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N° 295 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative
aux révélations des Uber Files et au rôle du Président
de la République dans l’implantation d’Uber en France,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Danielle SIMONNET, Sébastien DELOGU, Andy KERBRAT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER,

député.e.s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dimanche 10 juillet 2022, le Consortium international des journalistes d’investigation révélait le scandale Uber Files. S’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine et datés de 2013 à 2017, l’enquête Uber Files permet de comprendre la stratégie et les méthodes employées par le géant américain des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) pour investir le secteur français du transport public particulier de personnes.

Un allié de taille au Ministère de l’Économie

Alors ministre de l’Économie, Emmanuel Macron a joué un rôle prépondérant dans l’implantation de la multinationale américaine en France entre 2014 et 2016, et ce, contre les orientations privilégiées par le gouvernement de l’époque. L’enquête Uber Files révèle qu’au moins 17 échanges significatifs ont eu lieu entre les équipes d’Emmanuel Macron, et celles d’Uber dans les 18 mois qui ont suivi son arrivée au ministère, sans faire l’objet de publicité. La confidentialité et l’intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet esquissent une relation privilégiée et opaque, et révèlent des faiblesses persistantes dans notre capacité à mesurer l’influence des intérêts privés sur la décision publique.

Liens de collusion et jeux d’influence

Les liens de collusion sont multiples. En premier lieu, le « deal » entre Uber et Emmanuel Macron, qui, en échange d’une suspension du service Uberpop, s’est engagé à simplifier les normes nécessaires à l’obtention d’une licence de VTC. L’arrêté du 2 février 2016, relatif à la formation et à l’examen de conducteur de VTC, finira par clore le débat en abaissant la durée de formation des chauffeurs VTC de 250 heures à 7 heures.

Les jeux d’influence, tant dans les institutions françaises que dans les sphères européennes, témoignent de l’investissement de l’ancien Ministre dans le succès français d’Uber. Alors que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) perquisitionne le site parisien d’Uber, Emmanuel Macron aurait rassuré les dirigeants de l’entreprise, demandant à son équipe de prévoir une « discussion technique » avec les agents de la DGCCRF, afin que ces derniers ne soient pas « trop conservateurs ». D’autres faits témoignent également d’une possible ingérence lors de la redéfinition du périmètre d’application de l’arrêté préfectoral réglementant la présence du service UberPop dans les Bouches‑du‑Rhône. Au vu de ces éléments, il est nécessaire de déterminer si Uber a bénéficié d’une protection politique contre le contrôle de l’administration.

Si l’enquête Uber Files a apporté des éléments quant au rôle d’E. Macron en tant que ministre de l’Économie, de nombreuses alertes formulées par les députés européens de la France insoumise sur l’opacité des réunions organisées dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne (PFUE) autour du projet de directive européenne de présomption de salariat des travailleurs des plateformes exigent de faire la lumière sur l’état actuel des relations entre Uber et l’exécutif.

Pour finir, l’ancien lobbyiste d’Uber à l’origine des révélations, Mark McGann, a déclaré avoir participé au financement de la campagne présidentielle de La République en Marche en 2016. Nous proposons que la commission d’enquête parlementaire examine le cadre dans lequel s’est déroulée la participation à cette collecte de fonds, et examine si elle est susceptible de constituer des « avantages quelconques à une personne dépositaire de l’autorité publique […] pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir […] un acte de sa fonction »([1]).

Abandon de la profession réglementée des taxis au profit d’un marché dérégulé

Au‑delà d’une collusion entre le pouvoir public et une entreprise privée, l’enquête Uber Files illustre la philosophie de l’ubérisation. Uber a de fait imposé une contrefaçon du métier réglementé des taxis par une politique de concurrence déloyale en imposant une plateforme de mise en relation avec des chauffeurs dépendant d’un statut de “faux indépendants”. Entre 2016 et 2018, la part des taxis dans l’offre de transport public de personnes n’a cessé de diminuer, passant de 78 % à 58 %, là où la part VTC a augmenté de 22 % à 42 %. Selon plusieurs acteurs du secteur, plusieurs dispositions issues de la loi Thévenoud([2]) et de la loi Grandguillaume([3]) réglementant l’activité des VTC, ne sont toujours pas effectives. Pour ces raisons, une commission d’enquête est nécessaire afin de statuer si le secteur VTC et notamment Uber échappent toujours à la réglementation adoptée par le Parlement.

Les plateformes comme Uber, condamné pour concurrence déloyale et reposant sur un statut de travailleur indépendant reconnu « fictif » par la Cour de cassation([4]), déséquilibrent les marchés concernés, notre système de protection sociale et appauvrissent l’État. Soutenir activement le développement de ce modèle répond‑il à l’intérêt général républicain ?

Ainsi, nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire afin d’évaluer les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement d’Uber en France. Nous demandons également qu’elle enquête sur la nature des liens noués entre Uber et Emmanuel Macron, son cabinet de l’époque et l’administration. La commission d’enquête étudiera également la complaisance de l’exécutif vis‑à‑vis des activités de lobbying d’Uber et émettra des recommandations sur l’encadrement du lobbying en France.

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les révélations des Uber Files et le rôle du président de la République actuel dans l’implantation d’Uber en France lorsqu’il était ministre de l’économie. Cette commission d’enquête :

1° À pour mission d’identifier l’ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s’implanter en France et leurs conséquences sociales, économiques et environnementales ;

2° Étudie la responsabilité de l’ancien ministre de l’économie dans l’implantation et le développement d’Uber en France et s’il y a eu échange de bons procédés entre les parties citées lors de la campagne présidentielle de 2016 ;

3° Émet des recommandations concernant l’encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts.


([1]) Extrait de l’article 431-11 du code pénal

([2]) Loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur

([3]) Loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes

([4]) Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mars 2020, 19-13.316