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N° 289

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à assurer l’égalité effective entre tous les citoyens
par une grande loi de développement pour les Outremer,

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanHugues RATENON, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Perceval GAILLARD, JeanPhilippe NILOR, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Moetai BROTHERSON, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Steve CHAILLOUX, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Emeline K/BIDI, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Tematai LE GAYIC, Karine LEBON, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Frédéric MAILLOT, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Marcellin NADEAU, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

Député.e.s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En réponse à l’Appel de Fort‑de‑France signé par sept Présidents d’exécutifs ou d’assemblées ultramarins, le président de la République a convié le 7 septembre dernier les élus des Outre‑mer à un dîner de travail. Dans ce texte, les signataires dénonçaient la situation intenable dans laquelle se trouvent les collectivités d’Outre‑mer qui subissent des inégalités persistantes avec le reste du territoire de la République.

Les députés ultramarins de la Nouvelle union populaire écologique et sociale ont exprimé collectivement leur ras‑le‑bol de cette situation le 20 juillet dernier, dans une conférence de presse commune. Un fait rare souligné par les observateurs, lors de l’examen de la loi pouvoir d’achat dans laquelle les spécificités des Outre‑Mer ne sont pas prises en compte.

Les citoyennes et citoyens des Outre‑mer sont à bout. À bout d’inégalités structurelles et structurantes qui les maintiennent dans un état de relégation intolérable.

Les rapports et études se succèdent pour pointer les écarts qui persistent et s’aggravent en termes de coût de la vie, d’emplois, de logement, de santé ou encore de transports. Dernièrement, un rapport de Santé Publique France du 20 septembre a fait part d’une “situation préoccupante” et des grandes inégalités territoriales en défaveur des outre‑mer. Les départements et régions ultramarines y affichent “des indicateurs globalement plus défavorables que l’ensemble de la métropole” avec un taux de mortalité maternelle sur la période 2010‑2019 multiplié par 4 et un taux de naissance mort‑nées multiplié par 1,5, touchant plus particulièrement Mayotte et la Guyane. Ces chiffres choquent mais sont révélateurs d’une situation globale devenue le quotidien des ultra‑marins.

L’inflation actuelle touche de plein fouet les Outre‑mer où la vie chère préexistait, les produits alimentaires y sont entre 28 % et 38 % plus élevés que dans l’hexagone. Dans deux rapports flash publiés en mai 2022 l’INSEE précise que la hausse des prix à la consommation en Guadeloupe et Martinique a été respectivement de 3,8 % et de 4,3 % entre avril 2021 et avril 2022. À La Réunion où l’inflation avoisine une hausse de 4,2 % sur un an, la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics déplorait en avril dernier l’augmentation des prix des matériaux qui atteignait +80 % en un an pour l’aluminium.

La situation économique est une des causes principales de la cherté de la vie de par une forte dépendance aux économies extérieures et lointaines. Le ministre Jean‑François Carenco a annoncé cet été vouloir organiser, à Paris, un “Oudinot contre la vie chère” pour l’ensemble des collectivités ultra‑marines avec l’objectif d’un accord fin septembre. Quelle est la teneur de tels engagements qui sonnent creux sans nouveaux dispositifs concrets contre ces problèmes structurels ? Le Gouvernement s’attaquera‑t‑il aux monopoles et oligopoles privés ? Pour reprendre les mots du Président Macron en 2019 concernant leurs sur‑marges “Les milliers d’euros d’écart ils vont bien dans la poche de quelqu’un”.

Environ 18 % des Français en situation de grande pauvreté se trouvent dans les départements et régions d’Outre‑mer alors qu’ils ne représentent que 3 % de la population totale française. Le taux de pauvreté en Outre‑mer varie ainsi entre 33 % et 77 % contre 14 % dans l’hexagone. Une récente étude de l’INSEE du 31 août dernier estime qu’à La Réunion 20 % des adultes sont dans une situation de pauvreté qui dure plusieurs années (sans interruption de 2015 à 2018). Cette pauvreté persistante est 4 fois plus importante dans l’île que dans l’hexagone.

La solution permettant de sortir de cet état est notamment le retour à l’emploi, mais le chômage oscille entre 11 % et 30 % en Outre‑mer contre 8,4 % dans l’hexagone Les inégalités de revenus sont insoutenables : selon l’INSEE, le niveau de vie médian était inférieur de 20 % à 23 % en Martinique et Guadeloupe par rapport à l’hexagone, à La Réunion il est inférieur d’un tiers au niveau de vie médian et en Guyane de moitié. À Mayotte, il ne représente qu’un sixième de la valeur métropolitaine. En raison d’un secteur local productif insuffisamment développé, les écarts salariaux entre le secteur public (fortement développé) et le secteur privé y sont bien plus élevés avec une concentration des rémunérations du privé autour du salaire minimum. En Polynésie française, les salariés sont 7,5 % moins bien payés que leurs homologues de l’hexagone alors que le coût de la vie est 39 % plus cher. Les salaires des agents publics y sont globalement plus élevés de 40 % par rapport au secteur privé. Dans les emplois de la fonction publique, mieux rémunérés, on retrouve une sur‑représentation des métropolitains, ce qui contribue au maintien d’inégalités.

Le manque d’accès à l’éducation contribue à ces taux élevés de chômage : l’illettrisme touche 20,3 % de la population contre 7 % encore une fois dans l’hexagone.

La problématique du logement illustre également cette situation intenable. Face au foncier rare, aux risques naturels, à la croissance démographique et au niveau de vie inférieur, les besoins sont colossaux. Les logements insalubres et indignes représentent près de 12 % du parc de logements contre 1,2 % dans l’hexagone. La pénurie de logements sociaux contribue au développement de logements informels. Selon le rapport de la fondation Abbé Pierre de 2020 sur le mal‑logement, plus de 210 000 logements sont informels sur un total de 900 000 logements dans l’ensemble du parc. 80 % des ménages des DROM sont éligibles au logement social mais seuls 15 % des ménages en bénéficient.

De manière générale l’offre de services publics y est particulièrement plus faible que ce soit pour l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable (rappelons qu’entre 15 % et 20 % de la population de Guyane n’a pas accès à l’eau alors que cette collectivité dispose de la 3e réserve d’eau au monde et que la Guadeloupe accuse une perte de 43,3 % d’eau dans des fuites).

Le Conseil économique social et environnemental (CESE) dans une étude de 2020 intitulée “L’accès aux services publics dans les Outre‑mer” résume ainsi que “La persistance d’écarts importants dans l’accès aux services publics avec l’Hexagone, crée de fortes tensions et des frustrations” dans ces collectivités. Selon cette même étude, l’investissement moyen de l’État par habitant en Outre‑mer s’élève à 116,29 euros en 2018 contre 176,40 euros en moyenne nationale.

La crise sanitaire a aggravé ces inégalités, de par le faible accès à la santé, les mesures de restrictions prolongées ou encore la faible reprise du secteur du tourisme.

L’ensemble de ces inégalités et injustices structurantes a conduit à de grands mouvements sociaux comme ceux qu’on a pu voir dans les Antilles en novembre dernier.

Ces écarts structurels frappants nous mettent devant le fait accompli : l’objectif aujourd’hui est de mettre fin à ces disparités persistantes entre les Outre‑mer et l’hexagone afin d’aller vers une autonomie socio‑économique de ces collectivités au sein de la République.

À chaque loi de finances nous constatons que ces besoins sont insatisfaits et les objectifs des différents plans (comme le plan logement outre‑mer 2015‑2019) ne sont pas atteints. Pourtant, les gouvernements successifs maintiennent une stratégie de saupoudrage financier de crédits sous‑consommés qui n’est pas à la hauteur de ces terribles constats. Dans le plan de relance, les collectivités d’outre‑mer ont été moins bien dotées par rapport à leur poids dans l’économie française (1,5 % du plan de relance de 100 milliards d’euros contre un poids de 2,5 % du PIB).

Face à cette situation plus qu’alarmante, la seule solution institutionnelle dégainée plusieurs fois par les derniers gouvernements, comme lors de la dernière crise dans les Antilles, durant laquelle le ministre Sébastien Lecornu a évoqué le sujet de l’autonomie alors que les populations réclamaient l’égalité, ne peut pas régler ces enjeux et en détourne le regard. Les lacunes de l’État entretiennent la demande de plus de décentralisation ou de différenciation des élus ultra‑marins. Le ras‑le‑bol des inégalités subies et de l’accès non effectif aux droits humains, l’indifférence de l’exécutif face à l’impératif de régler ces problèmes structurels donnent à nos concitoyens le sentiment qu’ils ne peuvent plus compter sur l’État, déjà largement absent.

En 1946, lorsque les anciennes colonies de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique et de la Réunion sont devenues des départements français puis Mayotte en 2011, l’objectif était de tendre vers une égalité juridique de ces collectivités par rapport à l’hexagone, afin d’assurer le développement de ces collectivités et de rattraper les standards de vie. Mais la désillusion des citoyens face à la lenteur du rattrapage, face au scandale sanitaire du chlordécone, ont conduit à différentes crises sociales les dénonçant. À Mayotte, rappelons que l’égalité sociale est loin d’être réalisée car les prestations sociales y sont bien plus défavorables que dans le reste du territoire. Le tournant néolibéral ou encore l’européanisation ont contribué à la fin d’une planification étatique garante de l’égalité territoriale. Les taux d’abstention dans plusieurs collectivités d’outre‑mer (53 % au second tour de l’élection présidentielle en moyenne contre 28 % dans l’hexagone) révèlent cette désillusion.

L’inefficacité des politiques publiques repose sur différents facteurs, en dehors de l’insuffisance des moyens, comme le défaut d’adaptation des normes, la prise de décision aux mauvais niveaux ou sans concertation des élus et populations, le manque de communication entre Paris et les collectivités concernées ainsi que le défaut de formation et de sensibilité locale des administrations centrales et déconcentrées.

Quelles actions concrètes le Gouvernement propose‑t‑il afin de ne plus être le spectateur chaque année de la situation d’abandon dans laquelle se trouvent les Outre‑mer ? L’inaction gouvernementale se mesure aujourd’hui en coûts humains. Le rattachement du ministère des Outre‑mer au ministère de l’intérieur est un symbole fort qui ne présage pas une meilleure prise en compte des problématiques sociales des collectivités ultra‑marines.

Nous, signataires de cette proposition de résolution, demandons d’ici la fin du premier trimestre 2023 un grand plan pluriannuel d’urgence sociale avec une stratégie de développement durable et des moyens et financements à la hauteur des enjeux, afin d’en finir avec ces écarts injustifiables entre les citoyens ultra‑marins et de l’hexagone.

Afin d’arriver à une telle loi, il est impératif de consulter les élus, syndicats et citoyens locaux, pour faire un état des besoins réels à engager le plus rapidement possible dans les Outre‑mer et ne plus se limiter à des mesures d’urgence ponctuelles.

Plutôt que de continuer à renvoyer dans chaque loi thématique à des ordonnances pour mettre sous le tapis les adaptations nécessaires en Outre‑mer, ce grand plan permettra au Parlement de se saisir de l’ensemble des problèmes structurels : accès aux services publics et biens communs, lutte contre la vie chère et développement de l’économie locale pour favoriser l’emploi, mise en valeur écologique des ressources naturelles.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 1er de la Constitution,

Vu l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen,

Considérant que les collectivités d’Outre‑mer demeurent dans une situation d’écarts socio‑économiques persistants avec le reste du territoire de la République française,

Considérant que les différentes lois n’ont jusqu’à présent pas permis de résorber les inégalités subies par les citoyennes et citoyens ultra‑marins,

Invite le Gouvernement à consulter les citoyens et élus afin d’évaluer localement les besoins humains, techniques et budgétaires dans les Outre‑mer,

Invite le Gouvernement à présenter un grand projet de loi de développement pour l’Outre‑mer afin notamment :

– d’assurer l’égalité des citoyens dans l’accès aux droits humains, aux biens communs et aux services publics,

– de lutter contre la vie chère et de développer l’économie locale écologique en créant des emplois dans des secteurs stratégiques,

– de valoriser les compétences des Ultramarins,

– de mettre en place un plan de scolarisation et d’emploi local,

– d’établir une nouvelle coopération et développer de nouveaux échanges entre les différents territoires et les pays voisins dans chaque bassin respectif,

– de mieux prendre en compte les spécificités et besoins particuliers des collectivités d’outre‑mer dans les lois et règlements, mais aussi dans les administrations centrales et déconcentrées.