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N° 5219

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 avril 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à garantir l’égal accès de tous les Français aux services publics
et à lutter contre leur déshumanisation,

présentée par Mesdames et Messieurs

Xavier BRETON, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Édith AUDIBERT, Nathalie BASSIRE, Thibault BAZIN, Philippe BENASSAYA, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, Bernard BOULEY, Jacques CATTIN, Gérard CHERPION, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Fabien DI FILIPPO, Nicolas FORISSIER, Claude de GANAY, Philippe GOSSELIN, Victor HABERTDASSAULT, Annie GENEVARD, Yves HEMEDINGER, Patrick HETZEL, Michel HERBILLON, Mansour KAMARDINE, Marc LE FUR, Véronique LOUWAGIE, Emmanuel MAQUET, Bernard PERRUT, Didier QUENTIN, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, JeanMarie SERMIER, Robert THERRY, Laurence TRASTOURISNART, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Charles de la VERPILLIÈRE, Stéphane VIRY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, les services publics conditionnent l’accès effectif à de nombreux droits. Ils sont dès lors tenus de garantir une égalité des usagers et d’assurer une continuité d’action.

Pourtant tous les jours, beaucoup de nos concitoyens éprouvent de grandes difficultés pour faire aboutir une démarche administrative et se heurtent à la déshumanisation croissante de nos services publics.

Trois ans après la parution de son rapport « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », le Défenseur des droits vient de publier un rapport de suivi sur les inégalités d’accès aux droits provoquées par des procédures numérisées à marche forcée.

Le constat est sévère. En 2021, l’essentiel des réclamations adressées au Défenseur des droits était lié à un problème de dématérialisation des services publics. Les difficultés d’accès à ces services concernent une part très importante de la population. Ainsi les 7,5 millions de personnes en France étant privées ou ne disposant pas d’une couverture Internet avec un débit suffisant pour se connecter aux sites gouvernementaux n’ont pas la possibilité d’accéder directement à ces services. Par ailleurs, 20 % de ceux qui ont accès à Internet ne maîtrisent pas suffisamment l’outil informatique pour effectuer ces démarches. Plus de 10 millions de personnes sont ainsi en difficulté avec le numérique.

Ajoutons à cela que les personnes ne pouvant ainsi pas effectuer leurs démarches sont généralement déjà en difficulté : personnes vulnérables, âgées, handicapées, dans des zones blanches ou encore en forte précarité. L’accès aux services publics leur est essentiel, sinon vital. Il s’agit d’un droit, aujourd’hui mis en cause.

Tout d’abord, la couverture haut débit – de plus en plus indispensable (et même essentielle pour certaines démarches) – n’a pas atteint les objectifs fixés, avec en prime une hausse des inégalités dans la répartition de la couverture ni de réseau. Il en va de même pour la fibre (couverture de 80 % en zones urbaine et périurbaine, mais seulement 30 % en zone rurale). Cette situation est encore plus préoccupante en Outre‑Mer.

Par ailleurs, les sites numériques du service public ne sont pour la plupart que partiellement opérationnels. Des simulateurs d’aides ne reflètent pas certaines prestations auxquelles peuvent avoir droit nos concitoyens tandis que les outils numériques mis à leur disposition ne couvrent pas l’ensemble des situations. Comment alors parler d’une réelle dématérialisation du service public ? Et que dire des moyens de mesure de la qualité du service sur ces sites qui ne sont par définition accessibles qu’aux personnes ayant réussi à se connecter ? Ajoutons à cela que certaines démarches – pour le permis de conduire ou l’immatriculation par exemple – ne peuvent plus que s’effectuer en ligne, excluant de facto de ce service les Français victimes des limites du système.

La volonté du gouvernement de dématérialiser le service public est telle que les structures physiques d’accueil des personnes en difficulté ne sont en réalité que des centres d’aide aux démarches en ligne. La suppression pure et simple des démarches administratives physiques est enclenchée. Les médiateurs qui s’y trouvent ne sont trop souvent compétents que pour l’aspect numérique, et non administratif de ces démarches. L’accès à ces centres est conditionné à un rendez‑vous qui ne peut parfois être pris que… sur Internet. Les difficultés liées aux centres physiques d’accueil se multiplient : l’implantation d’un centre France services ne prend pas assez en compte les zones blanches ou les zones grises qui devraient pourtant être prioritaires dans l’accès à ces services. Les citoyens ne sont souvent pas au courant de l’existence des services d’aide. Ce ne sont pas leurs financements très insuffisants qui permettront une plus large couverture.

Ces privations d’accès au service public concernent en particulier des personnes déjà en difficulté. 

Ce sont les plus précaires qui sont concernés en premier par le manque d’accès au service public en ligne : 40 % des personnes non‑diplômées, 22 % des personnes pauvres et 24 % des ménages bénéficiaires des minimas sociaux n’ont pas d’accès à l’internet fixe à domicile, alors que ce n’est le cas que de 15 % de l’ensemble des Français. Aux difficultés liées à la couverture Internet elle‑même, l’achat d’un ordinateur et des divers accessoires pouvant s’avérer indispensables à son fonctionnement est particulièrement onéreux sans parler des connaissances techniques qu’il est préférable d’avoir avant d’en entreprendre l’acquisition. Ces personnes qui, – lorsqu’elles travaillent – ne le font souvent pas sur un ordinateur, n’ont en plus pas forcément la maîtrise technique de ces appareils ni la pleine connaissance des démarches administratives. 

Les personnes âgées sont également victimes de la dématérialisation (un quart des plus de 65 ans a déjà rencontré des difficultés pour effectuer les démarches administratives en ligne). Elles se retrouvent pour beaucoup à faire appel à des proches pour les aider, voire effectuer les démarches à leur place, ce qui renforce leur dépendance aux autres, et isole davantage celles qui ne peuvent faire appel à leur famille régulièrement. Ces difficultés sont également ressenties chez les personnes vulnérables dont les aidants n’ont pas nécessairement la possibilité de les assister dans ces démarches, tout comme les majeurs protégés ou encore les personnes atteintes de certains types de handicaps, qui sont par ailleurs soumises à des démarches particulières liées à leur situation.

Enfin, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes (moins de 30 ans) sont particulièrement exposés. Ils sont aussi nombreux que les plus de 65 ans à rencontrer des difficultés dans leurs démarches en ligne. Cela ne tient pas nécessairement à un déficit de maîtrise des outils numériques, mais des démarches administratives elles‑mêmes et des défaillances internes à l’administration. Le manque d’un interlocuteur qualifié à qui exprimer ses craintes, ses doutes ou ses incompréhensions est donc dommageable, pour tous les publics. 

C’est ce qui conduit le Défenseur des droits à estimer que la dématérialisation des services publics ne doit pas être une alternative définitive aux services publics physiques, mais un complément dont il serait laissé à la discrétion de chaque citoyen la liberté de faire usage ou non.

Pour ces raisons nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant le nombre toujours important des laissés pour compte de la dématérialisation ;

Considérant les difficultés d’accès aux procédures dématérialisées par défaut de couverture internet ou par manque d’aisance avec les outils informatiques ;

Considérant la nécessité que les démarches administratives puissent être effectuées en dehors du circuit numérique dématérialisé pour ceux qui le souhaitent ;

Invite le Gouvernement à mettre en place un véritable dispositif de contrôle de conformité des sites internet publics aux règles d’accessibilité ;

Invite le Gouvernement à favoriser les partenariats entre l’administration et les associations qui viennent en aide aux personnes en difficulté avec les démarches administratives en ligne ;

Invite le Gouvernement à instaurer le principe d’un envoi sous forme papier, des notifications d’attribution, de suppression ou de révision de droits comportant les délais et voies de recours, sauf si la personne consent expressément et au préalable aux échanges dématérialisés ;

Invite le Gouvernement à garantir un délai permettant de faire des rectifications pour toutes les démarches administratives réalisées en ligne ;

Invite le Gouvernement à regrouper les modifications des interfaces afin d’en limiter le nombre pour ne pas perturber les utilisateurs ;

Invite le Gouvernement à développer le partage de données et le pré‑remplissage des formulaires entre services publics sociaux, nationaux et territoriaux ;

Invite le Gouvernement à assurer un véritable système de coffre‑fort numérique pour conserver les documents importants, ainsi qu’une base de données commune que pourrait utiliser l’administration pour ne pas demander des documents qu’elle a déjà à sa disposition ;

Invite le Gouvernement à améliorer l’information des usagers afin de faire mieux connaître la gratuité des démarches administratives et de mettre fin aux pratiques d’orientation des usagers vers un service privé payant.