Description : LOGO

N° 5034

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à condamner les crimes contre l’humanité,
au caractère potentiellement génocidaire, perpétrés depuis l’été 2017
contre les Rohingyas en Birmanie,

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Sabine RUBIN,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de résolution vise à condamner les crimes contre l’humanité, au caractère potentiellement génocidaire, perpétrés depuis l’été 2017 contre les Rohingyas en Birmanie, ainsi que les exactions, considérées par certaines ONG comme des crimes contre l’humanité. Ces exactions sont exercées plus spécifiquement dans le cadre de la répression de toutes les oppositions politiques et citoyennes depuis le coup d’État du 26 février 2021. Elle propose également des mécanismes concrets susceptibles de rendre plus efficaces les efforts diplomatiques déployés par la France en défense des Rohingyas. Elle suggère enfin de s’appuyer sur ce cas pour porter au sein de l’Organisation des Nations unies des propositions étendant les protections du droit international en rendant contraignants les principes directeurs des Nations unies relatifs eux entreprises et aux droits de l’homme (UNGP).

En août 2017, plus de 500 000 rohingyas, du nom de la minorité musulmane représentant 5 % (soit 1,2 million de personnes) de la population de Birmanie, ont dû fuir en quelques semaines vers le Bangladesh. Ils cherchaient à échapper aux persécutions de l’armée birmane et de certaines franges de la communauté religieuse majoritaire bouddhiste.

Au prétexte de lutter contre « l’Armée du salut des rohingyas de l’Arakan », poussée à l’autodéfense après plusieurs vagues de répression d’État, l’armée birmane souhaite en fait effacer toute présence musulmane du pays. Un objectif poursuivi depuis le retrait collectif de la nationalité birmane aux Rohingyas en 1982 par la junte militaire. Dans cette logique, alors que les rebelles rohingyas avaient annoncé la fin de leurs actions et rejeté toute forme de soutien proposé par des groupes islamistes opportunistes, l’armée birmane a continué ses opérations. Elle l’a fait y compris en ouvrant le feu sur les femmes et les enfants, et incendiant les villages rohingyas.

Les Rohingyas sont persécutés en tant que membre d’une minorité religieuse. Si cette persécution a pris un tour nouveau à partir de 2017, elle s’inscrit dans une discrimination systématique exercée de longue date. La planification par le régime de l’éradication de cette minorité ne fait pas de doute. Les témoignages, les photos et les vidéos recueillis aboutissent tous à la même conclusion selon Amnesty international : les Rohingyas sont victimes d’une attaque généralisée et systématique, constitutive de crimes contre l’humanité. En 2018 la mission diligentée par le Conseil de Sécurité de l’ONU a conclu à un nettoyage ethnique marqué par des massacres à grande échelle, des viols massifs en réunion, des incendies de villages. La mission estimait alors à 10 000 le nombre de rohingyas tués dans ces opérations. Au moins 392 villages ont été partiellement ou totalement rasés. Le président de la mission a alors pointé une « chaîne de commandement très claire », qui agit dans une « impunité totale ». En septembre 2019 les enquêteurs de l’ONU ont conclu que les 600 000 Rohingyas vivant encore en Birmanie font face à une persécution systématique et vivent « sous la menace d’un génocide »

Sur cette base, la Gambie a saisi en 2019 la Cour Internationale de Justice, au motif que la Birmanie ne respectait pas ses obligations au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Celle‑ci a ordonné à la Birmanie le 23 janvier 2020 de prendre des « mesures conservatoires » pour « prévenir des actes de génocide envers les Rohingyas ». Cette décision n’a pas eu d’effet sur la politique des autorités birmanes.

Les persécutions se sont au contraire aggravées avec le coup d’État et le retour au pouvoir de la junte militaire début 2021. Elles se sont élargies à l’ensemble des opposants politiques. La répression des manifestations a fait plus de 1 000 morts depuis un an, dont environ 75 enfants. Des milliers d’arrestations ont été recensées. Le premier ministre actuel, le général Min Aung Hlaing, n’est autre que le planificateur en chef de la répression des Rohingyas. Dans ces conditions toute perspective de fin des persécutions envers les Rohingyas est compromise.

On compte désormais environ 855 000 réfugiés rohingyas dans le camp de Cox’s Bazar, à Kutupalong au Bangladesh, à la frontière de la Birmanie. Il s’agit du plus grand camp de réfugiés au monde. Déchus de le leur nationalité les Rohingyas sont apatrides. Et si le Bangladesh les accueille, il leur refuse le statut de réfugiés. Cette situation leur rend encore plus difficile l’accès aux droits élémentaires, leur interdit tout travail légal, et les expose aux exploitations de toutes sortes. Les conditions de vie des réfugiés sont déplorables. Des centaines de milliers d’enfants rohingyas n’ont pas accès à l’éducation. L’accès aux soins est très limité. Le manque d’hygiène, la surpopulation et les aléas naturels provoquent une surmortalité importante. À partir de 2020 la pandémie de covid‑19 a aggravé la situation dans un camp comptant 70 000 habitants au kilomètre carré. Enfin chaque année, les infrastructures mises en place par les ONG sont pour partie dévastées par les glissements de terrain provoqués par les moussons et les migrations saisonnières d’éléphants sauvages.

La diplomatie française s’est exprimée au sujet de la situation des Rohingyas et, depuis un an, des birmans en général. Dès septembre 2017 le président de la République a dénoncé un « nettoyage ethnique ». La France a été, avec le Royaume‑Uni, à l’initiative de la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en novembre 2017 et définissant une feuille de route en vue d’une sortie de crise. La France a également soutenu l’établissement d’un mécanisme d’enquête indépendant par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en septembre 2018 pour recueillir, consolider, préserver et analyser les preuves afin de faciliter les poursuites à l’encontre de leurs auteurs par les autorités judiciaires compétentes. Elle a coparrainé les résolutions adoptées en septembre 2019 au cours de la 42ème session du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies et en novembre 2019 au cours de la 74ème session de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Union européenne a mis en œuvre un régime de sanctions à l’encontre de la Birmanie.

Mais, selon Human Rights Watch notamment, ces mesures sont affaiblies par la tactique adoptée par les chancelleries du dialogue à huis clos avec les autorités birmanes. Tactique aggravée par une « foi persistante et erronée » dans la crédibilité démocratique supposée de l’ancienne dirigeante de facto, Aung San Suu Kyi, Cheffe du gouvernement de facto d’avril 2016 à février 2021. À la Haye, en décembre 2019, cette dernière avait nié les atrocités commises contre les Rohingyas et appelé la CIJ à rejeter la demande de mesures conservatoires.

Il faut donc aller plus loin, en rappelant notamment la continuité, pour ce qui concerne la répression des Rohingyas, entre la période durant laquelle le pouvoir était officiellement civil et la nouvelle phase de pouvoir militaire ouverte par le coup d’État de 2021. Ce principe peut être mis en œuvre au sujet des activités de multinationales comme TotalEnergies en Birmanie. TotalEnergies, jusqu’alors un des premiers investisseurs étrangers en Birmanie, a attendu le 21 janvier 2022 pour se résigner à quitter la Birmanie, à la fois comme actionnaire et comme opérateur, en se retirant du champ gazier de Yadana. Ce retrait n’aurait pas été mis en œuvre sans les révélations selon lesquelles le groupe contribuait au financement de la junte militaire, grâce à un montage financier autour du gazoduc sous‑marin reliant le gisement de Yadana à la Thaïlande. Des centaines de millions de dollars ont échappé à l’État birman au profit d’une entreprise publique opaque et contrôlée par les militaires.

Dans le communiqué par lequel TotalEnergies a annoncé son retrait, près d’un an après le coup d’État, seul ce dernier et les pratiques de la junte depuis lors en direction de l’opposition politique sont pointés. Aucune allusion n’est faite aux persécutions de masse dont sont spécifiquement victimes les Rohingyas, et dont on sait qu’elles ont débuté bien en amont du coup d’État de février 2021. Elles ont donc été cautionnées par les civils au pouvoir entre 2016 et 2021, au premier rang desquels Aung San Suu Kyi.

TotalEnergies, comme d’autres entreprises comme Accor, a eu toute latitude de respecter ou non les « encouragements » officiels de la France en direction des entreprises à respecter les droits de l’Homme dans toutes leurs activités, afin de « contribuer au développement économique inclusif du pays ainsi qu’au renforcement de la transition démocratique birmane ». Bien qu’émis conformément aux principes directeurs des Nations unies relatifs eux entreprises et aux droits de l’homme (UNGP), approuvés par consensus par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2011, ces « encouragements » sont insuffisants.

Dans le cas de la Birmanie ces déclarations ont même pu faire diversion par rapport au refus de la France et d’autres gouvernements de porter un appel mondial à des sanctions sur les revenus étrangers issus des ventes de pétrole et de gaz qui financent la junte et ses achats d’armes. Or selon les ONG, le plus sûr moyen de mettre fin aux exactions en Birmanie est de priver l’armée birmanes des revenus qui lui permettent de financer ses crimes. Cela passe par un ciblage des revenus de la junte issus du gaz, sa plus importante source de revenus en provenance de l’étranger, d’un montant d’environ un milliard de dollars par an.

En conséquence, ces principes doivent donc d’une part se muer en obligation. D’autre part, le retour de TotalEnergie - et de toute autre entreprise multinationale française concernée - sur le marché birman ne doit pas être conditionné au seul rétablissement d’un pouvoir civil répondant à certains critères officiels d’une démocratie. Il doit être conditionné à l’arrêt des persécutions contre les Rohingyas.

Au‑delà du cas de la Birmanie, faire que l’application des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme devienne pour les multinationales française une obligation, et non une simple « responsabilité », placerait la France à l’avant‑garde dans le cadre du débat qui traverse la communauté internationale à ce sujet.

En 2013 le gouvernement équatorien de l’époque, soutenu par 84 gouvernements, avait proposé un instrument juridique contraignant pour les opérations des sociétés transnationales. Les Nations unies avait alors accepté de créer un groupe de travail intergouvernemental en vue de rédiger un instrument contraignant. Cette initiative n’a pas abouti à ce jour, faute notamment de soutien de l’Union européenne et des États‑unis. La France a ici l’occasion de reprendre le flambeau du progrès humain, en soutenant pleinement les négociations en cours à l’ONU pour un traité contraignant les multinationales à respecter des normes sociales et environnementales exigeantes.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

1. Condamne les crimes contre l’humanité, au caractère potentiellement génocidaire, perpétrés depuis l’été 2017 contre les Rohingyas en Birmanie ;

2. Condamne les exactions, considérées par certaines organisations non gouvernementales comme des crimes contre l’humanité, exercées plus spécifiquement dans le cadre de la répression de toutes les oppositions politiques et citoyennes depuis le coup d’État du 26 février 2021 en Birmanie ;

3. Invite le gouvernement français à pousser au renforcement des sanctions internationales contre la junte birmane en ciblant les revenus du gaz, première source de financement de la junte ;

4. Invite le Gouvernement français à rappeler, dès à présent, que le retour de multinationales françaises en Birmanie ne doit pas être conditionné au simple retour à un pouvoir civil élu, mais en premier lieu à la fin des exactions de masse à caractère potentiellement génocidaire exercées à l’encontre les Rohingyas ;

5. Invite le gouvernement français à rendre contraignant dans le droit français les principes directeurs des Nations unies relatifs eux entreprises et aux droits de l’homme, approuvés par consensus par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2011, et à appuyer les négociations en cours à l’Organisation des Nations unies pour un traité contraignant les multinationales à respecter des normes sociales et environnementales exigeantes.