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N° 5265

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juin 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant au respect en France de la dignité des personnes migrantes,

présentée par

M. Sébastien NADOT

député.

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Mesdames, messieurs,

En novembre 2021, la Représentation nationale française s’est prononcée favorablement sur un certain nombre de propositions, lesquelles figurent au rapport de la commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France.

Le vote sur la liste des recommandations au gouvernement qui figure comme suit n’a enregistré aucune voix contre et une seule abstention. (La commission d’enquête était composée de 30 députés membres, avec une répartition respectant la représentativité des groupes politiques de l’Assemblée nationale.)

Loin de l’agitation médiatique sur ce sujet, les représentants de la Nation ont donc proposé les recommandations suivantes :

PARTIE 1

RÉGULER LES MIGRATIONS, UNE AFFAIRE ÉTRANGÈRE ET EUROPÉENNE PLUS QU’INTÉRIEURE

I. Agir sur les déterminants du départ

Recommandation n° 1 : Prévoir des financements dédiés à l’aide au retour des populations déplacées à la suite de la guerre contre Daesch.

Recommandation n° 2 : Renforcer nos équipes diplomatiques et consulaires en Libye, dans le pays même ou à partir des territoires tunisiens et égyptiens et ajouter la Libye dans les pays prioritaires de l’aide publique au développement.

Recommandation n° 3 : Ne pas pénaliser les populations par une réduction drastique de la délivrance des visas avec pour seule conséquence un renforcement des filières clandestines.

II. Les pays de transit ou la rente géographique

Recommandation n° 4 : Cesser de faire de la question migratoire la question essentielle de nos relations avec les pays de transit pour ne pas leur donner un moyen de pression géopolitique.

Recommandation n° 5 : Sortir de la relation bilatérale franco‑britannique et négocier un accord global entre l’Union européenne et le Royaume‑Uni avec une participation financière accrue du pays de destination.

III. Asile : en finir avec le Règlement Dublin et créer un véritable « OFPRA » européen

Recommandation n° 6 : Revenir pleinement au droit commun de la gestion de la frontière franco‑italienne – accord Schengen - et redéployer les forces de sécurité.

Recommandation n° 7 : Pour éviter de nouveaux drames, appliquer pleinement l’accord de La Valette sur la répartition : le sauvetage en mer ne vaut pas automatiquement responsabilité de l’État au sens du Règlement Dublin.

Recommandation n° 8 : Sous présidence française de l’Union européenne, créer une Agence de l’asile européen qui aura la capacité de se prononcer sur des demandes d’asile.

PARTIE 2

ADAPTER NOTRE ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE À LA RÉALITÉ DES MIGRATIONS

I. Renforcer la dimension interministérielle des politiques migratoires

Recommandation n° 9 : Transformer la DIAIR en Haut‑commissariat placé auprès du Premier ministre aux compétences renforcées en la dotant des moyens adaptés à ses nouvelles missions dans l’objectif d’une gouvernance intégrée des politiques migratoires, associant l’ensemble des acteurs ministériels (principalement l’intérieur, des affaires étrangères, du travail, du logement et de la santé), les acteurs locaux, associatifs et les entreprises.

II. La médiation culturelle et la participation pour fluidifier les relations entre les acteurs

Recommandation n° 10 : Créer de véritables filières de médiateurs interculturels issus des associations, des collectivités et des services de l’État pour dénouer des situations de conflits ou d’incompréhension entre les acteurs.

Recommandation n° 11 : Encourager et faire monter en puissance toutes les formes de participation des réfugiés à la définition des politiques dont ils sont les bénéficiaires directs et à l’évaluation de leur mise en œuvre.

III. Le Parlement ne peut rester à l’écart des choix de politique migratoire

Recommandation n° 12 : Rendre au Parlement toutes ses prérogatives en lui donnant la possibilité de se prononcer à l’occasion d’un débat annuel et du vote d’une loi de programmation par législature notamment sur la capacité d’accueil de la France, sur la liste des métiers en tension nécessitant une immigration de travail mais aussi sur la liste des pays sûrs.

PARTIE 3

L’ACCÈS DES PERSONNES MIGRANTES AUX DROITS SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS

I. L’accès au droit

Recommandation n° 13 : Prévoir une alternative systématique à la prise des rendez‑vous dématérialisée en préfecture, débloquer les moyens budgétaires permettant aux préfectures de traiter dans les temps les demandes de titre de séjour et s’assurer du bon déploiement du dispositif d’accueil et d’accompagnement pour les démarches en ligne prévu par le décret du 24 mars 2021.

II. L’accès aux soins

Recommandation n° 14 : Renforcer la détection et la prise en charge des troubles psychiques. Prévoir un bilan de santé initial pour tous les étrangers primo‑arrivants en situation régulière ; pour ceux en situation irrégulière, proposer une visite médicale lors du retrait de la carte de bénéficiaire de l’AME.

Recommandation n° 15 : Mettre en œuvre une politique volontariste pour lever les obstacles à l’accès à l’AME et supprimer le délai de carence s’appliquant aux demandeurs d’asile avant leur affiliation à la PUMA.

III. L’accès à l’emploi

Recommandation n° 16 : Ouvrir la possibilité de travailler aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande.

Recommandation n° 17 : Élargir le champ des métiers ouverts aux travailleurs extra européens.

Recommandation n° 18 : Prévoir un état des lieux approfondi et systématique des compétences et qualifications des étrangers primo‑arrivants, réalisé par un spécialiste de l’insertion professionnelle au moment de la signature du CIR.

Recommandation n° 19 : Poursuivre l’individualisation des formations linguistiques proposées dans le cadre du CIR et mettre l’accent sur celles à visée professionnelle.

IV. L’accès à l’hébergement et au logement

Recommandation n° 20 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places d’hébergement et les efforts visant à permettre une meilleure répartition des demandeurs d’asile sur le territoire pour faciliter leur accueil.

Recommandation n° 21 : Poursuivre l’augmentation du nombre de places de logement social et améliorer l’accès des BPI au logement en s’assurant de l’implication des collectivités territoriales, en faisant en sorte que l’offre de logement social soit mieux adaptée à leurs profils et en pensant les capacités de logement en lien avec les opportunités d’emploi sur les territoires.

V. Habitats informels et accès aux droits

Recommandation n° 22 : À Calais, mettre fin à la politique « zéro point de fixation » et mettre en place des « petites unités de vie le long du littoral » ; mettre en place une commission de suivi réunissant des migrants et l’ensemble de ceux qui interviennent localement.

VI. La prise en compte spécifique des besoins de certains migrants

Les femmes migrantes

Recommandation n° 23 : Faire des problématiques que rencontrent les femmes migrantes une dimension à part entière des politiques de migration et d’intégration.

Les personnes LGBTQ+

Recommandation n° 24 : Prévoir un référent LGBT+ dans chaque préfecture avec pour mission de mener des actions de sensibilisation et de formation.

Les mineurs

Recommandation n° 25 : Privilégier une approche interdisciplinaire pour déterminer la minorité, au‑delà de la création d’un fichier, et ne pas judiciariser la question à l’extrême.

Recommandation n° 26 : Délivrer un récépissé dans l’attente de la confirmation/infirmation de la minorité afin d’entrer tout de suite dans un processus de mise à l’abri et d’insertion.

Recommandation n° 27 : Contractualiser avec les conseils départementaux en incluant des incitations financières selon le modèle de logement choisi et le taux de mise à l’abri.

Recommandation n° 28 : Garantir aux mineurs isolés un accès à une information claire et compréhensible ainsi qu’à l’exercice effectif de leurs droits aux frontières.

Recommandation n° 29 : pour les familles avec enfants, prévoir systématiquement des alternatives à la rétention par des lieux d’accueil dédiés.

Les étudiants étrangers

Recommandation n° 30 : Supprimer la mise en place des frais d’inscriptions différenciés pour les étudiants extra‑européens et renforcer le dialogue entre les différents acteurs (les universités, Campus France et les réseaux consulaires) pour simplifier et accélérer les procédures d’inscription des étudiants étrangers.

Quelques jours après la publication de ce rapport, fin novembre 2021, avait lieu un terrible naufrage à quelques kilomètres au large de Calais. Les vies d’au moins 27 migrants qui tentaient de rejoindre l’Angleterre étaient emportées au fond de la Manche. Faute de secours répondant à leur appel de détresse, les noyés, venus d’Irak, d’Ethiopie, de Somalie, du Vietnam, d’Afghanistan ou d’Egypte, venaient gonfler la liste noire du nombre de « morts pour avoir tenté une vie meilleure de l’autre côté de la Manche ». La surveillance du littoral s’est depuis accentuée mais faute d’efforts coordonnés et solidaires, de nouvelles tragédies ont eu lieu, avant les prochaines.

Le 3 décembre 2021 était organisée à l’Assemblée nationale une journée de réflexion faisant suite aux conclusions du rapport de la commission d’enquête avec la Défenseure des droits ainsi qu’une trentaine d’associations et ONG, dont au moins une partie de leur mission est en lien avec les conditions de vie et d’accès au droit des migrants en France. Par suite, de nombreuse interaction ont pu avoir lieu depuis pour affiner encore les données issues du terrain et les passer au crible du droit national et international auquel la France est partie.

Par ailleurs, réunis le 3 mars 2022 à Bruxelles, les ministres de l’Intérieur des pays membres de l’Union européenne ont décidé d’accorder une "protection temporaire" aux réfugiés fuyant la guerre en Ukraine. Cette décision était historique car il s’agissait de la première fois que les États membres s’accordaient pour activer la directive de 2001 sur l’accueil des personnes déplacées. En conséquence, le discours à l’égard des réfugiés a évolué en France, les pouvoirs publics faisant appel à la solidarité de chacun pour aider le peuple ukrainien. Ce changement radical de discours et sa mise en pratique – révélant parfois encore davantage les dysfonctionnements du système de l’accueil en France – mettaient en évidence une politique migratoire défaillante et parfois coupable de discrimination, avec un système à double vitesse, d’un côté les Ukrainiens, de l’autre tous ceux venants d’autres pays. 

Quelques mois après la publication du rapport de la commission d’enquête, le gouvernement semble vouloir en ignorer les conclusions et porter un discours de déni, à mille lieux des réalités quotidiennes. Aussi, parait‑il nécessaire de rappeler certains aspects du droit auxquels les agents de services publics sont soumis, lesquels constituent des éléments essentiels de notre identité en tant que pays des droits universels et d’ajouter certaines propositions, ou d’insister sur quelques‑unes d’entre‑elles pour souligner à quel point des situations inacceptables ont toujours cours en matière de politique migratoire dans notre pays.

La Constitution française du 4 octobre 1958 en vigueur commence par ces mots : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789. » Il n’est pas inutile de revenir sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC). En effet, celle‑ci précise d’emblée que : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »

Les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ne sont pas limités dans ce texte fondateur pour la France aux individus de nationalité française ! Il s’agit bien de tous les hommes… De même « le bonheur de tous » ne suppose nullement qu’on pense uniquement aux détenteurs d’un titre de séjour… À la lecture des 17 articles de la DDHC de 1789, on est frappé par le manque d’écho aujourd’hui à ces fondements acquis de haute lutte et que le monde nous envie. Prenons quelques‑uns de ces articles à la mesure de la manière dont nous nous occupons de personnes, d’individus, d’être de chair et de sang, dès lors qu’ils viennent de l’étranger. Article 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Y‑at‑il utilité commune à maltraiter des personnes migrantes sur notre territoire ? Article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » A‑t‑on le droit d’enfermer des gens dans des prisons, certes dénommées prisons administratives, au seul motif qu’ils n’ont pas de titre de séjour ? Ce droit universel à la liberté est même malmené concernant des enfants, eux aussi mis en prison administrative, car enfants étrangers. Article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. » Pourquoi prive‑t‑on de manière systématique des étrangers de travail quand la société tout entière cherche de la main‑d’œuvre ? Le droit à assurer sa subsistance est bafoué en France, même le pragmatisme économique ne fait pas recette ! Article 5 : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. » En quoi franchir une frontière est‑il une action nuisible a priori ? Pourquoi refoule‑t‑on régulièrement à nos frontières sans motif ni base juridique ? Article 7 : « Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis. » Quand on expulse et met à la rue des jeunes dont la minorité est en cours de reconnaissance au tribunal, n’est‑on pas dans l’arbitraire ? Quand on expulse des familles avec enfants, lesquels se retrouvent dehors et déscolarisés, respecte‑t‑on la loi (qui permet l’expulsion) ou enfreint‑on la loi (en mettant en danger l’enfance) ? Article 8 : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. » Est‑il évidemment nécessaire de mettre des enfants en centre de rétention administrative, avec des barbelés pour décor et une atmosphère carcérale totalement inadaptée à l’enfance ? Article 12 : « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Allez traduire cet article aux migrants… Article 16 : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » Les droits fondamentaux des étrangers sur le territoire national ou qui veulent y pénétrer ne sont pas respectés. Pire, dans l’accès aux services de l’État, de la justice, de la santé, de l’éducation, du travail… ils sont victimes de maltraitance d’État. Un pays qui n’a point de Constitution est un pays qui range au fond d’un tiroir la dignité humaine.

A travers la lecture de quelques‑uns des articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, on mesure rapidement que sa mise en pratique est abondamment dévoyée quand il s’agit des droits des personnes migrantes.

Cela vaut pour ceux qui se font une haute idée des valeurs universelles de la France. Cela vaut également pour les européistes à qui il faut rappeler l’existence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 7 décembre 2000 par l’Union européenne, mise en œuvre par le traité de Nice et à valeur juridique contraignante depuis le traité de Lisbonne de 2007 en son article 6. Le préambule de la Charte expose que « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Elle place la personne au cœur de son action. » De la France à l’Union européenne, les mêmes valeurs sont également adressées aux personnes étrangères arrivant sur notre territoire national ou européen.

Pour faire face aux écueils d’une politique migratoire française en berne au milieu d’une politique migratoire européenne qui ne parvient à s’accorder que sur un seul point : la protection des frontières, un certain nombre de propositions et de remarques sont à rappeler en regard de ce que le quotidien du terrain nous rapporte trop souvent.

En raison de la guerre, de la misère, de problèmes environnementaux liés à l’eau, au sol, au climat ou à la biodiversité, de catastrophe, de troubles sociaux, d’absence de droits fondamentaux, de trop fortes inégalités sociales, de déséquilibre démographique, de besoins de main‑d’œuvre… les migrations ont de beaux jours devant elles. Phénomène anthropologique, il ne s’agit pas de vouloir stopper des flux, mais de trouver comment aller vers la société la plus harmonieuse, faite de gens d’horizons divers, certains dans le besoin, d’autres pas. Une société française hospitalière et soucieuse de la dignité de toutes et de tous parait être la réponse la plus pertinente et pragmatique, même si elle n’a pas convaincu à ce jour les chefs politiques successifs de notre pays et est combattue par l’État médiatico‑politique, beaucoup trop éloigné géographiquement, socialement et culturellement des personnes concernées pour en comprendre quoi que ce soit sur le sujet.

Enfance

Un aspect urgent doit être enfin réglé. Celui des enfants en centre de la rétention administrative. Des moyens alternatifs existent. L’enfermement des enfants est une mise en danger inacceptable aujourd’hui en France, pays condamné chaque année par la Cour européenne des droits de l’homme pour ce motif grave. La Défenseure des droits a clairement appelé le Gouvernement et le Parlement à revoir leur copie en la matière. Dans l’attente d’un texte législatif qui prend nécessairement plusieurs mois avant d’aboutir, un arrêté de la Première ministre suffirait à stopper cette « commodité » des plus regrettables, pour les enfants comme pour l’image du pays des droits de l’homme…

Toujours sur l’enfance, un autre point d’attention crucial sur les mineurs non accompagnés (MNA) est également nécessaire. En effet, la protection des MNA est une obligation, au titre de l’enfance en danger. Pourtant, pour les MNA, l’accès effectif à une protection est difficile. Leur minorité est systématiquement remise en cause, faisant primer une logique de suspicion sur celle de la protection. En conséquence, des centaines d’adolescents sont remis à la rue, livrés à eux‑mêmes, sans aucun accès à un dispositif de protection adapté.

– Les MNA doivent toujours être présumés mineurs et en danger. À ce titre, ils doivent être pris en charge dans le cadre du droit commun de la protection de l’enfance, sans discrimination, jusqu’à ce qu’une décision judiciaire définitive statue sur la situation.

– Une mise à l’abri immédiate et inconditionnelle doit être assurée dans des lieux adaptés aux besoins des enfants.

– Un temps de répit, préalable à l’évaluation, doit être organisé, avec une attention portée sur la santé : un bilan de santé systématique et une ouverture de droits à la protection maladie universelle dès le premier accueil doivent être mis en place.

– Le juge des enfants doit être l’acteur central de l’évaluation et de la protection des MNA.

– L’évaluation doit être fondée sur des éléments objectifs via notamment la reconstitution des documents d’état civil.

– Un droit au séjour stable, pérenne, et automatique doit être assuré à la majorité, sans distinction en fonction du type d’apprentissage ou de formation, ni de l’âge auquel ces enfants ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE).

Vie dans la cité

L’idéal d’une Citoyenneté universelle, qui repose sur un dialogue permanent entre personnes migrantes, société civile et autorité, donne un sens à des principes et des actions concrètes qui peuvent se décliner en plusieurs points :

– Associer les personnes concernées, les acteurs associatifs et les autorités locales dans la réflexion, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques d’immigration et d’accueil. Chaque niveau de collectivité à sa pertinence et il s’agit aussi de coordonner les actions locales, régionales et nationales. Les territoires solidaires sont nombreux, leurs acteurs se sentent parfois isolés et le travail en réseau permettrait certainement d’améliorer les expériences dans les territoires.

– Défendre une gouvernance alternative des migrations internationales à tous les échelons, fondée sur l’accueil digne et le respect des droits fondamentaux, qui s’inscrit dans une vision globale de citoyenneté des droits humains et de leur effectivité.

– Condamner et faire cesser les violations des droits et les traitements inhumains et dégradants commis envers les personnes exilées.

– Diriger les investissements et les financements vers des solutions durables et systémiques pour l’accueil digne des personnes exilées et l’insertion de celles souhaitant vivre sur le territoire plutôt que vers des dispositifs sécuritaires. Renforcer les moyens alloués aux guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) et les structures en charge de l’accueil ainsi que dans les préfectures qui souffrent d’un manque cruel de personnels dédiés.

– Respecter les obligations internationales de la France et garantir davantage de voies légales d’immigration plutôt que d’instrumentaliser la solidarité internationale et l’aide au développement à des fins de contrôle migratoire.

– Supprimer le règlement Dublin III, créer une plateforme européenne de solidarité qui tient compte de la réalité des pays de première entrée et de la volonté des demandeurs d’asile dans leur choix de pays d’accueil.

– Régulariser de manière massive, notamment pour satisfaire les besoins des secteurs économiques en tension et permettre aux personnes régularisées un accès à des conditions de vie dignes. Les critères de la circulaire Valls de 2012 pourraient servir de base à une loi de régularisation.

La représentation des migrants et leur interaction dans la vie de la cité demeure pour l’instant irrésolue. En tant que premiers bénéficiaires, leurs appréciations des conditions d’accueil et d’intégration des étrangers en France paraissent primordiales dans l’évaluation de l’efficacité des politiques migratoires et d’accueil. La création d’une assemblée consultative composée de demandeurs de titre de séjour et d’asile et de réfugiés permettrait de recueillir leur voix. Enfin, impulser une visibilité et un dialogue d’hospitalité avec les migrants via l’accès à la culture et à des activités socioculturelles parait indispensable. Le rôle de la création artistique comme moyen de relater des expériences vécues, que les mots peinent parfois à exprimer, mérite d’être souligné dans ce contexte précis, où les expériences en question relèvent souvent du tragique et de l’inhumain. De plus, la création artistique – en particulier lorsqu’elle est collective – peut devenir vectrice de rencontres et de socialisation pour des exilés dont l’existence est d’ordinaire marquée par une impression de solitude et d’isolement. La découverte de la culture d’un pays offre également un précieux aperçu de l’histoire et des coutumes nationales. En complément de l’apprentissage du français, cette transmission de repères culturels pourrait apaiser à terme, si de besoin, les relations entre exilés et non‑exilés en France.

Santé

La santé est également un point crucial sur lequel la promesse républicaine est bien loin d’être atteinte, avec des enjeux de santé individuelle, mais aussi des enjeux de santé publique.

– L’intégration des bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME) dans le régime général de la Sécurité sociale est fondamental afin de lutter contre le non‑recours (50 %), éviter des retards de soins, les ruptures de droits et éviter la convergence vers des urgences déjà saturées. Il s’agit aussi de mettre fin à l’instrumentalisation politique de la santé des étrangers symbolisée par la persistance d’un régime spécifique d’une rare complexité.

Fin 2019, des barrières supplémentaires à l’accès aux soins ont été imposées aux étrangers précaires dits « sans‑papiers » pour pouvoir accéder l’aide médicale de l’État. Dans le même temps, les personnes demandeuses d’asile se sont vu opposées, et pour la première fois, un délai de carence de 3 mois, retardant d’autant leurs accès aux soins et leur affiliation à la protection universelle maladie (PUMa).

– Il faut supprimer le délai de carence de 3 mois imposé aux personnes demandant l’asile avant de pouvoir être affiliées à la protection universelle maladie (PUMa) mise en place fin 2019 ;

– Les mesures concernant l’AME et plus largement celles restreignant les droits de santé des étrangers adoptées fin 2019 doivent être abrogées ;

– Enfin, il faut renforcer et sanctuariser la compétence du ministère de la Santé et des Affaires sociales sur les questions relatives à la santé des personnes étrangères. Le ministère de l’Intérieur ne doit pas administrer les questions de santé des étrangers. La compétence de gestion, de contrôle des « flux migratoires » et de sécurité doit rester séparée des compétences en matière de santé publique, de santé individuelle, d’organisation des soins, quelles que soient les populations concernées.

Roms, squats et campements

Concernant les personnes vivant dans des squats ou bidonvilles en France, une attention particulière doit leur être portée. L’instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles (NOR : TERL1736127J) de 2018 se voulait définir un cadre d’action renouvelé afin de donner une nouvelle impulsion à la politique de résorption des campements illicites et bidonvilles, une politique à la fois humaine et exigeante quant au respect du droit et de la loi, mais aussi une politique efficace, avec un objectif de réduction durable du nombre de bidonvilles. Les préfets ont rarement mis en œuvre cette circulaire, laquelle pourrait trouver un second souffle et se concrétiser en prenant force de loi.

*

Entre propositions de la commission d’enquête, valeurs et principes de nos textes fondateurs, besoins urgents révélés par les acteurs de terrain, cette présente résolution se veut une invitation à poser un nouveau regard sur les politiques migratoires, à la mesure de ce que nous sommes, des femmes et des hommes. Nul objectif d’exhaustivité, nulle prétention à détenir la vérité, juste une impression que les discours médiatico‑fantasmés nous mènent nulle part, juste la certitude qu’en dressant des murs, on dresse les gens les uns contre les autres…

Au pays de Victor Hugo, les Migrants sont devenus les Misérables du siècle. Le respect de la dignité humaine est pourtant un creuset de la société française dans lequel chacun peut retrouver l’autre, différent mais aussi son semblable, avec empathie. L’identité de la France au XXIème siècle, c’est peut‑être celle qui fait que notre dignité est atteinte quand la dignité d’un autre l’est.

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement à redéfinir les politiques migratoires et d’accueil en plaçant le respect de la dignité humaine au cœur de sa réflexion et des pratiques qui en découlent.