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N° 4621

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour un traité sur la nonprolifération des énergies fossiles,

présentée par Mesdames et Messieurs

Matthieu ORPHELIN, Delphine BATHO, Delphine BAGARRY, Émilie CARIOU, Guillaume CHICHE, Paula FORTEZA, Albane GAILLOT, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Aurélien TACHÉ, Cédric VILLANI, Sébastien NADOT, Fabrice BRUN, Annie CHAPELIER,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Sortir des énergies fossiles est l’un des principaux leviers pour lutter contre le changement climatique d’origine humaine en cours.

Mais on observe que se passer des énergies fossiles est l’un des défis les plus complexes à surmonter à l’échelle de la planète : l’Accord de Paris sur le climat ne mentionne d’ailleurs pas une seule fois les énergies fossiles. Dès qu’un pays prend une initiative, même modeste comme en France avec la loi Hulot ([1]) dès qu’une idée est débattue, comme en Norvège sur la fin de la dépendance au pétrole lors de la dernière campagne législative, ou comme en France lorsque la fin des garanties export aux énergies fossiles est mise sur la table, les mêmes arguments reviennent : « si ce n’est pas nous, d’autres pays exploiteront ou utiliseront ces ressources fossiles ».

Pourtant, les scientifiques appellent depuis longtemps à laisser les réserves fossiles dans le sol, tandis que l’Agence Internationale de l’Énergie a appelé très solennellement à ne développer aucune nouvelle installation de charbon, de pétrole ou de gaz. À l’opposé, les dernières analyses de l’ONU (à travers son Production Gap Report 2021) montrent que le monde est sur la voie de produire 240 % de charbon, 71 % de gaz et 57 % de pétrole en trop en 2030 par rapport à ce que requiert l’objectif de l’Accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique à +1,5° C.

La France s’est engagée à faire cesser l’exploration et même l’exploitation des fossiles sur son territoire ; un objectif également adopté par le Danemark, et qui est en cours de discussion au Québec. Au‑delà de la production, la demande en énergies fossiles devrait drastiquement baisser afin d’atteindre les objectifs climatiques de court et de long terme : les pays les plus émetteurs, couvrant près de 75 % de l’économie mondiale, se sont engagés à atteindre la neutralité climatique entre 2045 et 2060, ce qui devrait impliquer mécaniquement la fin de l’usage des énergies fossiles à cet horizon. Il n’y a donc aucune bonne raison pour notre pays de ne pas promouvoir la fin de l’exploration et de l’exploitation des énergies fossiles au niveau mondial, si ce n’est pour malheureusement garantir les profits des actionnaires des firmes françaises productrices d’énergies fossiles à l’étranger. TotalEnergies, avec ses 11,3 milliards de dollars de bénéfices depuis le début de l’année 2021 ([2]) profite à ses actionnaires, comme le premier d’entre eux BlackRock, qui a jeté son dévolu sur la production de pétrole et de gaz en Arctique ou dans les nombreuses réserves naturelles d’Afrique de l’est.

Seule une action coordonnée, pouvant être impulsée par la France, peut permettre d’engager réellement la sortie mondiale des énergies fossiles, tout comme cela avait pu être fait pour le traité sur la non‑prolifération des armes nucléaires en 1968 qui s’est négocié au sein du « Comité des dix‑huit puissances sur le désarmement ». Cette coopération est la seule à même de garantir une transition juste.

Depuis 2019, 101 prix Nobel, plus de 2 500 scientifiques, plus de 800 ONG et plus de 100 élus nationaux de plus de 25 pays ont appelé à une plus grande coopération internationale sur les trois piliers d’une proposition de traité de non‑prolifération des combustibles fossiles ([3]) :

– Mettre fin à l’expansion de la production de charbon, de pétrole et de gaz et de tout hydrocarbure non‑conventionnel associé,

– Éliminer progressivement la production existante de combustibles fossiles conformément à l’objectif de +1,5° C fixé par l’Accord de Paris,

– Veiller à ce que la transition soit équitable afin qu’aucun travailleur, communauté ou pays ne soit laissé pour compte.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution invite le Gouvernement français à œuvrer pour sortir des énergies fossiles en coopérant avec d’autres gouvernements pour aboutir à un traité de non‑prolifération des énergies fossiles, et ainsi à faire de la France un acteur international moteur et exemplaire dans la lutte contre le réchauffement climatique.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée Nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant l’initiative mondiale pour un Traité de non‑prolifération des énergies fossiles ;

Considérant la nécessité d’avoir une approche transpartisane, coopérative et internationale sur ces sujets ;

Considérant la signature par la France de l’Accord de Paris et le rôle de leader de la France en matière de changement climatique en tant qu’hôte de la COP21 ;

Considérant l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique recensées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat notamment dans son dernier rapport du 9 août 2021 ;

Considérant l’objectif de la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ;

Considérant que l’empreinte carbone des Français ne pourra être limitée à deux tonnes de dioxyde de carbone par personne qu’en diminuant le contenu carbone des produits importés ;

Considérant l’accélération des catastrophes climatiques cet été partout dans le monde ;

Considérant que le changement climatique met en péril la vie humaine, leurs foyers, leurs moyens de subsistance et nombre de nos traditions culturelles, qu’il constitue l’une des plus graves menaces pour la civilisation humaine et la nature, qu’il accentue la propagation des maladies, qu’il menace nos modes actuels de production alimentaire, met en danger les infrastructures essentielles et précipite des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté, la faim et les migrations ;

Considérant que l’extraction, le raffinage, le transport et la combustion des énergies fossiles entraînent des impacts locaux en termes de pollution, d’environnement et de santé et mettent en danger les droits humains de certaines populations ;

Considérant que la combustion des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, est à l’origine de 80 % des émissions de dioxyde de carbone depuis la révolution industrielle et le facteur le plus important du réchauffement climatique d’origine humaine en cours ;

Considérant que pour limiter le réchauffement à + 1,5° C, il faudrait laisser dans le sol 60 % des réserves de pétrole et de gaz et 90 % des réserves de charbon selon une étude parue début septembre dans la revue Nature ;

Considérant que pour limiter le réchauffement climatique à + 1,5° C, les émissions de gaz à effet de serre doivent être au moins réduites de 45 % d’ici 2030 par rapport à 2010 à l’échelle mondiale, et que la production de charbon doit baisser de 11 % par an, la production de pétrole de 4 % par an et la production de gaz de 3 % par an entre 2020 et 2030 à l’échelle mondiale ;

Considérant que la limitation du réchauffement climatique à +1.5° C est impossible sans une réduction immédiate, rapide et massive des émissions de gaz à effet de serre selon le dernier rapport « United in Science » ;

Considérant le constat par l’Organisation des Nations unies dans sa synthèse des contributions déterminées au niveau national que les engagements pris pour limiter le changement climatique mènent actuellement le monde vers un réchauffement de + 2,7° C ;

Considérant les conclusions du récent rapport « net zéro » de l’Agence internationale de l’énergie affirmant que l’urgence absolue est de mettre fin au développement de nouveaux projets de production d’énergies fossiles ;

Considérant l’alerte par le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, en mai 2021 que « si les gouvernements prennent au sérieux la crise climatique, il ne peut pas y avoir de nouveaux investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon, à partir de maintenant » ;

Considérant que l’atteinte par les grands émetteurs de leurs objectifs de neutralité climatique entre 2040 et 2060 implique une baisse drastique de la demande d’énergies fossiles ;

Considérant qu’un décès sur cinq dans le monde est lié à la pollution de l’air ;

Considérant que plus de 80 % de la production mondiale d’énergie actuelle est d’origine fossile ;

Considérant l’appel du Parlement européen, en date du 21 octobre 2021, à soutenir l’alliance Beyond oil and gas lancée par le Danemark et le Costa Rica visant à créer une alliance de pays souhaitant supprimer la production de pétrole et de gaz et ne plus délivrer de permis pour de nouvelles prospections ;

Invite le Gouvernement français à initier un accord multilatéral international pour mettre fin à toute nouvelle expansion de l’exploration et de l’exploitation de pétrole, de gaz et de charbon ;

Invite le Gouvernement français à porter une stratégie européenne de coopération internationale pour la sortie mondiale des énergies fossiles à l’occasion de la Présidence française de l’Union Européenne, incluant une proposition d’accord européen ;

Invite le Gouvernement français à coopérer avec d’autres gouvernements pour éliminer progressivement l’utilisation du pétrole, du gaz et du charbon de manière juste et équitable, en tenant compte des responsabilités des pays en matière de changement climatique et de leurs capacités respectives de transition ;

Invite le Gouvernement français à coopérer avec d’autres gouvernements pour mettre en œuvre des politiques et des plans de transformation pour garantir un plein accès aux énergies renouvelables dans le monde entier, aider les économies à se diversifier en s’éloignant des combustibles fossiles et permettre aux personnes et aux communautés du monde entier de s’épanouir grâce à une transition mondiale juste ;

Invite le Gouvernement français à soutenir l’initiative lancée par le Danemark et le Costa Rica visant à créer une alliance de pays souhaitant supprimer la production de pétrole et de gaz et ne plus délivrer de permis pour de nouvelles prospections ;

Invite le Gouvernement français à adopter de nouvelles mesures contraignant les acteurs financiers et les investisseurs à adopter des stratégies de sortie de toutes les énergies fossiles ;

Encourage le Gouvernement français à de nouveaux engagements et traités internationaux, en complément de l’Accord de Paris, pour répondre à l’urgence d’une transition rapide et juste vers l’abandon des énergies fossiles et en faveur de la mise en place de systèmes énergétiques démocratiques, renouvelables et sûrs pour tous les peuples et toutes les communautés, conformément à l’objectif de limiter le réchauffement climatique en dessous de 1,5° C ;

Invite le Gouvernement français à collaborer avec d’autres États à l’élaboration d’un traité de non‑prolifération des combustibles fossiles afin d’éliminer progressivement ces derniers et de contribuer à une transition juste ;

Invite le Gouvernement français à ne plus soutenir aucun investissement dans les combustibles fossiles en initiant une révision du Traité sur la Charte de l’énergie ;

Invite le Gouvernement français à soutenir la création d’une base de données publique, transparente, participative, gratuite et en accès libre recensant la production et les réserves d’énergies fossiles traduites en équivalent dioxyde de carbone.


([1]) Loi  2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

([2]) 3 Mds$ au 1er trimestre, 3,5 Mds$ au 2e trimestre et 4,8 Mds$ au 3e trimestre. https://totalenergies.com/fr/actionnaires/resultats-et-presentations-investisseurs/resultats

([3]) Des scientifiques réclament un traité de non-prolifération des combustibles fossiles – Libération (liberation.fr)