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N° 4854

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative à l’émergence d’une véritable souveraineté européenne
dans les secteurs de la défense et de la santé,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Christophe NAEGELEN,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire de la covid‑19 a mis en exergue notre dépendance aux productions stratégiques et place la question de la souveraineté européenne au cœur du débat politique. La construction d’une politique de souveraineté commune afin de protéger nos fleurons européens, relocaliser nos industries stratégiques et bâtir une réelle autonomie européenne est relancée. Cette période doit en marquer le tournant.

À l’heure où s’engage le plan de relance européen, où les débats relatifs à la « boussole stratégique » mettent en lumières les orientations de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne, où la nouvelle coalition allemande au pouvoir affiche une volonté européenne à même de renforcer le couple franco‑allemand, où des mesures fortes sont attendues face à la crise du coronavirus, il parait indispensable de poser de nouveaux jalons répondant à la création d’une souveraineté à l’échelon européen, en particulier dans les secteurs de la défense et de la santé.

Parallèlement, la Commission européenne prévoit d’engager une révision de sa politique commerciale sur les questions de souveraineté stratégique d’ici la fin de l’année et a publié le 5 mai 2021 une proposition de règlement afin de limiter les distorsions de concurrence causées par les subventions étrangères au sein du marché unique. L’objectif poursuivi est clair, réussir à imposer des sanctions aux produits subventionnés comme la Commission européenne parvient à le faire dans le marché unique, en renforçant le contrôle des investissements étrangers, et ce afin que, comme dans le marché intérieur, la concurrence soit la plus équitable et loyale possible.

L’Union européenne s’est dotée de deux instruments qu’il conviendra de citer, qui participent d’ores et déjà à la construction d’une Europe de la Défense. Il s’agit du Fonds Européen de Défense et de la Coopération Structurelle Permanente. Le premier finance les projets menés en coopération renforçant l’autonomie stratégique européenne, tandis que le second offre un cadre juridique pour consolider les différentes industries nationales de défense au niveau européen. Mais la création d’une Europe de la Défense forte appelle à davantage de coopération et à la création de véritables intégrateurs européens, notamment afin de réduire nos dépenses dans les secteurs critiques, d’encourager les achats groupés et de créer une véritable industrie européenne de l’armement.

Dans le domaine de la santé, il n’existe pas à ce jour une souveraineté européenne en matière de production de médicaments, d’équipements médicaux et plus précisément de principes actifs. Ainsi, 40 % des médicaments finis commercialisés dans l’Union européenne proviendrait de pays tiers, tandis que 80 % des principes actifs des médicaments seraient fabriqués en Chine et en Inde, sur un nombre de sites restreints. Cette dépendance si stratégique doit nous alerter sur les risques de rupture d’approvisionnement au sein de l’Union. Pourtant, se soigner, répondre aux besoins vitaux des citoyens européens, ne devrait en aucun cas dépendre de pays n’appartenant pas à l’Union. Pour reprendre les mots du président Emmanuel Macron « La création d’une Europe de la santé doit devenir notre priorité ». À cette fin et en parallèle d’un renforcement des pouvoirs l’Agence européenne du médicament, nous devons aboutir à la création d’une souveraineté sanitaire européenne, solide, capable d’assurer entre États membres une véritable solidarité afin de ne pas revivre la pénurie de médicaments et de matériel médical que nous a fait vivre la crise de la covid‑19.

Ainsi, afin de préserver le tissu industriel existant des appétits étrangers et lutter contre les protectionnismes extérieurs, la mise en place d’un Buy American Act à l’européenne appliqué notamment aux secteurs de la défense et de la santé, semble répondre efficacement à la nécessité de protéger l’accès aux marchés publics européens de ce secteur contre les pays qui n’appliquent pas le principe de réciprocité dans l’ouverture des investissements. Un tel mécanisme, calqué sur la législation américaine encouragerait, sans transgresser les règles de l’OMC, la préférence européenne et contribuerait à la construction d’une Europe de la défense.

Sur le modèle du Buy American Act appliqué aux secteurs de la défense et de la santé, un tel dispositif permettrait d’inciter et d’encourager la préférence européenne en favorisant les matériels produits dans l’Union, sans interdire aux pays membres d’acheter dans des pays tiers. Ainsi serait développée une souveraineté à l’échelon communautaire, la protection des intérêts stratégiques serait renforcée et par la même occasion en réaction, les moyens consacrés au développement de technologies européennes abondés.

Ainsi, aux États‑Unis, la législation prévoit un régime renforcé d’application de la préférence nationale en matière de défense, bien au‑delà du Buy American Act qui depuis 1933 exclut les marchandises ou candidats étrangers aux appels d’offres publics. Cette loi sur la préférence nationale établit un traitement préférentiel à l’égard des produits fabriqués aux États‑Unis, en pénalisant les offres proposant des produits étrangers au moment de leur évaluation par l’application d’un taux de surcoût théorique. En outre, l’accès aux marchés de défense aux exportateurs étrangers est limité. Certains monopoles d’acquisition sont même propres au Département de la Défense. Les Defense Appropriations Act Restrictions sont des amendements aux lois de finances qui interdisent purement au Département de la Défense l’acquisition de produits étrangers dont la liste s’allonge chaque année.

Le Département de la Défense a conclu plusieurs accords bilatéraux, notamment avec la France, qui exonèrent les offres provenant d’entreprises de ces pays, ou proposant des produits provenant de ceux‑ci, de l’application du Buy American Act. Néanmoins, il est possible, par voie législative de neutraliser les effets de ces accords bilatéraux ce qui met en exergue leur faiblesse et la dimension protectionniste américaine. En conséquence, les entreprises de l’Union européenne ne sont pas, en réalité, exonérées des mesures protectionnistes.

Pour ces raisons et compte tenu du contexte sanitaire, il apparait indispensable de moderniser la politique européenne de concurrence afin de susciter une préférence européenne en matière de défense et de santé par l’adoption d’un cadre juridique équivalent à la législation nord‑américaine. Par ailleurs, le Conseil européen dans son Programme stratégique adopté le 20 juin 2019 indiquait « Accorder plus clairement la priorité aux intérêts de l’Europe », et assurer, en matière commerciale, « une concurrence loyale, la réciprocité et des avantages mutuels ».

Pour le secteur de la défense, la création d’un tel dispositif permettrait également de favoriser une interopérabilité des armées au sein de l’Union. À ce jour, puisqu’aucune préférence européenne en matière de défense n’existe, les achats d’équipements conduisent à l’utilisation au sein même de l’Union, de 178 systèmes d’armes différentes. Cette diversité d’équipements rend l’interopérabilité des armées européennes très problématique. L’achat par de nombreux pays européens d’avions de combat F‑35 américains plutôt qu’européens et encore plus récemment la rupture par l’Australie du contrat conclu en 2016 avec la France pour la fourniture de sous‑marins conventionnels illustrent ces propos et le manque de vision stratégique européenne.

En matière sanitaire, un Buy American Act à l’échelle européenne permettrait de stimuler les investissements, la recherche et la relocalisation de nos industries du secteur au sein des pays membres.

Il s’agit d’envoyer un signal fort en corrélation avec l’agenda politique et avec les récentes déclarations du Président Emmanuel Macron qui réaffirmait le 7 février 2020 la nécessité de retrouver à l’échelon européen une politique de souveraineté pour les infrastructures critiques et réclamait une politique de souveraineté économique et numérique commune. Il déclarait même le dimanche 11 novembre 2018 « Je ne veux pas voir les pays européens augmenter le budget de la défense pour acheter des armes américaines ou autres, ou des matériels issus de votre industrie. Si nous augmentons notre budget, c’est pour bâtir notre autonomie ».

Dans un contexte de forte concurrence internationale avec les États‑Unis ou la Chine, depuis de nombreuses années, la question de l’indépendance européenne fait débat et nos récentes difficultés d’approvisionnement nous rappellent la nécessité d’introduire une logique souveraine dans notre arsenal juridique européen et d’en adapter notre politique de concurrence. Les tentatives n’ont jusqu’ici pas abouti, mais le nécessaire rebond économique et social européen doit ouvrir la voie.

 Il faut dès aujourd’hui avoir le courage politique de bâtir notre autonomie européenne dans des secteurs aussi critiques que celui de la défense et de la santé : à chaque fois qu’un État membre de l’Union européenne doit acheter du matériel de défense ou médical et qu’une entreprise d’un État membre de l’Union est en capacité de lui fournir, il devra privilégier un tel approvisionnement.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 101, 102, 114, 153, 168, 173, 346 et 348 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2009/81 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE,

Vu la directive 2009/43 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté,

Vu le Livre vert sur les marchés publics de défense, destiné à contribuer à « la construction progressive d’un marché européen pour les équipements de défense plus transparent et ouvert entre les États membres »,

Vu le Livre blanc sur les effets de distorsion liés aux subventions étrangères au sein du marché unique,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur,

Vu le programme stratégique le de l’Union européenne pour 2019‑2024,

Vu le règlement n° 282/2014 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2014 portant établissement d’un troisième programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé (2014‑2020),

Considérant la nécessité de protéger nos industries stratégiques européennes ;

Considérant le contexte de forte concurrence internationale ;

Considérant l’importance de protéger l’accès aux marchés publics européens du secteur de la défense et d’adapter nos règles de concurrence européenne ;

Considérant l’impérieuse nécessité de bâtir une Europe de la santé et une souveraineté sanitaire ;

Appelle la Commission européenne à prendre toutes les initiatives nécessaires pour réunir l’ensemble des parties prenantes afin de permettre l’adoption d’un pacte de préférence européen appliqué notamment aux secteurs de la défense et de la santé.