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N° 4577

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

 

invitant le gouvernement à agir dans la lutte contre la douleur chronique et la douleur en psychiatrie, à apporter les moyens nécessaires
aux professionnels de santé et à mettre en place
un nouveau plan pluriannuel de lutte contre la douleur,

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Michèle de VAUCOULEURS et les membres du groupe Mouvement démocrate(1) et démocrates apparentés(2),

députés.

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(1) Mesdames et Messieurs : Erwan Balanant, Géraldine Bannier, Jean Noël Barrot, Philippe Berta, Christophe Blanchet, Philippe Bolo, Jean Louis Bourlanges, David Corceiro, Yolaine de Courson, Michèle Crouzet, Jean Pierre Cubertafon, Marguerite Deprez Audebert, Bruno Duvergé, Nadia Essayan, Michel Fanget, Isabelle Florennes, Bruno Fuchs, Maud Gatel, Luc Geismar, Brahim Hammouche, Cyrille Isaac Sibille, Élodie Jacquier Laforge, Christophe Jerretie, Bruno Joncour, Sandrine Josso, Jean Luc Lagleize, Fabien Lainé, Mohamed Laqhila, Florence Lasserre, Philippe Latombe, Patrick Loiseau, Aude Luquet, Jean Paul Mattei, Sophie Mette, Philippe Michel-Kleisbauer, Patrick Mignola, Bruno Millienne, Jimmy Pahun, Frédéric Petit, Maud Petit, Josy Poueyto, François Pupponi, Richard Ramos, Sabine Thillaye, Nicolas Turquois, Michèle de Vaucouleurs, Laurence Vichnievsky, Philippe Vigier, Sylvain Waserman.

(2) Mesdames et Messieurs : Justine Benin, Blandine Brocard, Vincent Bru, Pascale Fontenel Personne, Laurent Garcia, Perrine Goulet, Max Mathiasin, Frédérique Tuffnell.

 

 

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La douleur constitue un problème majeur de société, et un enjeu de santé publique dont nous devons prendre conscience. Selon le Livre blanc de la douleur de 2017, près de 12 millions de personnes souffrent de douleurs chroniques en France. Il s’agit, selon ce rapport, de la première cause de consultation chez le médecin généraliste et dans les services d’urgence.

La douleur est définie par l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes ». La douleur devient chronique lorsqu’elle persiste au‑delà de trois mois chez le patient. En effet, une simple lésion entraîne souvent des conséquences durables, comme des contractions musculaires, de la fatigue et de l’anxiété, ou l’obligation d’arrêter son activité, qui peuvent conduire à de l’isolement et à une dépression.

Il s’agit donc d’un phénomène multidimensionnel, à la fois physique, psychique et social. La réaction à la douleur dépend des émotions du patient, de son histoire personnelle et familiale, ou encore de son milieu social et culturel. Chaque personne réagit différemment à la douleur, ce qui implique que son traitement soit individualisé.

La prise en charge de la douleur en France comme enjeu de santé publique est cependant tardive. Elle prend la forme d’un premier plan triennal de lutte contre la douleur portant sur les années 1998‑2000, suivi de deux autres plans couvrant les périodes 2002‑2005 et 2006‑2010. Aucune action publique marquante n’a été entreprise depuis la fin de ce troisième plan, il y a plus de dix ans.

Il existe aujourd’hui près de 250 unités labellisées Structure douleur chronique (SDC) par les ARS (Agences régionales de santé). Ces unités proposent une prise en charge pluridisciplinaire, s’appuyant sur des spécialistes aussi variés que des algologues, des kinésithérapeutes, des rééducateurs ou des psychiatres. Cette polyvalence est la clé permettant à chaque patient de recevoir le traitement le plus approprié à sa situation. La personne douloureuse est ainsi invitée à ne plus subir son état, mais à comprendre et apprivoiser sa douleur tout en restant insérée dans la vie sociale.

Ce modèle est cependant mis en péril par un manque de moyens, à la fois financier et humain. Le financement des SDC s’avère tout d’abord précaire, car il dépend de l’activité réalisée par la structure dans le cadre des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC). Cela est d’autant plus problématique que les moyens humains supportant cette activité sont menacés.

En l’absence de ressources importantes, les SDC s’organisent en effet en petites structures reposant sur quelques équivalents temps plein, complétées par des spécialistes détachés quelques heures par semaine de l’hôpital. Le départ à la retraite des permanents constitue alors une réelle menace : un tiers des SDC pourrait fermer dans les prochaines années à cause du non‑renouvellement de ces postes. Le détachement des spécialistes pose quant à lui un problème de viabilité, n’étant ni épanouissant pour les professionnels de santé, ni facile à mettre en œuvre administrativement.

Les SDC souffrent en réalité du manque de visibilité et d’attractivité des formations à la prise en charge de la douleur. N’étant pas considérée comme une spécialité, la douleur ne fait pas l’objet d’un enseignement universitaire dédié. Jusqu’en 2017, la formation à la prise en charge de la douleur était couplée à l’étude des soins palliatifs, au sein d’un diplôme d’étude spécialisée complémentaire (DESC) non‑qualifiant.

Ce cursus permettait au moins de tirer la prise en charge de la douleur vers le haut, en lui faisant bénéficier de l’attractivité des soins palliatifs. De nombreux internes, initialement intéressés par ce second domaine, étaient amenés à réaliser de stages au sein des SDC. En découplant les deux formations, la réforme du troisième cycle des études de médecine de 2017 a contribué à la perte d’attractivité de la douleur auprès des internes, et par conséquent à la baisse des effectifs disponibles dans les Structures Douleur Chroniques.

Ce manque de moyens des SDC a un effet très concret sur le parcours de soin des personnes douloureuses. Près de 70 % d’entre elles ne reçoivent pas de traitement approprié, selon le Livre blanc de 2017. La médecine de ville et l’hôpital, peu sensibilisés à cet enjeu, orientent le patient vers des traitements moins pertinents, qui peuvent provoquer des errances médicales de plusieurs années. Il s’écoule ainsi en moyenne cinq ans entre l’apparition de la douleur et la prise en charge du patient dans une SDC. Cette multiplication des traitements représente un coût estimé à 1,2 milliard d’euros pour l’Assurance Maladie.

La douleur chronique est donc un enjeu majeur, qui doit être davantage pris en considération dans notre système de santé. À l’hôpital par exemple, la souffrance des femmes enceintes au moment de l’accouchement est susceptible de causer de graves complications, que l’on pourrait éviter si la douleur était mieux évaluée. De même, la qualité des soins post‑opératoires est un sujet essentiel : selon les opérations, 10 % à 50 % des interventions sont susceptibles de provoquer des douleurs chroniques lorsque ces soins ne sont pas réalisés correctement.

La reconnaissance de la douleur concerne également les personnes présentant un trouble de la santé mentale. Selon l’Assurance Maladie, les troubles psychiques concernent au moins sept millions de personnes en France. La pandémie de la COVID‑19 n’a rien arrangé à cela, le confinement, l’anxiété, la solitude et la peur du virus ayant fortement impacté la santé mentale des individus. Les patients souffrants de troubles de la santé mentale, en raison de problèmes de communication ou d’expression, ont longtemps pu être considérés comme insensibles à la douleur. Néanmoins, la loi du 11 février 2005, qui a reconnu les troubles psychiques en tant qu’handicap, a permis la mise en œuvre de moyens et dispositifs adaptés pour accompagner les personnes concernées par les troubles psychiques.

En 2018, selon le Recueil d’informations médicalisé pour la psychiatrie, il y existait 552 structures psychiatriques en France dont 63 % possédant une activité exclusive en psychiatrie. Ces structures sont toutefois insuffisantes pour accueillir tous les patients. Les délais pour consulter un psychiatre sont beaucoup trop longs : on compte en moyenne sept mois d’attente pour un premier rendez‑vous en CMP, tandis que les places d’hospitalisations diminuent. Selon une enquête menée en 2018, près de 50 % des psychiatres sont en burn‑out. Afin de prendre en charge convenablement la douleur de ces patients particuliers, le système de psychiatrie doit être profondément revu.

Pour toutes ces raisons, le renforcement de la prise en charge de la douleur chronique et psychique doit devenir une priorité. En novembre 2020, treize organisations, telles que la Société Française d’étude de traitement de la douleur et Douleurs sans frontières, ont formulé une série de 22 propositions concrètes, reposant sur 5 axes :

– L’amélioration de la reconnaissance sociétale de la douleur, en développant notamment un nouveau plan national de lutte contre la douleur.

– Le renforcement de la formation des professionnels de santé et des patients, via par exemple la mise en œuvre ou le soutien à la formation de « patients experts » en douleur chronique ou la création d’un Diplôme d’Études Spécialisées (DES) en médecine de la douleur.

– La pérennisation des Structures Douleur Chronique (SDC) et de leur financement. Ces structures constituent un pivot dans la prise en charge des patients douloureux sur le territoire.

– L’optimisation du parcours de soins du patient douloureux, que soit via l’identification de véritables « parcours de santé » pour la douleur chronique ou en luttant contre le mésusage des médicaments.

– L’amélioration de la prise en charge des publics vulnérables (handicap, gériatrie, pédiatrie, psychiatrie, etc.), à travers une évaluation et une prise en charge systématique de la douleur chez ces publics.

Chaque individu a le droit de ne pas souffrir. Cette proposition de résolution invite le gouvernement à mieux reconnaître la douleur au sein de notre système de santé, afin que celle‑ci soit systématiquement évaluée et prise en charge. Dans cette optique, il est demandé au gouvernement de travailler dès à présent à l’élaboration d’un nouveau plan contre la douleur.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que la douleur chronique est un phénomène physique ou psychique engendrant pour les personnes qui en souffrent un véritable handicap au quotidien ;

Considérant qu’il est du devoir du Gouvernement de mettre en place un plan de prise en charge de la douleur chronique ainsi que de la douleur en psychiatrie à l’instar des plans de lutte contre la douleur portant sur les années 1998‑2000, 2002‑2005 et 2006‑2010 ;

Invite le Gouvernement à :

I. Déclarer la prise en charge de la douleur comme l’un des axes majeurs de notre système de santé ;

II. Déclarer la prise en charge de la douleur comme faisant partie intégrante des parcours de soins dans notre pays ;

III. Mettre en place un quatrième plan pluriannuel de lutte contre la douleur.