Description : LOGO

N° 4611

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 octobre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à sauvegarder la lavandiculture française,

 (Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Julien AUBERT,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre du « Pacte vert pour l’Europe », la Commission européenne a dévoilé en octobre 2020 sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques qui prévoit plusieurs actions « visant à mieux protéger les personnes et l’environnement contre les substances chimiques dangereuses et à encourager l’innovation en vue de mettre au point des solutions de remplacement sûres et durables. » Cette stratégie a été validée en mars dernier par le Conseil européen.

La Commission européenne a proposé ensuite, sur le fondement de cette stratégie, que la réglementation en vigueur sur les produits chimiques, la réglementation REACH (enregistrement, évaluation, autorisation des produits chimiques), soit révisée d’ici à la fin de l’année 2022. Il s’agit concrètement de renforcer les réglementations européennes sur les produits chimiques pour éliminer les produits toxiques.

Si ce dernier objectif est louable de nombreux enjeux pèsent autour de cette révision, et notamment de celui de l’existence de la filière de production d’huiles essentielles de lavande.

En effet, la première mise en place de cette réglementation REACH avait déjà fait peser des risques importants sur cette filière, notamment pour les petites distilleries qui disposent de peu de moyens pour mener les études onéreuses qui avaient alors été exigée sur leurs produits. Le surcoût a été évalué à un million d’euros pour le secteur.

La démarche de vouloir assainir notre environnement des produits nocifs est à saluer et nous ne pouvons que la partager. Il est toutefois nécessaire de faire preuve de discernement dans l’application de cette réglementation et de ne pas écraser de contraintes les producteurs d’huiles essentielles de lavande, produit utilisé et connu pour ses vertus thérapeutiques depuis des siècles.

La difficulté ici est que les huiles essentielles sont considérées dans ce cadre comme des produits chimiques, ce qui conduit à une mécompréhension de leur nature et de la manière de les réglementer.

Dans le prolongement de la catégorisation de celles‑ci en produits chimique, leur assimilation à des mélanges de constituants dans le cadre de la révision réglementaire constituerait une menace majeure pour le secteur. Cela reviendrait en effet à interdire la possibilité de tester une huile essentielle dans sa globalité pour évaluer ses dangers, et au contraire à tester uniquement individuellement les molécules qui la composent.

Or les huiles essentielles, comme tous les produits naturels, sont des substances complexes composées d’une multitude de constituants, qu’il n’est pas possible de supprimer sans altérer leur identité et leurs propriétés. En changeant la méthode de test de ces produits, on oublierait les effets d’interaction entre les différentes molécules.

Au surplus, la catégorisation qui est faite aujourd’hui des huiles essentielles comme « produits chimiques » est obsolète. En effet, les huiles essentielles de lavande ont été classées dans la catégorie des produits chimiques au moment de l’adoption du traité de Rome, à une époque où le recours à la chimie était beaucoup plus répandu qu’aujourd’hui pour cette production.

Cela ne correspond plus à la réalité de cette filière. En effet, l’huile essentielle de lavande est aujourd’hui produite par un procédé d’entraînement à la vapeur d’eau (procédé reconnu d’ailleurs comme naturel par le règlement REACH). Ceci est d’ailleurs spécifié dans les normes internationales ISO relatives aux huiles essentielles de lavande. La dénomination huile essentielle désigne ainsi aujourd’hui exclusivement le produit naturel issu de la plante via un entraînement à la vapeur d’eau.

Il est sur ce fondement possible de distinguer les huiles essentielles, relevant de procédés naturels, des essences, qui relèvent plutôt de la chimie. Ces dernières peuvent ainsi désigner à la fois une copie synthétique d’huile essentielle, une huile essentielle issue de procédés autre que l’entraînement à la vapeur c’est à dire une extraction au solvant.

Cette distinction est reconnue par la nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques ou INCI :

Le seul INCI qui corresponde à l’huile essentielle de lavande (produit naturel fabriqué par la plante) est lavandula angustifolia oil.

Toute les « fausses » huiles essentielles, c’est à dire les essences chimiques, ont un INCI différent qui est : lavandula angustifolia flower extract.

Enfin le cadre réglementaire visant à protéger les consommateurs et à encadrer l’activité des producteurs est déjà bien établi. Par exemple, l’ajout dans une huile essentielle (pour faire baisser le prix) d’un produit chimique, tout en laissant croire qu’il s’agit toujours d’une huile essentielle constitue une falsification réprimée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Il convient donc de reconsidérer la catégorie à laquelle appartient cette production, qui se rapproche aujourd’hui bien plus de la définition d’un produit agricole, au sens de l’article 38 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « les produits du sol, de l’élevage et de la pêcherie, ainsi que les produits de première transformation qui sont en rapport direct avec ces produits. »

Les risques sont réels pour cette filière. Les contraintes supplémentaires qui pourraient s’ajouter à l’occasion de cette révision réglementaire pèseraient durement sur les petites distilleries, incapables de financer de nouvelles études ou d’assumer de nouvelles contraintes règlementaires. Par ailleurs, les principaux utilisateurs étrangers, pour échapper à ces nouvelles contraintes, pourraient se détourner des huiles essentielles de lavande, et reformuler leurs produits. Un risque majeur existe aussi de disparition de certains produits, comme le savon de lavande.

Par effet ricochet, c’est tout le secteur de la production de lavande qui sera lui aussi affecté. Or cette culture est parfois la seule possible sur les terres sèches à flanc de montagne de la Provence. La diminution de ces cultures ne pourra enfin que contribuer négativement à l’attrait touristique des régions de production, ainsi que réduire la ressource disponible pour les apiculteurs.

En s’en tenant au simple secteur de la culture de lavande et de lavandin pour produire des huiles essentielles, ce sont plus de 30 000 hectares qui sont concernés et 9 000 emplois directs. De jeunes exploitants se sont par ailleurs installés ces dernières années et comptent bien vivre de cette production. Les emplois indirects issus de l’activité touristique et de la production de miel peuvent eux être estimés à 17 000.

La France est le premier producteur au monde d’huile essentielle de lavandin (environ 1 500 tonnes par an) et le deuxième producteur mondial d’huile essentielle de lavande (environ 100 tonnes par an). La valeur des exportations des huiles essentielles représentait 1,3 milliard d’euros en 2018 pour la région Sud, sur un total de 2,7 milliards de produits agricoles (le vin représentant 600 millions d’euros). Enfin, la culture de la lavande participe fortement à l’attrait touristique de la Provence, et une démarche d’inscription des paysages de lavande et de lavandins des montagnes de Provence au patrimoine immatériel de L’Unesco est d’ailleurs en cours. C’est donc tout un écosystème qui est en danger, d’autant que la filière a déjà été fragilisée ces dernières années par une baisse importante des prix.

Ainsi, face à d’éventuelles nouvelles modifications de cette réglementation qui pourraient affecter la production et la commercialisation des produits à base d’huile essentielle de lavande, il est aujourd’hui nécessaire que la France affirme sa protection de cette filière historique.

Tel est l’objet de la présente proposition de résolution européenne.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 38 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant les avantages en termes économique procurés par la filière de production de lavande et d’huile essentielle de lavande à notre pays ;

Considérant le caractère patrimonial que revêt la culture de la lavande en Provence ;

Considérant l’attrait touristique que la culture de la lavande génère ;

Considérant les propriétés et l’évolution du processus de fabrication de l’huile essentielle de lavande ;

Considérant que la distinction entre huile essentielle et essence est reconnue par la nomenclature internationale des ingrédients cosmétiques ;

Considérant le péril sur toute une filière de production que pourrait entraîner un accroissement des contraintes règlementaires sur la production d’huile essentielle de lavande, considérée comme un produit chimique ;

Invite le Gouvernement à engager des négociations avec les membres du Conseil européen afin que l’huile essentielle de lavande, en tant que produit issu de la plante extrait par un processus d’entraînement à la vapeur d’eau, soit classée dans la catégorie « produits agricoles » au sens de l’article 38 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Suggère de conserver l’essence de lavande, entendue comme un mélange synthétisé chimiquement par l’homme pour reproduire la senteur de lavande, à l’exclusion des propriétés thérapeutiques de l’huile essentielle, dans la catégorie des produits chimiques.