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N° 204

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 août 2021.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la surveillance,
le traitement et la prévention de la pollution des nappes phréatiques par les rejets industriels issus des installations classées pour la protection de l’environnement de produits industriels persistants, mobiles
et toxiques tels que les composés perfluorés,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. Cyrille ISAACSIBILLE,

député.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 12 mai 2022, une enquête journalistique diffusée sur France 2 a dévoilé la présence d’une pollution aux composés per- et polyfluoroalkylés (dits « PFAS ») sur le territoire des communes du sud de la Métropole de Lyon, et plus particulièrement sur celui de Pierre‑Bénite, une collectivité locale au sein de laquelle sont implantées deux installations classées (ICPE) utilisant ou ayant utilisé ces polluants organiques persistants, mobiles et toxiques.

D’importantes quantités de composants polyfluorés, de l’ordre de 110 à 240 ng/L, ont été détectées dans l’eau du Rhône, en aval des canaux de rejets industriels et en amont des captages d’eau potable à destination de la consommation par les habitants de plusieurs communes, dans les sols maraîchers et dans l’air. Ces substances chimiques ont même été retrouvées dans le lait maternel de plus d’une dizaine de femmes. Ces résultats sont supérieurs à ce que préconise la future directive européenne applicable en France à partir de 2026, qui fixe la norme de qualité environnementale à 100 ng/L d’eau destinée à la consommation ([1]).

Ces polyfluorés sont des composés chimiques synthétiques utilisés depuis les années 1950 par les industriels, en raison de leurs propriétés anti‑adhésive et imperméable. Nous les retrouvons dans de nombreux produits de consommation courante : textiles, emballages alimentaires, ustensiles de cuisine (notamment les poêles téflon), vaisselles jetables, etc.

Ces substances sont baptisées « molécules indestructibles » et « polluants éternels » tant elles sont difficilement dégradables dans l’environnement. De nombreuses études ([2]) associent l’exposition à ces substances aux cancers, altération de la fécondité, dysfonctionnements hépatiques, dérèglements hormonaux, etc…, ceci pour deux raisons : leur caractère bioaccumulable pour l’espèce humaine (accumulation au sein de l’organisme) et leur capacité à être extrêmement mobile et persistant dans l’environnement.

Ces caractéristiques expliquent également pourquoi certains PFAS ont été décelés dans les prélèvements réalisés à Pierre‑Bénite alors même qu’ils n’étaient plus utilisés par les industriels depuis plusieurs dizaines d’années. Il est donc probable que les nappes phréatiques soient contaminées.

Actuellement :

– La présence de ces PFAS n’est pas réglementée dans les produits destinés à la consommation. Seuls certains de ces composés sont d’ailleurs interdits ([3]).

– Aucune valeur seuil ou indicateur de pollution des eaux souterraines n’est établie en dehors des seuils existants pour l’eau destinée à la consommation humaine ([4]). À partir du 1er janvier 2023, les rejets des installations classées (ICPE) dans les milieux naturels devront cependant respecter une valeur d’émission spécifique pour le seul PFOS, fixée à 25 μg/L ([5]).

– Pour certaines installations de traitement de déchets relevant du régime de l’autorisation et de la directive relative aux émissions industrielles, à compter du 17 août 2022, une surveillance semestrielle de certains composés perfluorés (PFOS et PFOA) devra être réalisée au niveau des effluents ([6]).

– Le Gouvernement français doit remettre un rapport au Parlement un rapport sur la pollution des eaux et des sols par les substances per- et polyfluoroalkyles ([7]).

Face à l’insuffisance de réglementation, certains États ont d’ores et déjà prohibé certaines utilisations de ces produits chimiques. Le Danemark a notamment interdit leurs utilisations dans les emballages alimentaires.

La pollution aux PFAS présente en Auvergne Rhône‑Alpes dévoile les nombreuses zones d’ombre relatives à la surveillance des rejets industriels et des potentielles contaminations des milieux naturels. En effet :

– Pourquoi cette pollution n’a‑t‑elle pas été détectée plus tôt ?

– Faut‑il attendre une investigation journalistique pour contrôler la quantité de produits chimiques rejetés dans les sols et les eaux, et informer la population concernée de pollutions anciennes et actuelles aux abords des sites chimiques d’une commune ?

– Pourquoi les services de l’État ont‑ils attendu la révélation d’une pollution aux polyfluorés pour réaliser des contrôles inopinés dans les eaux et sols incriminés ?

Cette proposition de résolution appelle donc la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer l’ampleur de la contamination aux produits organiques persistants, mobiles et toxiques tels que les composés perfluorés (PFAS) par les rejets industriels d’installations classées dans les milieux naturels, et notamment au sein des eaux souterraines ; d’identifier les défaillances de surveillance des rejets industriels et des concentrations de ces produits dans les milieux naturels, notamment aquatiques ; d’apporter des solutions à court, moyen et long terme pour prévenir, contrôler et traiter les rejets de produits chimiques pour les habitants en proie à ces contaminations.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres, chargée :

1° d’évaluer l’ampleur de la pollution des nappes phréatiques en raison des rejets industriels, anciens et actuels, de produits persistants, mobiles et toxiques, tels que les composés perfluorés ;

2° de déterminer si la pollution constatée relève d’une défaillance de surveillance des rejets industriels et des concentrations de produits chimiques mesurées dans les milieux naturels, notamment aquatiques, aux abords des sites industriels relevant de la police des installations classées ;

3° d’examiner les limites du cadre législatif et réglementaire applicable aux rejets industriels des installations classées et à la protection des nappes phréatiques concernant ces substances persistantes ;

4° d’établir une série de propositions visant à :

– adapter le cadre juridique applicable à ces rejets industriels et contaminations des milieux naturels par des substances chimiques ;

– renforcer la surveillance des sites et des milieux récepteurs, le contrôle et le traitement des pollutions anciennes et actuelles des eaux souterraines par des substances chimiques persistantes, notamment par la mise en place d’études toxicologiques de ces polluants sur la santé et la biodiversité sur les secteurs impactés ou identifiés comme à risque ;

– apprécier les options de remédiation disponibles à ce jour ou à l’état de recherche pour ces situations ;

– améliorer l’information des habitants et des élus des territoires sujets aux contaminations par une obligation de transparence et d’information régulière des prélèvements réalisés et des résultats obtenus, des prescriptions de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement et du suivi des mesures ordonnées.


([1]) Directive (UE) 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil, 16 décembre 2020, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

([2]) Notamment une étude diligentée par la Commission européenne auprès de l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), « risk to human health related to the presence of perfluoroalkyl substance in food », 9 juillet 2020.

([3]) Convention internationale de Stockholm du 22 mai 2001 sur les polluants organiques persistants, Règlement (UE) 2019/1021 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant les polluants organiques persistants.

([4]) Directive 2020/2184 du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

([5]) Arrêté du 24 août 2017 modifiant dans une série d’arrêtés ministériels les dispositions relatives aux rejets de substances dangereuses dans l’eau en provenance des installations classées pour la protection de l’environnement.

([6]) Arrêté du 17 décembre 2019 relatif aux meilleures techniques disponibles (MTD) applicables à certaines installations de traitement de déchets relevant du régime de l’autorisation et de la directive IED.

([7]) Loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.