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N° 4727

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à protéger la base industrielle et technologique de défense
et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne
de la finance durable,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Françoise DUMAS, JeanLouis THIÉRIOT, JeanPhilippe ARDOUIN, Françoise BALLETBLU, Olivier BECHT, Christophe BLANCHET, Bernard BOULEY, JeanJacques BRIDEY, Carole BUREAUBONNARD, Christophe CASTANER, François CORMIERBOULIGEON, JeanPierre CUBERTAFON, Catherine DAUFÈSROUX, Yannick FAVENNECBÉCOT, JeanMarie FIÉVET, Thomas GASSILLOUD, Fabien GOUTTEFARDE, JeanMichel JACQUES, Anissa KHEDHER, Loïc KERVRAN, JeanChristophe LAGARDE, Fabien LAINÉ, JeanCharles LARSONNEUR, Didier LE GAC, Christophe LEJEUNE, Jacques MARILOSSIAN, Sereine MAUBORGNE, Philippe MEYER, Monica MICHELBRASSART, Philippe MICHELKLEISBAUER, Patricia MIRALLÈS, Florence MORLIGHEM, Josy POUEYTO, Muriel ROQUESETIENNE, Gwendal ROUILLARD, Nathalie SERRE, Benoit SIMIAN, Laurence TRASTOURISNART, Stéphane TROMPILLE, Pierre VENTEAU, Charles de la VERPILLIÈRE, Damien ABAD, Aude AMADOU, Patrice ANATO, Emmanuelle ANTHOINE, Frédéric BARBIER, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, Philippe BENASSAYA, Aurore BERGÉ, Émilie BONNIVARD, Aude BONOVANDORME, Ian BOUCARD, Yaël BRAUNPIVET, Anne BRUGNERA, Aude BONOVANDORME, Ian BOUCARD, Yaël BRAUNPIVET, Anne BRUGNERA, Danielle BRULEBOIS, Pierre CABARÉ, Jacques CATTIN, Jeanine DUBIÉ, Nicole DUBRÉCHIRAT, Jacqueline DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, PierreHenri DUMONT, Pascale FONTENELPERSONNE, Nicolas FORISSIER, JeanJacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Yannick HAURY, Danièle HÉRIN, Patrick HETZEL, Philippe HUPPÉ, Mansour KAMARDINE, Guillaume KASBARIAN, Jacques KRABAL, Grégory LABILLE, Luc LAMIRAULT, Marie LEBEC, Gaël LE BOHEC, Constance LE GRIP, Martine LEGUILLEBALLOY, Patricia LEMOINE, Nicole LE PEIH, Véronique LOUWAGIE, Sylvain MAILLARD, Jacqueline MAQUET, Jacques MAIRE, Patrick MIGNOLA, JeanMichel MIS, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Michèle PEYRON, Bérengère POLETTI, Natalia POUZYREFF, Florence PROVENDIER, Didier QUENTIN, Isabelle RAUCH, Julien RAVIER, Xavier ROSEREN, Laurianne ROSSI, Laetitia SAINTPAUL, Nathalie SARLES, Raphaël SCHELLENBERGER, JeanMarie SERMIER, Marie SILIN, Denis SOMMER, Sira SYLLA, Guy TEISSIER, Sylvain TEMPLIER, Agnès THILL, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Michel VIALAY, Stéphane VIRY, Sylvain WASERMAN, JeanMarc ZULESI, Michel ZUMKELLER,

députés.

 

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’existence d’une industrie de défense sur l’ensemble de notre territoire nous confère l’opportunité unique de ne pas dépendre de puissances étrangères pour assurer notre sécurité et de peser sur la scène internationale. La vigueur de notre Base industrielle et technologique de défense (BITD) constitue ainsi une condition sine qua non de notre autonomie stratégique, et in fine de notre souveraineté, préalable indispensable à la protection de la population et du territoire.

La capacité de financement des entreprises de la BITD joue à cet égard un rôle déterminant ; un affaiblissement de cette capacité conduirait à leur disparition progressive et à la prise de contrôle par des acteurs étrangers de nos actifs et compétences stratégiques, menaçant directement notre souveraineté.

Or, les entreprises de la BITD française et européenne connaissent aujourd’hui des difficultés croissantes pour financer leurs activités. C’est le constat que dresse, pour la BITD française, le rapport de la mission flash sur le financement de la BITD menée par les députés Françoise BALLET‑BLU et Jean‑Louis THIERIOT. Ce constat peut d’ailleurs être élargi à la BITD européenne ; les mêmes phénomènes étant à l’œuvre à travers l’Europe.

Au‑delà d’une simple méconnaissance du secteur, la frilosité bancaire à l’égard de l’industrie de défense s’explique tout d’abord par le durcissement des règles de compliance. Ainsi, en France, la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi SAPIN 2 », a poussé les banques à renforcer – parfois à l’excès – leurs mécanismes internes de prévention de la corruption, afin de s’assurer de la conformité de leurs procédures et des projets qu’ils financent.

Après des campagnes contre d’importantes institutions financières visant à atteindre leur réputation, le risque lié à l’image – parfois surévalué – est de plus en plus pris en compte et tend à rendre banques et investisseurs plus frileux dans leur soutien aux projets des entreprises de la BITD, et ce afin de limiter leur exposition.

Les institutions financières sont également incitées par les attentes des actionnaires et des clients à introduire des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG) dans leurs propositions d’investissement dont la mise en œuvre pourrait nuire, notamment, au financement de l’industrie de défense.

Dans ce contexte, il est regrettable que les travaux en cours sur la taxonomie (ou « taxinomie ») européenne de la finance durable soient utilisés pour chercher à affaiblir encore le financement des entreprises de la BITD.

Adopté dans le cadre du Pacte vert européen et du plan d’action de la Commission européenne « Financer la croissance durable », le règlement de l’Union européenne sur la taxonomie (règlement 2020/852 du Parlement et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables) pose les bases d’un système de classification des activités économiques aux fins de détermination du degré de durabilité environnementale des investissements.

Cette taxonomie a ainsi pour but de diriger les investissements vers des activités « vertes » selon les principes et critères techniques de la taxonomie. Pour ce faire, la taxonomie s’imposera aux grandes entreprises européennes qui seront tenues de publier les informations sur leur niveau de conformité à cette dernière en vertu de la directive 2014/95/UE (« NonFinancial Reporting Directive » ou « NFRD »). Elle servira aussi de référence commune obligatoire aux acteurs financiers offrant des produits financiers verts dans l’Union. Enfin, elle s’imposera à l’Union et aux États membres dans l’édiction des futures normes concernant les labels pour les produits financiers verts (notamment l’écolabel européen) et les obligations vertes (les « green bonds ») émises aussi bien par des institutions publiques que privées.

L’outil fonctionnant de manière binaire – soit l’activité est complètement « verte », soit elle ne l’est pas du tout –, l’exclusion d’une activité de la taxonomie a un effet potentiel désastreux sur le financement du secteur en cause. Ainsi, si la mise en place de la taxonomie poursuivait initialement l’objectif, vertueux, d’inciter les investisseurs à tourner leurs financements vers des activités économiques durables d’un point de vue environnemental, elle peut désormais avoir pour effet pervers de nuire au financement d’activités répondant à des objectifs durables tout aussi fondamentaux que la préservation de l’environnement. C’est au premier rang le cas des industries de souveraineté, et en premier lieu du secteur de la défense.

Une société incapable d’assurer sur la durée les moyens de sa sécurité – dont le développement et le maintien de sa BITD constituent un élément indispensable – ne peut raisonnablement pas se concentrer sur la transition écologique de l’ensemble de son économie.

Or, non seulement les activités économiques relevant du secteur de la défense ne figurent pas dans le premier acte délégué du 21 avril 2021 relatif au volet climatique de la taxonomie, mais surtout le rapport technique du Centre de recherche commun (JRC) de l’Union sur le développement d’un écolabel européen pour les produits financiers de détail prévoit d’exclure explicitement les entreprises dont la part d’activités de production et de vente d’armes conventionnelles et d’équipements militaires « utilisés pour le combat » dépasse les 5 % de leur chiffre d’affaires.

Une telle rédaction conduirait à une mise à l’index injustifiée des activités de défense qui, si elle était confirmée dans les mois à venir, fournirait à tous les acteurs hostiles à l’industrie de l’armement un argument fallacieux leur permettant de finir de décourager les banques et les investisseurs de financer les entreprises de la BITD. Cette aggravation du risque d’image notamment pour les banques, doublé de la privation pour les entreprises de la BITD de la possibilité d’être financées à travers des obligations vertes émises notamment par les institutions publiques, met sérieusement en péril la pérennité de l’industrie de la défense française et européenne.

Cette exclusion serait susceptible de remettre en cause l’autonomie décisionnelle stratégique de l’Union européenne et de ses États membres et pourrait également se révéler finalement contre‑productive sur le plan environnemental. Car, grâce aux multiples législations déjà mises en place en Europe, les entreprises de la BITD française et européenne demeurent bien plus attentives et vertueuses sur ce plan que les entreprises de défense extra‑européennes. Or, les difficultés de financement de nos entreprises, qui pourraient les fragiliser irrémédiablement, nous conduiraient nécessairement à importer ce que nous ne produirions plus, c’est‑à‑dire à faire appel à des produits intrinsèquement moins‑disant du point de vue écologique, dont l’acheminement générerait par ailleurs plus de gaz à effet de serre qu’une production directe sur le sol européen.

Au lieu d’exclure purement et simplement les industries de défense de la taxonomie européenne, il serait ainsi plus pertinent d’encourager les investissements durables dans ce secteur. La création d’obligations vertes et d’écolabels en direction d’investissements encourageant des activités respectueuses de l’environnement dans l’industrie de défense en particulier serait une occasion unique de concilier les deux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, de sauvegarde de notre souveraineté et de notre capacité à protéger nos compatriotes, qui constituent pour l’Europe et la France les deux défis du siècle à relever.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 14 et 42,

Vu le programme du 25 septembre 2015 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies intitulé « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 »,

Vu la communication du 22 novembre 2016 de la Commission européenne intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable – action européenne en faveur de la durabilité : questions et réponses »,

Vu le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu le rapport technique du 5 mars 2021 du Centre conjoint de recherche de l’Union européenne sur le « Development of EU Ecolabel criteria for Retail financial products »,

Vu la communication de la Commission européenne du 30 novembre 2016 intitulée « Plan d’action européen de défense »,

Vu la déclaration du 17 janvier 2019 de Madame Florence Parly, ministre des Armées, au Bourget sur l’industrie de l’armement française et européenne,

Vu la note d’information n° 13 du 6 juillet 2020 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur « les enjeux de la base industrielle et technologique de défense européenne »,

Vu le rapport du 17 février 2021 de la mission flash de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur « le financement de l’industrie de défense »,

Sur l’importance d’une industrie de la défense forte pour l’autonomie stratégique européenne et française

Considérant la crise des organisations multilatérales de sécurité et de coopération le développement accru de la conflictualité, avec un recours de plus en plus désinhibé à la force par les acteurs étatiques et non‑étatiques,

Considérant que par la fourniture d’équipements aux forces armées des États membres et de leurs partenaires, l’industrie de défense permet à l’Union européenne d’assurer sa propre sécurité face aux menaces et favorise l’autonomie stratégique dans ses décisions,

Considérant que Madame Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré au Bourget que « notre autonomie politique et opérationnelle repose d’abord sur une autonomie technologique et industrielle » et par la suite aux Rencontres économiques d’Aix‑en‑Provence qu’il était choquant de « dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques »,

Considérant les importantes retombées économiques, sociales, technologiques et fiscales découlant de l’industrie de défense et des activités associées,

Sur les relations entre les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et la base industrielle et technologique de défense

Considérant que l’application problématique et inappropriée de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance conduit à terme à priver les entreprises européennes de la défense et de la sécurité du bénéfice de certains services financiers et assurantiels,

Considérant qu’il n’y a aucune raison d’exclure a priori un secteur industriel quel qu’il soit d’une démarche de développement durable,

Considérant que certains travaux techniques de la Commission européenne sur l’établissement d’un écolabel pour les produits financiers de détail qui envisagent d’exclure de ce dernier les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat », ne peuvent qu’aggraver la stigmatisation du secteur par les acteurs de la finance,

Considérant la contribution cruciale du secteur de la défense aux Objectifs de développement durables des Nations unies, définis par le programme à l’horizon 2030 et constituant la base de la taxonomie, et notamment le 16e objectif : « Paix, justice et institutions efficaces »,

Considérant l’effort réalisé par la communauté de la défense en vue de la transition écologique, que ce soit sous l’impulsion des différentes forces armées européennes ou des initiatives prises par les entreprises de la défense et de la sécurité,

Considérant que 80 % du foncier métropolitain des armées fait l’objet d’une protection au titre de la biodiversité et que plus de 20 % est classé Natura 2000,

Considérant que les forces armées participent activement à la surveillance maritime du deuxième espace maritime mondial au titre de l’action de l’État en mer pour y préserver notamment les ressources halieutiques et lutter contre toutes les formes de pollution,

Considérant que le ministère des Armées doit être considéré, grâce notamment aux équipements qu’il met en œuvre, comme l’un des acteurs majeurs de la protection des espaces naturels et du respect des normes environnementales promues par la France et l’Union européenne,

Considérant qu’il ne pourra y avoir de politique sérieuse de réduction de l’empreinte environnementale de l’État sans un accompagnement résolu de la transition écologique des équipements militaires et un développement en écoconception des futurs matériels des armées dont la production est européenne à plus de 90 %,

Considérant enfin qu’une production industrielle localisée en Europe contribue aux objectifs d’un développement réellement durable,

Sur l’inopportunité de l’exclusion de l’industrie de défense de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable

Considérant, ainsi que l’a souligné la ministre des armées, qu’une exclusion de l’industrie de défense et de sécurité de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable relèguerait l’ensemble du secteur au rang des pratiques commerciales irrégulières ou illégitimes, risquant ainsi de paralyser cet écosystème industriel déjà fragmenté et dont les collaborations européennes sont encore trop insuffisantes,

Considérant l’importance sociale, économique et stratégique d’une industrie européenne regroupant plus de 460 000 travailleurs qualifiés et réalisant un chiffre d’affaires de 180 milliards d’euros par an,

Considérant que les entreprises de la base industrielle et technologique de défense souhaitent s’investir de manière positive dans l’élaboration d’une taxonomie européenne de la finance durable,

Considérant que l’écosystème de défense est fermement ancré dans le système juridique de l’Union européenne et de ses États membres, que ces entreprises respectent strictement les conventions internationales applicables et la réglementation du contrôle à l’exportation,

Considérant l’importance des initiatives volontaires de l’Union européenne dans le domaine de la défense (coopération structurée permanente, fonds européen de défense, initiative européenne pour la paix, etc.),

Considérant en conséquence qu’une exclusion de la taxonomie européenne de la finance durable affaiblit significativement les efforts en cours pour le renforcement d’une base industrielle et technologique de défense européenne,

1. Demande à la Commission européenne de revenir sur le projet, formulé par le centre conjoint de recherche de l’Union européenne, d’exclure l’industrie de défense de la taxonomie européenne de la finance durable et également de revenir sur le projet d’exclure de l’écolabel sur les produits financiers de détail les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat » ;

2. Insiste sur la nécessité au contraire de promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne afin de doter l’Union européenne d’une autonomie décisionnelle stratégique et lui permettre ainsi d’assurer la sécurité de ses États membres tout en favorisant une approche de développement durable ;

3. Invite le Gouvernement à peser de tout son poids, et notamment à profiter de la prochaine présidence française du Conseil, pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l’Union les enjeux liés à l’existence d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte dont l’existence est compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.