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N° 4666

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant à la reconnaissance et à la poursuite des auteurs du crime d’agression perpétré contre l’Union européenne aux frontières de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie avec la Biélorussie, ainsi que des trafics d’êtres humains et autres infractions commis à cette fin,

présentée par Mesdames et Messieurs

Guillaume LARRIVÉ, Damien ABAD, JeanLouis THIÉRIOT, Constance LE GRIP, Patrick HETZEL, Véronique LOUWAGIE, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, Julien RAVIER, Brigitte KUSTER, Laurence TRASTOURISNART, Philippe BENASSAYA, Thibault BAZIN, Éric PAUGET, Olivier MARLEIX, Michel HERBILLON, Pierre VATIN, Rémi DELATTE, JeanYves BONY, Bernard PERRUT, Raphaël SCHELLENBERGER,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Lorsque Jacques Bainville évoquait la situation de la Pologne au sortir de la Grande Guerre, dans Les Conséquences politiques de la paix, il livrait cet avertissement : « quant aux frontières stratégiques, elles sont illusoires s’il n’y a pas derrière les bastions et les lignes de défense, une force organisée. » Et encore : « Toutes les luttes engagées entre les peuples qui voisinent sur ces Marches se sont terminées de la même manière : ceux qui possédaient un pouvoir central vigoureux mangeaient peu à peu les autres et « rassemblaient la terre » ».

Un siècle plus tard, c’est ce qui se joue, à nouveau, à l’est de l’Europe. Si l’Union européenne veut enfin exister comme puissance, elle doit faire respecter ses frontières extérieures.

Depuis l’été dernier, et plus encore depuis l’automne, des milliers de personnes, pour la plupart irakiennes ou syriennes, se trouvent amassées dans les forêts de Podlachie, à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie. La Lituanie et la Lettonie sont également confrontées à de tels flux.

La communauté internationale a tardé à prendre conscience de ce que signifiait cette situation : l’organisation, par une puissance étrangère et ses complices, d’une agression hybride contre des États membres de l’Union européenne et, partant, contre l’Union européenne elle‑même.

Car la pression migratoire que subissent la Pologne, la Lituanie et la Lettonie à leur frontière avec la Biélorussie est manifestement organisée par le régime de Minsk, ainsi que cela a été publiquement affirmé à maintes reprises, ces derniers jours, par les autorités françaises, l’Union européenne et plusieurs États membres du Conseil de sécurité des Nations Unies :

– lors d’une audition devant la commission des affaires européennes du Sénat, le 27 octobre, le secrétaire d’État aux affaires européennes a déclaré que : « une puissance sait nommer ses adversaires, et notre adversaire, ici, c’est la Biélorussie : je ne mets pas sur même plan le comportement du gouvernement polonais et celui du régime de M. Loukachenko (…) qui se livre (…) au trafic d’êtres humains (en impliquant directement des membres de sa famille !), avec des circuits organisés » ;

– par un communiqué en date du 10 novembre, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a dénoncé, au nom de l’Union européenne, « l’instrumentalisation orchestrée d’êtres humains par le régime biélorusse à des fins politiques » ; il a affirmé que « des groupes de migrants sont escortés par des forces de sécurité biélorusses armées en direction des frontières des États membres de l’UE afin de forcer leur entrée illégale. Ces actes montrent le cynisme du régime biélorusse qui, en attisant la crise aux frontières extérieures de l’UE, essaie de détourner l’attention de la situation qui prévaut dans ce pays, où la répression brutale et les violations des droits de l’homme se poursuivent et même s’aggravent. L’Union européenne condamne fermement le régime de Loukachenko, qui met délibérément en danger la vie et le bien‑être d’êtres humains. Non seulement ce régime viole le droit international, mais il agit au mépris des droits fondamentaux de l’homme que la Biélorussie s’est engagée à respecter. Ces actes inhumains appellent une vive réaction et une forte coopération à l’échelle internationale afin que la Biélorussie réponde de ces violations. (…) L’UE continuera de lutter contre la migration illégale d’État, y compris le trafic de migrants, comme celle organisée par le régime biélorusse, notamment en élargissant le régime de sanctions de l’UE, afin que celle‑ci puisse cibler les personnes qui participent et contribuent aux activités menées par le régime Loukachenko pour faciliter le franchissement illégal des frontières extérieures de l’Union. L’instrumentalisation de migrants à des fins politiques ne saurait être tolérée. » ;

– dans un entretien à la télévision BFMTV, le 11 novembre, le secrétaire d’État aux affaires européennes a indiqué : « ce n’est pas une crise migratoire comme on l’a connu dans le passé notamment il y a une dizaine d’années, c’est une attaque migratoire. Il faut avoir conscience de ce qui se passe. C’est organisé par le régime biélorusse qui fait venir un certain nombre de personnes. C’est un trafic d’êtres humains, tragiquement organisé, pour les acheminer vers la frontière de certains pays européens. » ; « Je crois, nous savons depuis 2020 qu’il y a eu cette élection présidentielle frauduleuse en Biélorussie. Que M. Loukachenko - je ne dis plus le président Loukachenko - a gardé le pouvoir le pouvoir avec sa famille, avec un régime dictatorial et l’Union européenne a réagi par un certain nombre de sanctions – c’était normal – et il essaye de mettre la pression sur l’Union européenne. Et il le fait avec quelques milliers de personnes, qu’il utilise – pardon de le dire comme ça – comme de la chair à canon, c’est un trafic organisé d’êtres humains à la frontière. » ; « Nous sommes solidaires de la Pologne, nous sommes solidaires de la Lituanie, nous sommes solidaires de la Lettonie, qui sont les trois pays européens concernés, parce que c’est l’Europe qui est testée ; ce n’est pas la Pologne et la Lettonie, c’est l’Europe. » ;

– par une déclaration conjointe publiée le 11 novembre après une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, les États‑Unis, le Royaume‑Uni, l’Irlande, la Norvège et l’Estonie ont dénoncé une « instrumentalisation orchestrée d’êtres humains » par le régime de Minsk à la frontière avec la Pologne afin de « déstabiliser la frontière extérieure de l’Union européenne » ;

– par un communiqué en date du 12 novembre, le ministre de l’Europe et des affaires étrangère et la ministre des armées ont « condamné le comportement irresponsable et inacceptable des autorités biélorusses concernant l’instrumentalisation de flux migratoires visant plusieurs pays de l’Union européenne ».

Une telle « agression migratoire » ne saurait rester impunie, à double titre. L’instrumentalisation des flux migratoires consiste, d’une part, à organiser un déplacement de populations, en se livrant à un trafic d’êtres humains et en les soumettant à des traitements dégradants. Ces actes, d’autre part, constituent un « crime d’agression », c’est‑à‑dire « le recours à la force armée par un État contre la souveraineté́, l’intégrité́ territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies », ainsi défini par les documents officiels de l’assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, publiés en 2002, ainsi que par ceux de sa conférence de révision de 2010.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution invite le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations Unies, afin de :

– reconnaître le crime d’agression perpétré contre l’Union européenne aux frontières de la Pologne, la Lituanie et la Lettonie avec la Biélorussie, ainsi que les trafics d’êtres humains et autres infractions commis à cette fin,

– poursuivre leurs auteurs.

Il est peu probable, certes, qu’une telle démarche puisse aboutir, au plan juridique, à court terme. À supposer même que le Conseil de sécurité accepte de saisir la Cour pénale internationale, et qu’aucun membre du Conseil de sécurité n’y oppose son veto, cette saisine rencontrerait sans doute un obstacle dirimant : pour l’heure, la Biélorussie n’est pas un État partie au Statut de Rome et par conséquent, aux termes de l’article 12 de ce Statut, la Cour pénale internationale ne pourrait être compétente, s’agissant d’une infraction commise par un ressortissant biélorusse, que si la Biélorussie consentait explicitement à ce que la Cour exerce sa compétence. La voie est encore plus étroite s’agissant du crime d’agression, puisqu’aux termes de l’article 15 bis du Statut, « en ce qui concerne un État qui n’est pas Partie au présent Statut, la Cour n’exerce pas sa compétence à l’égard du crime d’agression quand celuici est commis par des ressortissants de cet État ou sur son territoire. » Cette difficulté – inhérente au régime actuellement au pouvoir en Biélorussie – ne doit cependant pas dissuader la communauté internationale de procéder, aujourd’hui et demain, par toutes les voies de droit, à la répression des actes d’agression et des trafics d’êtres humains qui ont été commis. Même si elle devait être entravée au plan juridique, la saisine de la Cour pénale internationale serait une démarche politique témoignant de la détermination de la communauté internationale à ne pas laisser impunis les actes ainsi perpétrés par le régime actuellement au pouvoir à Minsk et par ses complices.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale,

Vu la loi n° 2010‑930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale,

Considérant que plusieurs milliers de personnes, pour la plupart de nationalités syrienne ou irakienne, se trouvent amassées aux frontières de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie avec la Biélorussie ;

Considérant que les autorités gouvernementales françaises ont qualifié cette situation d’ « attaque migratoire » et de « trafic d’êtres humains », en relevant que cette « instrumentalisation de flux migratoires visant plusieurs pays de l’Union européenne » était le fait du « comportement irresponsable et inacceptable des autorités biélorusses » ;

Considérant que le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a dénoncé, au nom de l’Union européenne, « l’instrumentalisation orchestrée d’êtres humains par le régime biélorusse à des fins politiques », en affirmant que « des groupes de migrants sont escortés par des forces de sécurité biélorusses armées en direction des frontières des États membres de l’Union européenne afin de forcer leur entrée illégale », que « le régime de Loukachenko met délibérément en danger la vie et le bien‑être d’êtres humains », que « ce régime viole le droit international » et commet des « actes inhumains » en organisant « la migration illégale d’État, y compris le trafic de migrants » ;

Considérant que, par une déclaration conjointe publiée le 11 novembre 2021 après une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, les États‑Unis, le Royaume‑Uni, l’Irlande, la Norvège et l’Estonie ont dénoncé une « instrumentalisation orchestrée d’êtres humains » par le régime de Minsk à la frontière avec la Pologne afin de « déstabiliser la frontière extérieure de l’Union européenne » ;

Invite le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations Unies, pour reconnaître le crime d’agression perpétré contre l’Union européenne aux frontières de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie avec la Biélorussie, ainsi que les trafics d’êtres humains et autres infractions commis à cette fin, et pour poursuivre leurs auteurs.