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N° 4764

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à construire une Europe plus forte, plus dynamique
et plus solidaire dans le champ du médicament,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. JeanLouis TOURAINE et Mme Audrey DUFEU,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire a mise en lumière les fragilités de l’Union européenne en matière de santé publique et de médicaments. Certes, l’Union européenne a considérablement renforcé son action en matière de médicaments et de produits de santé en lançant des procédures conjointes de passation de marché, en négociant avec les industriels pour qu’ils augmentent leurs capacités de production ou encore en encourageant l’effort européen de recherche sur le SARS‑CoV‑2. Malgré l’ensemble de ces efforts, la plupart des acteurs s’accordent à dire que l’absence d’une politique européenne de la santé et du médicament a limité notre capacité à réagir efficacement pour faire face à la crise. La politique d’achats groupés de vaccins, qu’il faut saluer, a d’ailleurs connu plusieurs limites, liées en particulier à l’insuffisante capacité de négociation de la Commission et aux difficultés qu’elle a pu rencontrer pour forcer le respect des engagements contractuels.

Le constat d’un modèle pharmaceutique européen fragilisé est pourtant loin d’être nouveau et nombreux sont ceux qui alertent depuis longtemps sur l’importance de le rendre plus résilient pour faire face aux crises sanitaires à venir.

Les pays européens font aujourd’hui principalement face à trois grands défis. Ils subissent d’abord, comme l’ensemble des pays développés, l’augmentation très fort du prix des médicaments innovants qui, liée à la financiarisation du secteur pharmaceutique, menace la soutenabilité des modèles de santé. Ensuite, dans le domaine de la recherche et de l’innovation, de nombreux pays européens ont perdu leur rang. L’enjeu de ce déclassement, loin d’être seulement économique, est aussi sanitaire, rendant plus difficile un accès équitable et rapide aux traitements innovants. En raison de la délocalisation à l’étranger de la plupart des structures de production de principes actifs entrant dans la composition des médicaments, les pays européens sont, enfin, de plus en plus dépendants de pays tiers dans le domaine sanitaire. Ajoutée à la complexification croissante de la chaîne d’approvisionnement, cette dépendance favorise les pénuries de médicaments, toujours plus nombreuses et aux conséquences souvent dramatiques pour les patients européens.

La reconquête d’une souveraineté européenne dans le champ sanitaire doit constituer une priorité et la Commission européenne semble en avoir pris conscience, en présentant une ambitieuse stratégie pharmaceutique pour l’Europe, publiée le 25 novembre 2020. L’Union européenne dispose de réels atouts pour redevenir un territoire d’innovation en santé, et c’est à l’échelon européen qu’il est possible de recréer les conditions d’une production et d’un approvisionnement en médicaments sécurisés.

Dans ce cadre, et dans la perspective de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui aura lieu du 1er janvier au 30 juin 2022, la présente proposition de résolution européenne vise à affirmer l’attachement de l’Assemblée nationale à la mise en œuvre de cette stratégie pharmaceutique. Elle vise aussi à présenter de nombreux leviers qui pourront être activés pour construire une Europe plus forte, plus dynamique et plus solidaire dans le champ du médicament.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain,

Vu la communication de la Commission du 11 novembre 2020 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l’Union européenne face aux menaces transfrontières graves » (COM/2020/724 final),

Vu la communication de la Commission du 25 novembre 20220 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Stratégie pharmaceutique pour l’Europe » (COM/2020/761 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un rôle renforcé de l’Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles‑ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux (COM/2020/725 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (COM/2020/726 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et abrogeant la décision n° 1082/2013/UE (COM/2020/726 final),

Vu le règlement (UE) 2021/522 du Parlement européen et du Conseil du 24 mars 2021 établissant un programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé (programme « L’UE pour la santé ») pour la période 2021‑2027, et abrogeant le règlement (UE) n° 282/2014,

Vu le règlement (UE) 2021/695 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 portant établissement du programme‑cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon Europe » et définissant ses règles de participation et de diffusion,

Vu la communication de la Commission du 17 juin 2020 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil et à la Banque européenne d’investissement, intitulée « Stratégie de l’Union concernant les vaccins contre la covid‑19 » (COM/2020/245 final),

Vu la communication de la Commission du 16 septembre 2020 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Présentation d’HERA. L’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire, la prochaine étape vers l’achèvement de l’Union européenne de la santé »,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE (COM/2018/051 final),

Vu le règlement 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE,

Vu la résolution du Parlement européen du 17 septembre 2020 sur la pénurie de médicaments – comment faire face à un problème émergent (2020/2071 (INI)),

Vu la communication de la Commission du 11 décembre 2019 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Le pacte vert pour l’Europe » (COM/2019/640 final),

Sur la gouvernance de l’Europe du médicament 

1. Considérant que, pendant la crise sanitaire de la covid‑19, l’Union européenne a considérablement renforcé son action sur l’ensemble de ses champs de compétence, notamment en matière de médicaments et de dispositifs médicaux,

2. Considérant néanmoins que, pendant cette crise, l’absence d’une politique européenne du médicament à part entière a limité les échanges d’informations entre les États membres et n’a pas permis d’assurer un approvisionnement totalement efficace en médicaments et en équipements dans toute l’Union européenne,

3. Considérant que l’évaluation des produits de santé est aujourd’hui très fragmentée, conduisant les instances nationales à réaliser parallèlement et simultanément des évaluations similaires sur un même médicament, ce qui se traduit par une utilisation inefficiente des ressources,

4. Considérant le souhait de la Commission européenne de renforcer le rôle des instances compétentes en matière de médicaments et de créer une nouvelle structure, appelée « Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire »,

5. Considérant que la refonte des instances européennes compétentes en matière de médicament doit prendre en compte des enjeux qui vont bien au‑delà de l’anticipation et de la gestion des crises sanitaires,

6. Appelle à une clarification du rôle des instances européennes que sont le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l’Agence européenne des médicaments et l’instance « Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire », mise en place au sein des services de la Commission européenne le 16 septembre 2021,

7. Appelle à une adoption rapide de la proposition de règlement concernant l’évaluation des technologies de la santé, son implémentation rapide et ambitieuse, et demande à la Commission européenne d’étudier, à moyen terme, l’opportunité de faire porter l’évaluation commune réalisée par l’Agence européenne des médicaments sur l’appréciation du service rendu par le médicament et sur son impact médico‑économique,

8. Invite le Gouvernement français à créer un poste de Haut‑Commissaire aux produits de santé, lequel serait notamment chargé de porter, à l’échelle européenne, les priorités stratégiques françaises en matière de médicaments et de s’assurer de l’absence de redondance entre les missions assurées par les différentes instances de régulation nationales et européennes,

Sur la fixation des prix des médicaments

9. Considérant que, dans la mesure où la stratégie de l’industrie pharmaceutique se déploie à l’échelle européenne – voire internationale –, c’est à cette échelle que les pouvoirs publics gagneraient à placer leur capacité d’action et de négociation,

10. Considérant que le prix des médicaments manque de transparence et ne prend pas suffisamment en compte la valeur qu’ont, pour la société, la garantie de sécurité d’approvisionnement et l’assurance d’une certaine souveraineté sanitaire,

11. Invite le Gouvernement français à participer aux projets intergouvernementaux visant à renforcer les échanges d’information sur le prix des médicaments, comme l’initiative BeNeLuxA ou le groupe de La Valette,

12. Propose d’encourager, au niveau européen, les négociations conjointes de médicaments, notamment des plus onéreux, en perfectionnant le modèle mis en place en urgence pendant la crise sanitaire en matière de vaccination,

13. Estime nécessaire, à moyen terme, de fixer les prix des médicaments – du moins ceux qui bénéficient de la procédure centralisée – à l’échelon européen,

14. Considère que le pacte vert pour l’Europe constitue une opportunité majeure pour encourager les fabricants de produits pharmaceutiques à participer au plan de relance vert en produisant dans le respect des normes environnementales et écologiques,

15. Propose la création, à l’échelon européen, d’un label « développement durable » qui permettrait d’offrir un avantage, en matière de prix facial ou de stabilité du prix, aux médicaments dont la chaîne de production et de distribution répond à des normes sociétales et environnementales élevées et permet de réduire le risque de rupture d’approvisionnement,

16. Demande, en conséquence, que l’Union se dote de moyens techniques et financiers spécifiques pour renforcer les inspections des sites pharmaceutiques européens au sein de l’Union et en dehors, sur le modèle de ce que fait aujourd’hui la Food and Drug Administration américaine,

Sur la recherche et l’innovation en matière de médicaments

17. Considérant que l’Union européenne apporte un soutien important à la recherche et l’innovation en santé, notamment dans le cadre du programme cadre Horizon Europe,

18. Considérant toutefois la nécessité d’avoir une vision beaucoup plus partagée des priorités stratégiques en matière d’innovation en santé et de consolider les partenariats européens entre le public et le privé,

19. Considérant que l’Union européenne a connu un déclassement important en matière de réalisation d’essais cliniques, lequel induit une perte de chances pour les patients mais également un retard, plus général, dans l’accès aux innovations,

20. Considérant que la transparence des essais cliniques constitue une exigence éthique et scientifique qui contribue à la fois à la protection de la santé publique et à la capacité d’innovation de la recherche médicale européenne,

21. Invite le Gouvernement français à renforcer le plan d’action national d’amélioration de la participation française aux programmes européens de recherche et d’innovation et à le doter d’un pilotage interministériel,

22. Demande à la Commission européenne d’examiner les leviers pour faire émerger, au sein de l’Union européenne, un nombre réduit d’écosystèmes de taille suffisamment significative, sur le modèle du biocluster de Boston,

23. Invite le Gouvernement français à se saisir de la présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022 pour faire de la recherche en santé une recherche partenariale plus forte et plus efficace à l’échelon européen et pour lancer un projet important d’intérêt européen commun « Santé » destiné à accompagner le développement des innovations en santé,

24. Juge indispensable une entrée en vigueur rapide du règlement européen n° 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, lequel permettra une plus grande coopération entre États membres ainsi qu’une plus grande transparence,

Sur la reconquête de la souveraineté sanitaire de l’Union européenne et la lutte contre les pénuries

25. Considérant que l’Union européenne est de plus en plus dépendante dans le champ sanitaire, dans la mesure où près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers et où 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l’Union,

26. Considérant que les pénuries de médicaments, de plus en plus nombreuses, font peser une lourde charge sur les systèmes de santé européens et peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les patients,

27. Considérant que la stratégie pharmaceutique pour l’Europe fait du renforcement de l’autonomie stratégique ouverte de l’Union européenne, sa priorité, que cette autonomie passe par la production de médicaments sur le sol européen et par la mise en place d’une réponse robuste à la problématique des pénuries,

28. Appelle à établir une définition commune des notions de « pénuries » et de « ruptures d’approvisionnement », ainsi que de « médicament essentiel » ou « médicament d’intérêt thérapeutique majeur »,

29. Appelle à fluidifier la chaîne d’approvisionnement des médicaments en harmonisant, au niveau européen, les règles de conditionnement secondaire et les notices pour les médicaments indispensables et à étudier la possibilité, à plus long terme, d’harmoniser les règles de conditionnement primaire,

30. Invite la Commission européenne à créer une plateforme numérique au niveau européen, permettant de recenser l’état des stocks de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et à harmoniser les règles de stockage de médicaments entre pays européens,

31. Propose de conditionner les aides publiques européennes aux entreprises pharmaceutiques à un accès facilité au médicament et à mettre en place des dispositifs associant soutien public et contrats d’achat de médicaments ;

32. Juge indispensable d’établir une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, considérés comme essentiels pour l’autonomie stratégique de l’Union européenne et devant être relocalisés en priorité ;

33. Propose également la mise en place d’une réserve obligatoire de ces médicaments de trois à cinq mois sur les sites européens de production afin de réduire le risque de pénurie sur ces produits cruciaux ;

34. Rappelle que les médicaments génériques et biosimilaires permettent de garantir l’efficacité et la sécurité des traitements, de renforcer la concurrence, de réduire les prix et de faire des économies au profit des systèmes de santé, contribuant ainsi à améliorer l’accès des patients aux médicaments ;

35. Demande à la Commission européenne de mettre en place une cartographie de l’ensemble des sites de production de médicaments au sein de l’Union européenne afin d’identifier l’ensemble des capacités de production et notamment celles qui sont sous‑utilisées ;

36. Estime que l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire devrait recenser les menaces émergentes pour la santé, initier et soutenir le développement de l’innovation, établir au niveau européen une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, faciliter leur production au sein de l’Union, promouvoir l’achat groupé et constituer des stocks stratégiques de ces médicaments ;

37. Invite les États membres de l’Union européenne à réfléchir à l’opportunité de créer une structure pouvant prendre la forme d’une entreprise à but non lucratif ou d’un réseau rassemblant des acteurs publics et privés (pharmacies hospitalières, hôpitaux, établissements et entreprises pharmaceutiques, façonnier…) dont l’objectif serait de produire les médicaments considérés comme indispensables pour la santé publique et soumis à de forts risques de pénuries.

38. Encourage la signature d’accords industriels entre les acteurs de l’industrie pharmaceutique de l’Union afin de renforcer la production européenne de médicaments et d’améliorer l’accès constant à des médicaments abordables ;

Sur la mise en place d’un régime des brevets flexible et au service des objectifs de santé publique

39. Considérant que les brevets constituent un outil indispensable dans le parcours du médicament mais qu’ils sont parfois détournés de leur usage premier et peuvent constituer une entrave à la diffusion des innovations, comme l’a mis en lumière l’expérience de la crise sanitaire ;

40. Appelle à mobiliser pleinement, au niveau européen, l’ensemble des outils prévus par le droit international pour contester les pratiques abusives en matière de brevets ;

41. Invite le Gouvernement à porter une proposition de révision de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les aspects de propriété intellectuelle qui touchent au commerce visant à garantir sa pleine effectivité.