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N° 5224

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

demandant la reconnaissance et la valorisation des aménités des territoires ruraux,

présentée par

MM. JeanPaul DUFRÈGNE et André CHASSAIGNE,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd’hui, les dynamiques de métropolisation ne font qu’illustrer les demandes des populations à un meilleur accès aux services et aux biens, qu’ils soient publics ou communs, dans tous les territoires. La volonté de prise en compte de ces besoins par tous est légitime quand on sait que le sentiment de relégation, d’abandon d’une partie de la population, ancré maintenant depuis plusieurs années, nourrit le rejet vis‑à‑vis de la puissance publique et les tentations populistes.

Des actions ont été entreprises, mais de manière trop sporadique, trop sectorielle, trop administrative, trop éloignée des demandes réelles des habitants des territoires en déprise démographique et industrielle, qui ont le sentiment de ne plus trouver leur place dans ce monde. Cela fait une vingtaine d’années que l’on sème cette idée subversive qu’il n’y a plus d’idéologie, conduisant au refus des « incantations » et à une exigence de concret et de pragmatisme. Ce serait, en surface, la fin des clivages. De fait, il y a aussi eu une démission du politique de sa mission de producteur de sens et d’inventeur de l’avenir, pour abandonner initiative et pouvoir aux « décideurs ». Mais entre l’hyperpolitisation des années 70 et la politique de bac à sable, il y a un espace à occuper, celui du réel et de la conscience que les femmes et les hommes ont la capacité d’agir sur le cours des choses.

La démarche des « Nouvelles ruralités », lancée par les départements de l’Allier, la Nièvre, le Cher et la Creuse, rejoints par une quarantaine d’autres départements, portée par l’Association des Départements de France, s’inscrivait dans cette vision politique d’une approche renouvelée de la ruralité et des territoires. Fruit d’un travail de plusieurs années, le rapport « Campagnes : le grand pari » (2014) reste d’actualité. Il met en avant des pistes de travail et des propositions sur la possibilité de répondre au désir de campagne d’une partie de la population, le besoin de lutter contre le sentiment d’abandon et de relégation d’une partie des habitants vivant dans les zones rurales et périurbaines, la nécessité de travailler sur le développement de nouvelles fonctions économiques au sein des espaces ruraux. La démarche pose également les enjeux liés aux relations diverses, à la fois existantes et à construire que peuvent entretenir les territoires ruraux avec les métropoles.

Or, à notre niveau, les conséquences de la situation dont nous héritons aujourd’hui pour nos territoires, c’est le scepticisme, le sentiment de relégation, une gestion des besoins en fonction des intérêts propres, au cas par cas en fonction de l’urgence. Force est de constater que l’immédiat ne sied pas à l’action, car soit on est autoritaire, soit on est superficiel. C’est aussi la perte de repères, une politique des territoires perçue avec raison comme une mécanique froide. Il ne s’agit pas de critiquer une hyperspécialisation de certaines fonctions mais de déplorer l’emprise d’une technocratie qui se débarrasse de ceux qui sont entrés dans la sphère publique autrement. Il est à ce titre assez paradoxal de voir avec quelle hâte on cherche parfois à rendre visible la beauté de certains de nos paysages sans jamais mettre à nu la réalité de nos territoires. Loin des clichés et de la rancœur, quelles perspectives et quel développement avons‑nous ? Il ne suffit pas de dire que l’on reviendra un jour sur les transferts de compétences, parler ressources fiscales, puis s’en offusquer pour enfin s’étonner que ce n’est pas assez. À la condamnation morale, pas toujours aussi intransigeante qu’on pourrait parfois l’imaginer, s’ajoute rarement le passage à l’action. La ruralité n’est pas faite de territoires homogènes, même si la volonté est forte de tenter de leur faire partager une seule et même histoire. L’objectif n’est pas de s’enraciner dans un passé entravé de relents localistes et identitaires mais de nous nourrir de l’expérience possible de l’ouverture et des complémentarités.

Dans une société qui devient de plus en plus mobile, dans un monde qui va vite, donner un sens, c’est aussi descendre d’un cran dans l’échelle des problèmes, là où les leviers d’action publique deviennent plus clairs. Ce que demandent les habitants, c’est de pouvoir peser sur le quotidien. Nous devons avoir la capacité de répondre à l’exigence de proximité de notre société. Si nous savons qu’elle peut parfois être synonyme de repli localiste lorsqu’elle est mal accompagnée, elle doit être le levier d’interactions nombreuses, le levier d’un développement vertueux facilité par des territoires et des personnes ayant un projet commun.

Pour éviter les exclusions, il nous faut construire un capital collectif accessible à tous. Il appartient précisément aux pouvoirs publics d’assurer par le renforcement des services publics notamment, un accès égal de tous à des besoins élémentaires, quel que soit son territoire. Nous parlons des infrastructures de transports, des services au public mais aussi de l’accès aux nouvelles technologies et à leurs usages ainsi que celui aux ressources environnementales qui, aujourd’hui, ne sont pas identiques sur tous les territoires. Il appartient à la puissance publique d’en assurer le meilleur accès dans une logique d’inclusion maximale. Le « commun » sera aussi le fruit des logiques de partage de solidarité et de coopération qui naissent entre les individus, quand l’accès et l’usage éclipsent la propriété.

Nous devons considérer les demandes des habitants des territoires en difficulté, désindustrialisés, répondre aux besoins par une action de moyen et long terme, sur la démocratie locale, les leviers de croissance, les viviers d’emploi, sur l’environnement, sur la culture de l’innovation sociale, l’économie positive, sur la justice territoriale. Il ne s’agit pas seulement d’envisager l’action dans le « court‑termisme » ambiant mais de restituer le rôle de la parole et de son effet sur les consciences au lieu de ne chercher qu’un effet sur l’opinion. Agir sur le réel des habitants est un moteur pour trouver les solutions à la réduction des déséquilibres territoriaux et le retour du développement.

Cette démarche se construit étape par étape et si la première est celle de l’affirmation du potentiel des territoires ruraux, nous voulons que la seconde soit assurément celle d’un développement juste et responsable avec l’ensemble des acteurs concernés : État, collectivités territoriales, monde associatif, citoyens. Il est primordial d’engager d’autres formes de collaboration sur nos territoires pour découvrir et imaginer d’autres formes de réponses et d’intervention.

Les territoires ruraux sont au cœur des transitions en cours, démographiques, écologiques, économiques et sociales. Cette résolution s’inscrit dans un contexte où les aspirations, les représentations de chacun auront évolué du fait notamment de la crise sanitaire. La récente étude IFOP « Les territoires ruraux : perceptions et réalités de vie » pour Familles rurales est éclairante. Elle met en évidence l’évolution depuis 2018, après les deux confinements, des représentations des territoires ruraux. Ils sont désormais très bien perçus mais les freins restent les mêmes : manque de services, d’emploi et d’offre de transport. Cela reste néanmoins très prometteur et démontre que le fait métropolitain et l’imaginaire urbain sont en train d’évoluer, au profit de la ruralité.

On le constate, si la ruralité est en fait une complémentarité entre les villes, les petites et moyennes villes, et les métropoles, ces dernières dominent les choix et représentations qui sont faits sur les territoires. On ne peut donc s’en extraire ; elles seront partie prenante du développement des territoires ruraux.

On constate également qu’une des portes d’entrée principale du modèle de développement d’un territoire rural réside dans la valorisation et l’allocation de ses ressources naturelles, base autour de laquelle se construiront ensuite des activités et services à la population.

Bien que la mise en place de l’Agenda rural replace sur le devant les problématiques du monde rural, il existe cependant un décalage entre les annonces et la réalité. Les territoires ruraux restent inégalement dotés en termes d’accessibilité, de services, de perception d’attractivité, de capital social, d’acteurs et de capacité de coordination et de gouvernance. « Ceux qui gagnent » ont sans surprise un cadre naturel remarquable, une offre de services éducatifs, culturels et sanitaires et une accessibilité à une métropole régionale.

Les confinements ont engendré de nouvelles aspirations : qualité de vie, équilibre de vie entre professionnel et privé, renvoyant à la notion d’agréments et d’aménités rurales dans les politiques publiques. Ces aménités rurales sont en lien avec ces nouvelles aspirations qui sont loin des activités offertes par les espaces urbanisés.

Une aménité rurale est un agrément ou un avantage économique qui présente un caractère marchand ou non directement marchand, c’est‑à‑dire que leurs valeurs, en capital ou en rente, ne font pas l’objet d’opérations économiques.

L’agrément est procuré par un paysage ou son environnement, au sens de caractéristiques géophysiques, biologiques, naturelles, ou résulte d’une action humaine, non nécessairement destinées à la produire, telles que les activités agricoles et forestières. La définition proposée s’inscrit dans les réflexions de l’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE).

L’avantage économique est constitué par une valeur de production de biens et services, une valeur patrimoniale, la valeur d’un service ou d’un bouquet de services écosystémiques. Il est procuré par la vente de biens ou services issus de productions agricoles, forestières ou naturelles, par une activité économique, notamment touristique, favorisée par l’agrément d’un environnement ou paysage, ou par l’aménagement du territoire résultant en milieu rural de l’action de l’État, des collectivités locales, de leurs regroupements ou de leurs opérateurs. Ces valeurs peuvent être déterminées selon diverses méthodes ou, en l’absence de méthode applicable, simplement appréciées qualitativement.

Une aménité est qualifiée de rurale quand elle est présente dans un espace rural, au sens de la définition retenue par l’INSEE. L’espace à dominante rurale, ou espace rural, regroupe l’ensemble des petites unités urbaines et communes rurales n’appartenant pas à l’espace à dominante urbaine. La ruralité couvre plus de 75 % du territoire métropolitain et compte 21,8 millions d’habitants, soit près du tiers de la population française. Elle concentre 80 % des communes et des EPCI.

La crise du Covid a donc mis en lumière le regain des territoires ruraux en raison même des aménités, des agréments dont ils sont détenteurs. Leur attractivité conjoncturelle, incluant les villes moyennes, les place au cœur de la résilience en tant que territoire refuge, mais aussi demain, en tant que territoires d’installation en lien avec de nouveaux modes de vie, de consommation.

Les principales aménités susceptibles d’être reconnues ont trait à l’agriculture, à la forêt, aux paysages, à la biodiversité, à l’eau et l’énergie.

Trois priorités liées aux aménités s’imposent : la santé, les politiques de l’environnement et de l’agriculture.

La crise sanitaire doit nous inciter à mieux prendre en compte les effets de la dégradation de l’environnement sur notre santé. Par ailleurs, l’obésité, le surpoids, les pathologies consécutives à une mauvaise alimentation constituent des facteurs aggravants. Au‑delà des modes de production se pose également la question de l’information et de l’éducation alimentaire, d’une nécessité d’une approche intégrée de la santé où santé animale, humaine, végétale et environnementale ne font qu’une.

Certaines aménités rurales sont générées, entretenues ou développées par les activités agricoles et forestières. Leurs producteurs peuvent ne pas retirer d’avantages de leur existence, mais au contraire subir de leur fait des charges et pertes de compétitivité. Par ailleurs, elles pourraient être compensables financièrement par des aides des politiques agricoles ou environnementales, ou encore rémunérées par des paiements pour services environnementaux, comme l’entretien des haies par exemple.

L’agriculture et la forêt procurent, par l’activité de leurs producteurs, des aménités rurales : l’alimentation (sécurité de l’approvisionnement quantitatif et qualitatif à des conditions économiques la rendant accessible au consommateur), la qualité des paysages, la biodiversité résultant des écosystèmes agricoles et forestiers, la régulation de la qualité des eaux, le stockage de carbone dans les arbres ou les prairies naturelles, la participation à la conservation d’espaces remarquables. Ces aménités, produites dans l’espace rural, sont principalement consommées par les villes et leurs habitants, sans que toute leur valeur soit couverte par des transferts financiers vers la ruralité.

Les accompagnements financiers prennent surtout en compte l’existant sans promouvoir de nouvelles infrastructures. Les productions agricoles et forestières, d’alimentation, de bois ou d’énergie, les services touristiques (accueil à la ferme, vente directe) ne sont pas rémunérés suffisamment par le marché alors que leurs externalités positives (qualité des paysages, biodiversité, santé) bénéficient à toute la société ou à d’autres acteurs économiques. Cependant, le bénéfice de l’agrément d’un paysage tiré par le promeneur accédant librement par le domaine public à l’espace rural n’est pas susceptible d’être monnayé.

L’un des enjeux à l’avenir sera de concilier potentiel de développement, demande de services et respect des aménités rurales qui fondent l’intérêt retrouvé des territoires ruraux. Les aménités doivent être la grille d’entrée des futures politiques publiques en direction des territoires ruraux.

Cela pose la question du sens que peuvent avoir les aménités pour les acteurs des territoires. Elles doivent être comprises en tant qu’enjeu par les acteurs du territoire.

L’appréhension comme la compréhension des aménités suppose de renouer avec une stratégie nationale d’aménagement du territoire, surtout s’il est envisagé d’en faire un marqueur des politiques publiques. Il ne s’agit pas de reproduire l’aménagement centralisé des années 60 avec sa conception monolithique et uniforme du territoire, mais de s’inscrire dans une conception reconnaissant les apports des espaces ruraux en aménités à l’ensemble de la société. Ceci suppose entre autres de travailler sur de nouvelles formes de solidarités. Dans ce contexte, l’État doit demeurer celui qui fixe le cap et les grandes orientations, établit les priorités en concertation avec les collectivités dans le respect de la décentralisation et de la différenciation territoriale.

À l’aménagement physique (routes, équipement…) succède un aménagement immatériel et organisationnel du territoire auquel chaque acteur peut et doit contribuer pourvu qu’il ait les capacités à exister et à agir. Cela suppose que les métropoles, régions et grandes intercommunalités ne vident pas le territoire de ses ressources sans retour et ne contribuent pas à accroître la désertification ou la fragmentation du territoire. Les territoires isolés que sont les ruralités et les villes petites et moyennes ne sauraient être exclus d’un système concentré devenant « égocentré », la théorie du « ruissellement » des métropoles vers les territoires périphériques ayant montré ses limites.

Aujourd’hui, les territoires ruraux fournissent alimentation, environnement, loisirs, eau potable, forêts, etc… aux territoires environnants, y compris les métropoles. Sont‑ils rémunérés à leur juste valeur alors qu’ils contribuent à la qualité de vie globale des habitants ?

Dans le modèle que nous mettons en avant, les acteurs d’un territoire rural ont la capacité à s’organiser et à dialoguer avec ceux de la métropole pour la gestion des ressources naturelles, qui sont gérées sur un mode coopératif, au bénéfice des deux parties. Il repose sur la notion de « Communs » définie par Elinor Ostrom : « des ressources en accès partagé, gouvernées par des règles émanant largement de la communauté des usagers elle‑même, et visant à garantir, à travers le temps, l’intégrité et la qualité de la ressource ». Plusieurs expérimentations montrent que cela est possible ayant trait à la gestion de l’eau, des forêts, des paysages. Ce modèle repose sur la généralisation de ce type de gestion en commun des ressources naturelles entre territoires et métropoles et/ou grandes villes. Contrairement à un modèle qui met en relation contractuelle une métropole avec un propriétaire détenteur de la ressource, sur une base marchande classique, l’ensemble est ici intégré dans un système qui rend solidaires les formes de production et renouvellement de la ressource et de son utilisation.

L’avantage de ce mode de gestion réside dans le partage des ressources naturelles selon des règles élaborées conjointement entre territoires ruraux et métropoles. Les externalités négatives sont limitées par ces règles qui limitent les conflits.

Les désavantages résident dans les coûts qui peuvent être importants pour élaborer un cadre permettant à l’ensemble de gérer des biens communs. Ce modèle peut être porteur d’inégalités territoriales en fonction des dotations propres des territoires ruraux, plus ou moins organisés, et de leur capacité à négocier avec la métropole.

Aujourd’hui, se pose la question de l’échelle de ce type d’organisation. Élargir la coopération est plus complexe. Mais la prise en compte des externalités permet la résolution de conflits d’usage.

Se pose également la question des inégalités : le modèle fondé sur un hypothétique ruissellement a un atout, celui d’indemniser les plus défavorisés en utilisant le surplus de la croissance métropolitaine. Dans le second mode de gestion, davantage coopératif, les ressources naturelles sont diversement distribuées dans l’espace, source d’inégalités. Il est démontré que la valorisation des ressources naturelles est un facteur de développement important qui favorise l’installation de nouveaux habitants et l’implantation de services. Leur utilisation doit donc être justement rémunérée.

Par ailleurs, la mobilisation du tissu associatif devrait être intégrée car c’est un moteur de développement local (fédération des énergies, espace de discussion, co‑construction des politiques locales). La sauvegarde et la valorisation des aménités doivent donc porter une attention particulière à la vitalité associative des espaces en difficulté.

Les choix du consommateur, avec le consentement à payer pour une qualité de biens et services produits par la ruralité et porteuse d’aménités, déterminent l’équilibre économique de nombre d’activités, des productions agricoles aux services touristiques. Le consentement à payer pour l’environnement est limité, à la différence de la propension à payer pour la santé par exemple : l’acceptation du surcoût des aliments bio est plus liée à la santé qu’à l’impact sur l’environnement.

L’accès gratuit à l’espace rural ou aux milieux fragiles est considéré comme un droit sans limite. Le consommateur peut même à l’inverse exercer des pressions sur les producteurs dont les conséquences sont notables, y compris en l’absence d’intérêt écologique.

De l’autre côté, la qualité issue de la ruralité peine à trouver ses marchés au prix justifié par ses modes de production. Une usine tropicale à touristes dispose d’outils marketing qui font oublier l’attachement aux principes écoresponsables. La promotion touristique des collectivités peut valoriser les aménités mais la portée de ces campagnes est ambivalente : la construction institutionnelle fait que ce sont les Conseils départementaux ou Conseils régionaux qui sont mis en valeur, avec un produit de fait à leur service.

Enfin, l’information et l’éducation oublient complètement la responsabilité du consommateur dans l’entretien de l’espace rural. Par exemple, les injonctions à manger moins de viande ne laissent pas de place aux réalités du stockage de carbone et de la biodiversité dans les prairies permanentes ou aux effets positifs des fromages au lait cru sur le pastoralisme.

La reconnaissance des aménités dans les politiques publiques en direction des territoires ruraux constitue un changement de paradigme pour l’aménagement du territoire et la contractualisation territoriale.

Les aménités allient solidarité et réconciliation : solidarité en ce qu’elles permettent de reconnaître la valeur de l’apport des territoires ruraux à l’ensemble du pays et des citoyens ; réconciliation parce qu’elles illustrent le lien entre villes et campagne dans une logique de complémentarité et d’interdépendance. Les aménités rurales produisent en cela du lien social et territorial et deviennent des atouts déterminants pour le succès d’une politique de cohésion ; elles font société.

Les aménités rurales sont cependant traitées par des mesures sectorielles de différentes politiques publiques, agricole, environnementale, d’aménagement du territoire ou culturelle. De plus, la détermination de leur valeur reste, sauf exception, insuffisamment robuste pour déterminer des contreparties et n’est en tout état de cause pas indispensable pour améliorer des régimes d’intervention ou développer des paiements pour services environnementaux.

L’usage des aménités est gratuit alors que leur entretien est parfois coûteux, ou que leur fréquentation les fragilise. Déterminer des indicateurs permettrait d’attribuer un prix pour donner une valeur à ce qui semble ne pas en avoir faute d’être rémunéré.

Les collectivités territoriales prennent déjà en compte certaines charges liées aux aménités.

Les collectivités publiques, en premier lieu les communes rurales et leurs regroupements, dans les limites respectives de leurs compétences, peuvent supporter certains coûts liés à l’entretien ou la protection d’espaces procurant des aménités ou encore à la fréquentation de sites ou d’itinéraires dont les agréments attirent du public. Ces coûts résultent soit de leurs obligations légales ou réglementaires, soit de l’exercice de leurs compétences, mais dépassent leur capacité financière dans la mesure où leur couverture ne fait pas l’objet d’un financement adéquat par une ressource commerciale, une dotation, une péréquation, une redevance ou un contrat territorial. Si la ruralité couvre plus de 75 % du territoire pour 21 millions d’habitants, concentre 80 % des EPCI et communes, les bases fiscales des territoires ruraux sont en moyenne de 24,2 % inférieures à celles des territoires urbains. La Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) ne permet pas de compenser les conséquences de ce différentiel pour le fonctionnement de l’ensemble des collectivités rurales.

Les actions et activités nécessaires à l’existence ou au maintien d’aménités rurales peuvent justifier des aides ou rémunérations, dans la mesure où elles ne sont pas rémunérées directement ou indirectement de manière suffisante par le marché ; ou que l’insuffisance de contreparties menace leur maintien, alors que leur disparition générerait des coûts pour compenser la perte de services écosystémiques ou de capital patrimonial.

Nous appelons donc à la création d’un cadre législatif définissant les aménités rurales, leur reconnaissance par l’État et les collectivités aux échelons pertinents. Doivent s’ensuivre des mesures pour offrir des alternatives et fonder une politique reposant sur cette reconnaissance.

Les équilibres issus des regroupements de communes, le développement des appels à projets au détriment des logiques de guichet, la priorité donnée aux projets structurants, ne sont pas favorables aux petites communes rurales, ni à leurs aménités. Les EPCI constituent le niveau le plus pertinent de la protection de celles‑ci. Mais une petite commune rurale dont les ambitions aménitaires ne sont pas partagées par son voisinage ne rentrera que difficilement dans les cadres contractuels existants, faute de ressources propres et d’ingénierie. En pratique, l’exigence d’un diagnostic et d’un projet de territoire se révèle souvent formelle. La plupart des projets qui se présentent peuvent être financés. Les EPCI peuvent être tentés d’orienter les plans de financement entre communes selon leurs poids démographique ou politique. En outre, les appels à projet exigent veille permanente et anticipation. Ces évolutions pénalisent les territoires ruraux les plus fragiles. Les ressources d’ingénierie sont multiples mais atomisées par leur spécialisation.

La prise en compte des aménités peut fonder une politique rurale facilitant l’accès à un accompagnement en ingénierie, à une politique contractuelle unifiée de l’État.

Les collectivités locales pourraient reconnaître l’existence des aménités rurales procurées par leur territoire. Dans le cas où un EPCI ne reconnaît pas d’aménités rurales, une ou plusieurs communes membres souhaitant engager la démarche sont dotées et disposent librement des compétences nécessaires.

L’assemblée délibérante initie le projet de territoire par un débat et une délibération lançant une consultation publique et un processus ouvert de co‑construction avec les habitants, les associations et entreprises du territoire. Le projet de territoire fait l’objet d’un avis du préfet. Il présente les aménités rurales à préserver et valoriser ainsi que les actions programmées ou à développer à cette fin. Le projet de territoire passe en revue les enjeux pertinents de l’échelon territorial auquel il s’applique.

Un territoire rural s’engageant dans une démarche de préservation et valorisation globale de ses aménités devrait recevoir une dotation spécifique de fonctionnement, par exemple un fonds de dotation ou fonds aménités rurales. Un volet « aménités rurales » pourrait être créé au sein des finances locales pour reconnaître l’apport des territoires ruraux, ainsi qu’un fonds incitatif et partenarial pour les aménités rurales dans les communes à faibles ressources. Le fonds servirait à financer l’entretien des aménités au titre de la réciprocité villes‑campagnes.

Une approche intégrée des aménités dans un contrat de développement rural durable permettrait de décloisonner l’action publique en la mettant au service d’un projet de territoire dont les communes et EPCI seraient les initiateurs, accompagnés par un État garant de l’égalité et de la pertinence des objectifs. La démarche devrait en outre ouvrir l’accès à une dotation aménités rurales susceptible de motiver l’engagement des élus locaux dans la préservation des ressources déterminantes pour l’avenir de leur territoire et de la société.

L’État pourrait reconnaître et encourager l’élaboration et la diffusion d’indicateurs pertinents de mesure de l’impact écologique, de l’empreinte carbone et de l’empreinte sur la biodiversité des collectivités publiques et des entreprises.

Les contrats de réciprocité villes–campagnes pourraient être labellisés pour favoriser les dynamiques partenariales, en veillant à la participation des acteurs privés du territoire et à leur accompagnement en ingénierie et en financement d’amorçage.

Les aménités rurales pourraient être inscrites dans les documents de planification comme une thématique propre, avec des objectifs contraignants raisonnablement mesurables et un suivi régulier des résultats.

Dans ce cadre, le foncier, dont nous mesurons de mieux en mieux la valeur pour la société et la nécessité d’organiser ses usages doit être préservé. Nous sommes favorables à de nouvelles méthodes et approches pour limiter la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers, contrer l’urbanisation galopante et protéger la biodiversité. Néanmoins, le cadre actuellement en discussion ne permet pas d’aboutir à un résultat satisfaisant. Si le Gouvernement vise le « zéro artificialisation nette » d’ici 2050, avec une division par deux d’ici 2030, l’application de cette mesure de manière uniforme sur le territoire est aberrante. Si l’objectif est national, ce sont les élus locaux qui se retrouvent à la manœuvre en matière d’urbanisme. Or, les maires de communes rurales n’ont quasiment plus de capacité de décision quant à l’installation de nouvelles maisons par exemple. La règlementation imposée par les services de l’État ne tient pas compte de la nature et des composantes du territoire, ville, métropole, ou village. L’application de ces mesures est uniforme sur l’ensemble du territoire national. C’est une vision de l’aménagement de territoire qui va à l’encontre de la reconnaissance de la différenciation territoriale. On ne peut pas appliquer les mêmes règles aux métropoles et aux territoires ruraux dans ce domaine, les campagnes apportent des besoins vitaux à l’ensemble de la population, quel que soit son territoire d’habitation. On ne peut mettre sous cloche tout un pan du territoire français, au risque d’affaiblir l’ensemble. La ruralité a besoin d’être prise en considération, ses atouts et apports doivent être reconnus.

Les aménités ne sont pas à ce jour intégrées en tant que telles dans les politiques publiques et les politiques contractuelles mais disséminées entre plusieurs thématiques, assorties d’objectifs propres à chacune. Elles ne sont pas déterminantes pour l’identification des territoires ruraux. Elles doivent être une grille d’entrée sortant des mécanismes de “rattrapage”, en les intégrant comme facteurs de valorisation et de reconnaissance du rôle et de l’apport de ces territoires. Elles appellent une approche économique différente de la valeur d’un territoire ouvrant sur de nouvelles formes d’intervention de l’État : monétarisation des externalités écologiques (valeur attribuée à la capacité de renouveler la ressource en eau, de l’air, de la forêt, de l’espace, du paysage…) ; baser le financement de l’État à toute institution ou acteur qui par son action contribue à accroître la ressource, sa qualité, son accessibilité ; pénaliser toute institution qui par son action dégrade la valeur de la ressource à son profit ; Élaboration d’une grille d’indicateurs opérationnels.

Tel est, en l’espèce, l’objet de cette proposition de résolution législative.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que les territoires ruraux participent au bien‑être de la population, quel que soit le lieu où elle habite,

Considérant que les territoires ruraux fournissent alimentation, environnement, loisirs, eau potable, forêts, aux territoires environnants, y compris les métropoles,

Considérant que les territoires ruraux ne sont pas reconnus ni rémunérés pour les services vitaux rendus à l’ensemble de la population,

Invite le Gouvernement à définir les aménités rurales afin de les intégrer dans un cadre légal ;

Invite le Gouvernement à élaborer une grille d’indicateurs opérationnels des aménités ;

Plaide pour la reconnaissance et la valorisation des aménités des territoires ruraux dans les politiques publiques, notamment de santé, environnementales, d’aménagement du territoire et agricoles ;

Invite le Gouvernement à intégrer la valorisation des aménités dans une démarche plus globale aboutissant à un projet de loi d’orientation des territoires ruraux, notamment pour apporter des réponses au sentiment de relégation ressenti par de nombreux habitants de ces territoires et exprimé sous différentes formes.