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N° 5244

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative au stratégie polaire française : une relance indispensable,
par la recherche et l’innovation !,

 

 

 

 

 

 

 

 

présentée par Mesdames et Messieurs

Jacques MAIRE, Francis CHOUAT, Éric GIRARDIN, JeanCharles LARSONNEUR, Huguette TIEGNA, Frédérique TUFFNELL,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le dérèglement climatique fait peser des risques fondamentaux sur l’humanité, dont l’identification fait l’objet d’un large consensus scientifique :

‒ La fonte de la calotte polaire de l’Antarctique et de l’Arctique menace de submerger une grande partie des espaces habités ;

‒ Le ralentissement de la circulation des courants sous‑marins (thermohalines) dans l’Atlantique Nord perturbe le climat de l’Europe ;

‒ Le dégel du pergélisol libère d’importantes quantités de carbone et accélère le réchauffement climatique ;

‒ L’épuisement de la ressource dans l’océan Austral lié au réchauffement climatique et l’exploitation des stocks de krill menacent directement la biodiversité, la capacité des océans à nourrir l’humanité, et réduit grandement l’efficacité de la pompe biologique qui permet la séquestration du CO2 par l’océan.

Le Traité de l’Antarctique, tout comme la Convention CCAMLR sur la faune et la flore ne sont pas menacés directement, mais l’opposition des puissances russe et chinoise empêche ces instances de règlementation de répondre aux défis actuels : ainsi de la création d’Aires Marines Protégées (AMP) dont celle de l’Antarctique oriental et de la mer de Weddell, ou de la régulation contraignante du tourisme. Cette situation rend nécessaire de nouvelles initiatives internationales, coalitions, et partenariats. La science est le moyen privilégié d’y parvenir.

La France dispose d’implantations et d’une recherche reconnue, principalement en Antarctique, par ses publications qui couvrent des domaines clés : climatologie, océanologie, glaciologie, biologie… Mais, ses stations de recherche (Concordia et Dumont d’Urville (DDU) en Antarctique, AWIPEV et Jean Corbel en Arctique) ne sont souvent plus aux normes, ou dépassées au plan technologique. Par ailleurs, l’accès des chercheurs aux zones maritimes polaires est insuffisant depuis la gestion partagée de notre seul navire à capacité glace en 2014. Nos chercheurs sont à l’affut d’opportunités ailleurs faute de moyens, de salaires décents, et de postes pérennes.

L’ambition et la recherche polaire de la France doivent donc être relancées. Cette nécessité a été réaffirmée par la « Stratégie polaire de la France à horizon 2030 » proposée par Olivier Poivre d’Arvor, l’Ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, et validée par le gouvernement en mars 2022. Cette stratégie, à laquelle les parlementaires ont largement contribué, est très importante. Elle mérite le plein soutien de la représentation nationale. Elle promeut plusieurs engagements : porter une stratégie polaire globale et d’équilibre, sensibiliser le public, soutenir à l’échelle européenne et internationale une recherche innovante et exemplaire, renforcer les moyens pour la science dans les mondes polaires, réinvestir l’Arctique dans le nouveau contexte créé par la Russie et renforcer la protection de l’Antarctique.

Concernant la recherche océanographique en Antarctique, notre présence, remise en cause par la nouvelle approche multi‑missions de l’Astrolabe, doit être renforcée en faisant appel aux leviers évoqués par cette nouvelle stratégie : modification du temps d’utilisation de l’Astrolabe, mise en place d’une capacité d’acheminement aérienne complémentaire à la voie maritime, recours à l’Astrolabe 1, ou encore mise en œuvre de partenariats durables avec d’autres opérateurs présents en Antarctique. Par ailleurs, des partenariats peuvent être imaginés avec le navire d’exploration polaire « Le Commandant Charcot », dont les caractéristiques (Brise‑Glace de classe 2) lui permettent de naviguer dans des zones autrement inaccessibles et les capacités logistiques et océanographiques peuvent rendre des services très utiles à nos chercheurs.

Concernant les bases à terre, les stations DDU et Concordia, vieillissantes et très coûteuses en entretien, ne sont plus aux normes de sécurité et de protection de l’environnement. Leur rénovation doit être l’occasion de les réinventer pour en faire des outils de recherche du XXIème siècle, en développent des partenariats avec des acteurs industriels et du numérique en amont de ces travaux car les spécificités et contraintes polaires sont des moteurs de développement pour ce secteur. En effet, l’espace polaire est un champ d’innovation très attractif pour les entreprises : conditions extrêmes pour la résistance des matériaux, contribution à des infrastructures scientifiques d’intérêt international, intérêt du public pour les pôles, possibilités de collaborations avec les chercheurs sur place…

Financer ces infrastructures nécessite de mobiliser les outils de financement, que sont la loi de programmation de la recherche, le Plan d’Investissement d’Avenir 4 et le plan France 2030. Un projet Equipex destiné aux grands équipements scientifiques nous semble justifié. La Stratégie Polaire 2030 propose d’engager une démarche dans le cadre des « Programmes et équipements prioritaires de recherche ». Il convient donc, dès maintenant de définir de manière opérationnelle ce que sont les grands objectifs de recherche polaire sur lesquels la Communauté Scientifique se mobilisera d’ici 2030.

Ces projets fédérateurs doivent décliner des objectifs ambitieux et clairs pour une opinion publique et des autorités politiques non spécialistes. C’est cette démarche qui permettra de faire consensus dans les esprits et de mobiliser dans la durée les financements, tant sur le plan de la recherche que des infrastructures ou des personnels. Au‑delà du financement des moyens nautiques et des infrastructures évoquées, le fléchage en amont de moyens supplémentaires au bénéfice d’une institution particulière comme l’Institut Paul Émile Victor (IPEV), permet certes d’incarner « l’ambition polaire française », mais n’engendre pas nécessairement une mobilisation de l’ensemble de la communauté scientifique française, pourtant garantie d’excellence.

L’Arctique pose à la France des défis différents. Nous n’y avons ni station permanente en propre, notre implantation AWIPEV/Jean Corbel au Svalbard étant de fait gérée par l’Allemagne, ni capacités nautiques dédiées. Un accès à l’Arctique, qui est un Océan, justifierait un navire avec une capacité glace. Plusieurs options sont possibles : renouvellement à venir de la Flotte Océanographique Française, remplacement du patrouilleur Fulmar à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon.

La France a également la capacité de proposer des partenariats attractifs en échange d’un accès facilité à des capacités des puissances arctiques, et pourrait donner accès à l’Antarctique à des puissances arctiques qui ne disposent pas d’implantation. Elle peut aussi mutualiser ses capacités nautiques, demain aériennes, avec ses voisins antarctiques, australiens et italiens, pour optimiser les moyens existants ou futurs.

En résumé, la relance de l’ambition et de la recherche polaire française doit s’inscrire dans des objectifs scientifiques clairs. Cette stratégie requiert des investissements publics importants, ainsi que la mise en place de partenariats avec les autres acteurs concernés, internationaux et privés.

Elle nécessite pour ce faire un portage politique et opérationnel renforcé. Sur le plan politique, l’absence de ministre clairement chargé des pôles est un frein à la mobilisation dans la durée des moyens et des acteurs engagés autour d’un projet partagé et visible.

Concernant le pilotage interministériel, la création d’un Comité interministériel de la Mer et des Pôles (CIMER‑POLES), proposée dans la stratégie polaire 2030, est une belle avancée. Ce dernier sera en charge des grandes orientations gouvernementales en matière d’activité polaire, à l’échelle nationale comme internationale. Un délégué interministériel pour l’Arctique et l’Antarctique, placé sous l’autorité du Premier ministre, veillera, aux côtés du Secrétaire Général à la Mer, à l’exécution de la stratégie polaire.

Ce CIMER‑POLES devra clarifier l’organisation des trois fonctions différentes à assurer en Antarctique et dans l’hémisphère austral :

‒ les missions scientifiques, qui nécessitent des périodes en mer pour des opérations de mesure et d’observation durant des temps longs et dans des zones spécifiques ;

‒ les activités de logistique, qui reposent sur des allers‑retours saisonniers entre bases‑arrières et bases de recherche ;

‒ les missions régaliennes (sécurité en mer, protection des eaux territoriales, surveillance des zones de pêche), qui se déroulent essentiellement en zone subantarctique et dans l’océan indien.

Ces activités sont assurées imparfaitement dans le cadre actuel : les missions des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) et de l’IPEV se recoupent et doivent être ajustées, en tenant compte des moyens disponibles, et des objectifs de recherche retenus (notamment au plan océanographique).

Concernant l’Arctique, la France n’assure pas la logistique de son unique implantation, et n’a pas de moyens dédiés à la zone. La désignation d’un opérateur logistique sera liée à la mobilisation d’éventuels moyens supplémentaires (Ifremer, patrouilleur…) au‑delà des partenariats possibles. La mobilisation de l’IFREMER évoquée dans la stratégie 2030 apparait très positive pour une présence en Arctique.

Enfin, la France doit contribuer à faire émerger, au sein de l’Union européenne, une vision polaire à travers la mise en place de programmes communs ambitieux. C’est progressivement le cas en Arctique, zone riveraine où l’UE a de vrais intérêts, mais où elle n’est pas reconnue en tant que telle. Son affirmation de faire de l’Océan Arctique, zone de confrontation à venir, un espace d’interdiction d’exploitation des hydrocarbures est un signal fort, dans le contexte actuel de la stratégie Russe.

L’objectif d’une coopération portée par l’Union européenne en Antarctique est de plus long terme. Pour autant, une Union européenne mutualisant les connaissances, les infrastructures et les programmes gagnerait en capacité scientifique et technologique et économique.

Cette proposition de résolution vise donc à contribuer au renforcement de la politique polaire, à appuyer la mise en œuvre de la stratégie polaire 2030, à appeler à la définition des objectifs concrets que se donnerait la recherche polaire française pour la décennie, et à mettre en place un plan d’actions, visant à mettre en œuvre des moyens et outils nécessaires traduisant, dans les faits, l’ambition polaire de la France.


proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les rapports parlementaires :

 rapport d’information déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique, n° 4082 (2021) présenté par les députés Éric Girardin et Meyer Habib ;

 rapport des offices parlementaires établi au nom de l’office, La recherche française en milieu polaire : revenir dans la cour des grandes, n° 4202 (2021) présenté par la députée Huguette Tiegna et la sénatrice Angèle Préville ;

 rapport n° 4367 sur le projet de loi autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005) annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (n° 4265) (2021) présenté par le député Jacques Maire ;

 Compterendu de mission à bord du Commandant Charcot intitulé Une première française : le Commandant Charcot au Pôle nord – Une présence durable ? (2021) déposé par le député Jacques Maire ;

Considérant que le dérèglement climatique fait peser des risques fondamentaux sur l’humanité, dont l’identification fait l’objet d’un large consensus scientifique ;

Considérant que le Traité de l’Antarctique, tout comme la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique, peinent à répondre aux défis actuels, notamment en raison de l’opposition des puissances russe et chinoise, et rendent nécessaire l’engagement de nouvelles initiatives internationales, coalitions, et partenariats ;

Considérant que la recherche occupe une place centrale dans l’élaboration d’une stratégie de protection et qu’elle est la colonne vertébrale de la présence polaire de la France ;

Considérant la nécessité de renforcer cette dernière et la coopération dans ce domaine, conformément aux recommandations formulées par les rapports parlementaires susmentionnés de MM. Éric Girardin et Meyer Habib, de Mme Huguette Tiegna et Mme Angèle Préville, ainsi que ceux de M. Jacques Maire ;

Considérant le rapport Équilibrer les extrêmes : stratégie polaire de la France à l’horizon 2030, remis par l’Ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes, M. Olivier Poivre d’Arvor, stratégie validée par le Premier ministre le 1er avril 2022 ;

Partageant le constat de ce rapport évoquant un décrochage des infrastructures françaises, et considérant les engagements pris par le gouvernement de les renforcer pour porter l’ambition polaire de la France ;

Partageant la nécessité de donner des garanties aux moyens engagés par la France avant l’horizon 2030 identifié par ce rapport ;

Partageant la nécessité, pointée par la stratégie polaire 2030, de réinvestir l’Arctique et de rétablir une présence au Groenland, plus particulièrement à la lumière des enjeux géopolitiques et stratégiques soulignés par les récents développements.

Invite le Premier ministre à confier à un ministre explicitement identifié la responsabilité de la politique polaire ;

Invite à la création dans les meilleurs délais d’un Comité interministériel de la mer et des pôles tel qu’évoqué dans le rapport, doté d’un secrétariat général solide ;

Invite le Gouvernement à consulter la communauté scientifique française pour définir les priorités scientifiques majeures de cette décennie, et à en déduire les moyens en infrastructures, logistiques et de personnels en découlant ;

Invite le Gouvernement à élaborer sur cette base un schéma de réinvestissement sur les programmes scientifiques ainsi que sur les infrastructures polaires, en mettant à profit les outils de financement que sont la loi de programmation de la recherche, le plan d’investissement d’avenir 4 et le plan France 2030 ;

Invite le Gouvernement à initier dès l’origine un partenariat avec le secteur privé permettant de concevoir des stations polaires porteuses d’innovation et au meilleur niveau technologique ;

Appelle le Gouvernement à engager dans ce cadre un renforcement des moyens nautiques permettant de répondre aux besoins de la recherche océanographique, en Antarctique comme en Arctique, y compris dans le cadre de partenariats internationaux ;

Invite le Gouvernement à réajuster les compétences et missions des Terres australes et antarctiques française et de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor afin de mieux assurer les activités scientifiques, logistiques et régaliennes en zone arctique et subantarctique en tenant compte, des objectifs de recherche retenus, notamment au plan océanographique, et du déploiement des moyens issus de la stratégie 2030.