d’enseignements riches dans toutes les sociétés démocratiques en Europe.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’Accord de Paris sur le climat signé par l’Union européenne le 5 octobre 2016,

Vu la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets,

Vu la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives,

Vu la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne du 18 mars 2021 sur la conférence sur l’avenir de l’Europe « Dialoguer avec les citoyens pour promouvoir la démocratie –Construire une Europe plus résiliente »,

Considérant que le Parlement français contrôle l’action du Gouvernement et évalue son action selon les termes de la Constitution ;

Considérant que les Parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l’Union européenne, conformément à l’article 12 du Traité sur l’Union européenne ; 

Considérant que le Parlement européen exerce des fonctions de contrôle politique et consultatives conformément aux conditions prévues par les traités ;

Considérant que le dialogue démocratique se trouve au cœur du fonctionnement des institutions françaises et européennes ;

Considérant que les Parlements nationaux et le Parlement européen sont engagés dans la protection de l’environnement et notamment des ressources en eau ;

Demande au Gouvernement de reconnaître pleinement le rôle démocratique du Parlement français dans le suivi et le contrôle de l’enfouissement définitif des déchets situés dans le site de stockage Stocamine ;

Demande que soit confié à l’Assemblée nationale le pilotage d’un organe de contrôle de l’action du Gouvernement sur le site de Stocamine ;

Appelle le Gouvernement à protéger la nappe phréatique d’Alsace dans son intégralité, avec le soutien de la Commission européenne ;

Encourage la Commission européenne et le Parlement européen à promouvoir le rôle des parlementaires, européens et nationaux, dans le cadre du nécessaire contrôle démocratique des projets sensibles pour l’environnement dans lequel ils s’inscrivent.


([1])  https://c.lalsace.fr/environnement/2021/01/05/exclusif-stocamine-barbara-pompili-penche-pour-un-confinement-definitif

([2]) https://www.ecologie.gouv.fr/ministre-transition-ecologique-annonce-confinement-du-site-stocamine-et-enveloppe-50-millions-deuros