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N° 4900

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à réaffirmer le devoir de protection des enfants,

présentée par Mesdames et Messieurs

Cécile UNTERMAIER, Claudia ROUAUX, MarieNoëlle BATTISTEL, JeanLouis BRICOUT, Alain DAVID, Lamia EL AARAJE, David HABIB, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Gérard LESEUL, Josette MANIN, Christine PIRES BEAUNE, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Michèle VICTORY, JeanFélix ACQUAVIVA, Delphine BAGARRY, Thibault BAZIN, Karine LEBON, Ian BOUCARD, Émilie CARIOU, Annie CHAPELIER, Francis CHOUAT, Charles de COURSON, Olivier FALORNI, Albane GAILLOT, Laurence GAYTE, FrançoisMichel LAMBERT, Jean LASSALLE, Paul MOLAC, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Matthieu ORPHELIN, JeanLuc REITZER, Maina SAGE, Alain TOURRET, Laurence TRASTOURISNART, Isabelle VALENTIN, Cédric VILLANI, Martine WONNER,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » L’alinéa premier de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 et ratifiée le 11 août 1990, pose formellement le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La CIDE, texte contraignant, dispose qu’il revient aux États d’ » assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bienêtre », de prendre « à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées », et de veiller à ce que « le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes. »

Le principe de l’intérêt supérieur est corrélé aux trois autres principes incontournables de la Convention : la non‑discrimination, le droit à la survie et au développement, ainsi que la prise en compte de l’opinion de l’enfant. Aussi, bien qu’il n’existe pas de définition précise, ni de consensus autour de son contenu, il est largement entendu comme la prise en compte de la personne et du point de vue de l’enfant dans toutes les décisions le concernant, dans l’objectif de préserver son bien‑être et son droit au développement dans un environnement favorable à sa santé mentale et physique. Les États ayant ratifié la Convention et ayant intégré ce principe en droit interne, ont donc l’obligation de le respecter lors de toute prise de décisions, qu’elles émanent des autorités administratives ou judiciaires.

La protection de l’enfant et de son intérêt supérieur exige la vigilance du législateur et des pouvoirs publics à raison de menaces de tous ordres dont ce dernier fait l’objet. Des dispositions ont d’ores et déjà été prises avec le code de la justice pénale des mineurs et le projet de loi relatif à la protection des enfants, déposé le 16 juin 2021 à l’Assemblée nationale.

1. Des dizaines de milliers d’enfants sont maltraités en France. Les violences physiques, psychologiques ou sexuelles, et les nouvelles formes d’exploitation et de maltraitance, avec l’accès de moins en moins surveillé à internet, sont une réalité quel que soit le milieu social. Les juges sont saisis, chaque année, en moyenne de 110 000 dossiers relatifs à de nouveaux mineurs en danger, dont 35 000 âgés de moins de six ans. Un enfant meurt de maltraitance tous les quatre jours en France.

Deux rapports terrifiants sur les crimes sexuels ont été publiés en octobre 2021 :

La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), présidée par Jean‑Marc Sauvé, fait état dans son rapport relatif aux violences sexuelles dans l’Église catholique en France entre 1950 et 2020, de 216 000 victimes recensées de crimes sexuels perpétrés par des clercs, 330 000 si l’on inclut les victimes de laïcs liés à l’Église catholique. Au‑delà de la reconnaissance par l’Église de sa responsabilité en tant qu’institution et de la mise en œuvre de la procédure pénale, figure dans ce rapport une quarantaine de propositions, imposant notre attention.

La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE) a rendu compte, dans son premier avis, que près de 22 000 enfants sont chaque année victimes de violences sexuelles commises par leur père. Pourtant en 2020, seules 1 700 personnes ont été poursuivies. Les mères des enfants se retrouvent souvent mises en cause et accusées d’avoir manipulé leur enfant, dans un contexte de séparation. La CIIVISE fait des préconisations que le législateur doit examiner.

Punir les coupables et soigner les prédateurs sexuels pour éviter la récidive sont impératifs. Mais l’intérêt supérieur de l’enfant commande autant que la prévention et la vigilance soient la règle, dans tous les secteurs publics et privés.

2. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté en France, soit trois millions d’enfants. 20 % des sans domicile fixe sont des mineurs, quand d’autres enfants vivent dans des logements précaires.

3. Un « Plan Enfance »([1]) s’impose à nous pour protéger les enfants, accompagner les parents et responsabiliser la société afin de faire de leur santé physique et morale l’enjeu d’aujourd’hui et de demain.

L’adoption d’un « code de l’enfance » doit permettre de rassembler les dispositions de droit interne ou international, et de clarifier le rôle des acteurs locaux, comme de l’État, garant de l’harmonisation des politiques publiques menées à ce sujet, sur le territoire national.

Chaque mineur en danger doit pouvoir bénéficier de la présence d’un avocat à ses côtés. Aux termes de l’article 1186 du code civil, lors d’une procédure d’assistance éducative, le mineur capable de discernement peut faire le choix d’un conseil ou demander au juge que le bâtonnier lui en désigne un d’office. La désignation d’un avocat pour l’enfant en danger doit être désormais la règle. Par ailleurs, des moyens humains et matériels renforcés doivent être attribués à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et à la justice civile. Les conditions de travail des juges des enfants doivent permettre l’examen des dossiers de l’ASE en temps utile et l’application de leurs décisions dans les délais prévus. La protection de l’enfant passe également par un meilleur accompagnement à la parentalité.

La société tout entière - écoles, services publics, secteur associatif et secteur privé - doit mener des actions de prévention, de vigilance et de surveillance, avec l’objectif de ne laisser aucun enfant dans la souffrance. L’école doit être en lien avec les spécialistes de l’enfance et pourvue d’un référent luttant contre le harcèlement scolaire. Enfin, le numérique requiert un encadrement passant par une prise de conscience des acteurs de ce secteur, par l’adoption d’une réglementation de protection de l’enfance en ligne par l’Union européenne.

4- Tous les enfants n’ont pas la chance de grandir dans un milieu familial protecteur. Le rapport porté par Gautier Arnaud‑Melchiorre, issu de témoignages d’enfants placés, remis à Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles le 20 novembre 2021, propose plusieurs pistes d’amélioration du quotidien des enfants placés par l’ASE.

« J’ai le droit d’être un enfant ou un adolescent comme un autre », ainsi commence la « Charte des droits des enfants protégés », annexée au rapport susmentionné. Il est essentiel d’associer ces derniers aux décisions les concernant, d’éviter toute pratique concourant à la stigmatisation des enfants qui ne peuvent vivre dans leur famille et les accompagner au‑delà de 18 ans.

La protection de l’enfant et de son intérêt supérieur doit être une cause nationale et internationale. Elle exige que l’on s’en empare à tous niveaux, dans tous secteurs.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989,

Considérant les nombreuses menaces pesant sur l’enfant ;

Considérant que celui‑ci doit être au cœur de nos politiques publiques, et que sa protection requiert la mobilisation de tous les acteurs ;

Constate que les rapports précités comportent des informations et des préconisations sérieuses et devant être prises en considération ;

Salue la création au sein de la commission des lois d’un groupe de travail sur les suites législatives à donner aux travaux de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église ; 

Invite le Gouvernement à engager une réforme ambitieuse de l’aide sociale à l’enfance, assurant une qualité équivalente de prévention et de soutien sur l’ensemble du territoire national ;

Invite le Gouvernement à doter la justice civile des moyens humains et matériels lui permettant de mener à bien ses missions et de veiller à la protection des droits de l’enfant, en garantissant la présence d’un avocat à ses côtés ;

Invite le Gouvernement à mener, dans la suite de la codification de la justice pénale des mineurs, les travaux tendant à la codification de l’ensemble des dispositions relatives aux droits de l’enfant ;

Invite le Gouvernement à agir dans tous secteurs pour prévenir les violences physiques, psychologiques et sexuelles, identifier les menaces et accompagner les victimes.


([1]) ATTALI, Jacques, Faire réussir la France : 30 réformes majeures et 250 actions urgentes, Paris : Fayard, 2021