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N° 4767

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 décembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à retirer la France de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord,

présentée par Mesdames et Messieurs

Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Adrien QUATENNENS, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

député.es.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de résolution questionne l’intérêt de la France à être membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Seule alliance militaire intégrée au monde, l’OTAN, dont la fondation en 1949 a entraîné celle en 1955 du Pacte de Varsovie, avait vocation à disparaître à la fin de la Guerre froide. Elle n’a au contraire eu de cesse depuis trente ans de vouloir justifier son existence, au risque d’exacerber les tensions. Entérinée sommet après sommet, l’extension permanente de ses champs d’action a amené l’OTAN à intervenir, par exemple, dans les Balkans, en Afghanistan ou encore en Libye.

En dépit des résultats désastreux de cette dérive, qui a notamment favorisé les conditions d’émergence de groupes armés potentiellement terroristes, l’OTAN continue d’affirmer qu’elle est une « alliance défensive, qui ne représente une menace pour aucun pays », et qu’elle « garantit la liberté d’un milliard de personnes ». Dans les faits, selon l’Institut de Recherches sur la Paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires cumulées de l’ensemble des membres de l’OTAN représentaient, en 2019, 1 035 milliards de dollars (895 milliards d’euros) ‑ dont 731 milliards de dollars (632 milliards d’euros) pour les USA, soit plus de la moitié des dépenses militaires mondiales. Et injonction est régulièrement faite à ces mêmes membres de consacrer au moins 2 % de leur PIB au budget militaire. Cette montée en puissance vise notamment, nous dit la doctrine de l’Alliance à horizon 2030, à « s’adapter » au « défi systémique » que représenterait la Chine. Or, avec des dépenses militaires plus de trois fois inférieures à celles des États‑Unis, une base militaire permanente à l’étranger, contre des centaines pour les USA, 2 porte‑avions, bientôt 3, contre 11, 350 ogives nucléaires, contre 1 600 (280 côté français), la Chine a les moyens de sa défense, mais nest pas une menace militaire pour la France. Notre pays n’a par conséquent aucun intérêt à se laisser entraîner, directement ou de proche en proche, dans un conflit militaire avec la Chine aux conséquences incommensurables.

Outre son caractère belliciste, l’OTAN regroupe des membres dont la France ne partage pas les intérêts stratégiques et la vision du monde. C’est le cas de la Turquie, avec laquelle les épisodes de tensions se sont multipliés ces dernières années. Et c’est bien sûr le cas des ÉtatsUnis, qui décident de l’essentiel des orientations de l’OTAN, et jouent par ailleurs habilement des tensions internes à l’alliance pour empêcher que n’y émergent des orientations collectives divergentes des leurs. Comment peuton encore croire, après l’affaire de l’alliance AUKUS face à la Chine et la rupture du contrat de livraison de sousmarins par l’Australie au profit des ÉtatsUnis, en la loyauté de ces derniers visàvis de la France ? Durant sa campagne et depuis le début de son mandat, le président des ÉtatsUnis Joe Biden a insisté sur le retour du « leadership étasunien dans le monde », à la tête d’une supposée « alliance des démocraties ». Mais le « multilatéralisme » n’est pour l’administration étasunienne qu’un instrument de la puissance nationale. Le président actuel, pas plus que ses prédécesseurs, n’a donc aucune intention de revenir sur une conception purement instrumentale des relations avec les alliés des ÉtatsUnis. Au contraire, notre pays a tout intérêt au sauvetage et au renforcement d’un système de sécurité collective onusien qui passe, notamment, par une conception non instrumentalisée du droit international.

Ce constat amène enfin à questionner l’argument de la complémentarité de l’OTAN avec l’objectif d’autonomie stratégique européenne, souvent avancé en faveur de la présence de la France dans l’OTAN. Sans même aborder la question de la pertinence et de la possibilité de concrétisation d’une autonomie stratégique européenne, on ne peut que constater l’incompatibilité entre ce concept défini sérieusement et l’appartenance à l’OTAN. Dès les années 1990 les ÉtatsUnis ont appliqué leur volonté de contrer « l’émergence d’accords de sécurité intraeuropéens qui saperaient l’OTAN, et surtout la structure de commandement intégré de l’alliance » (par exemple dans le Defense Planning Guideline 19941999, https ://www.archives.gov/files/declassification/iscap/pdf/2008003docs112.pdf). Sur fond d’exagération de la menace russe pour faire accepter la « protection » supposée des ÉtatsUnis, cette orientation est gravée dans le marbre des traités européens et régulièrement rappelée. Y compris par des pays européens comme l’Allemagne, dont la ministre de la Défense a plusieurs fois affirmé, face aux propositions sur l’autonomie stratégique européenne, que « l’OTAN demeure et demeurera l’ancre de la sécurité européenne ».

Dans ce contexte notre pays a tout intérêt à se libérer du carcan que représente l’OTAN pour parler de sa propre voix. Il est non seulement possible, mais nécessaire, d’en sortir pour retrouver une totale indépendance militaire et diplomatique.

L’argument selon lequel la France, « puissance moyenne », aurait seule une influence dérisoire et serait incapable de défendre ses intérêts, ne survit pas à l’analyse. Quand, en 1966, le général De Gaulle a annoncé le retrait de la France du Commandement intégré de l’OTAN, entre autres pour empêcher qu’elle soit entraînée dans quelque conflit dans lequel ses intérêts ne seraient pas en jeu, les arguments contraires étaient les mêmes qu’aujourd’hui. Selon la majorité des commentateurs et des acteurs politiques la France était promise à l’affaiblissement du fait de ce choix. La décision du Général de Gaulle était même parfois assimilée à une forme de « trahison » visàvis des alliés et de l’Occident. Or c’est le contraire qui a pu être observé. La diplomatie nonalignée qui a découlé de cette décision a permis à la France de voir son influence progresser. Le retour en 2009 dans le commandement intégré, dans la soidisant « famille occidentale » nous a dit le président de l’époque, a été une erreur. Comme on pouvait s’y attendre, le « pari » opéré alors s’est révélé perdant : aucun élément sérieux ne vient étayer l’argument selon lequel le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN aurait accru son influence sur les orientations d’une alliance où rien ne peut se faire qui n’aille dans le sens de l’intérêt national perçu des ÉtatsUnis.

La France a, à l’heure actuelle, largement les moyens de sa défense dès lors que celleci n’est pas confondue avec une multiplication d’opérations extérieures sans direction stratégique. Et son inscription dans une alliance militaire permanente va à l’encontre des dynamiques du monde actuel, dans lequel les logiques de bloc ont encore moins de sens que lors de la période bipolaire de la Guerre Froide. Les alliances sont de plus en plus fluides, les contextes régionaux de plus en plus changeants, les défis communs, comme le changement climatique, de plus en plus pressants. La France jouit dans ce contexte d’un atout décisif qui est sa présence sur tous les océans. Son économie, sa souveraineté militaire et sa capacité à intégrer des coalitions sous mandat onusien, sa géographie et son rayonnement scientifique et culturel en font une puissance mondiale. Elle peut bien plus que ne le disent ceux qui la minorent pour mieux l’aligner. Elle a les prédispositions territoriales pour une diplomatie globale au service de la paix et de l’intérêt général humain. Au regard de ces réalités l’atlantisme n’offre aucune protection. Il fait office de carcan et va à l’encontre des intérêts stratégiques de notre pays. En sortant de l’OTAN, et en tournant le dos à toute alliance militaire permanente, la France ne se retrouvera pas seule, mais non alignée. La rupture avec la condescendance du « camp occidental » accroîtra la portée de ses messages. Dans les espaces stratégiques que sont la francophonie, les pays émergents, l’Afrique, l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), elle pourra pousser, avec les acteurs les proposant déjà, à des coopérations d’intérêt général  réponses à la crise écologique, alternatives au néolibéralisme, protection et accès aux biens communs de l’humanité, désarmement multilatéral etc.  sans rien céder à son indépendance de vue et d’action.


proposition de rÉsolution

 Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que l’appartenance à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est contraire aux intérêts de la France et que le retour de la France dans son commandement intégré en 2009 a altéré son influence ;

Considérant que la France dispose, en toute autonomie, des moyens de sa défense nationale ;

Considérant que les transformations du monde actuel rendent encore plus pertinente la mise en œuvre d’une diplomatie non alignée ;

Invite le Gouvernement à interroger la place de la France dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Cette réflexion pourrait conduire à envisager le retrait de la France, retrait qui pourrait s’opérer en deux temps : un retrait immédiat du commandement intégré de l’alliance dans un premier temps ; et une sortie complète de l’organisation planifiée dans un second temps, afin notamment d’élaborer les parades aux sanctions que pourraient vouloir imposer les États-Unis du fait de ce retrait.