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N° 381

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME L7ÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative à l’interdiction des additifs nitrés
dans les produits de charcuterie,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Richard RAMOS,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la charcuterie et les salaisons comme cancérogènes avérés (groupe 1 : « cancérogènes certains pour l’homme »). Les charcuteries et salaisons représentent, avec l’alcool, le seul groupe d’aliments qui est classé dans cette catégorie. Le rapport final du CIRC, publié en 2018 ([1]), n’a fait que confirmer les conclusions du World Cancer Research Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer Research (AICR) qui alertaient dès 2007 sur la consommation de charcuterie comme augmentant nettement le risque de cancer ([2]).

Selon le CIRC, la consommation de charcuteries et salaisons contribue en France à plus de 4 380 cas de cancer (500 cas de cancer de l’estomac et 3 880 de cancer colorectal) ([3]). L’OMS considère que chaque portion de 50 grammes de charcuterie consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18 %. Les résultats expérimentaux obtenus par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ont montré que les charcuteries nitrées ont un effet cancérogène spécifique, que n’ont pas les charcuteries fabriquées sans additif nitré ([4]).

Dans le cadre d’une mission d’information menée sur l’utilisation des sels nitrités, le professeur Denis Corpet (INRAE), qui présidait l’équipe consacrée aux mécanismes de la cancérogénèse lors de l’évaluation du CIRC, a été auditionné. Après avoir rappelé le poids du cancer colorectal en France, celui‑ci a fermement recommandé qu’il soit mis fin à l’emploi des additifs nitrés, qu’il a décrit comme un « poison » ([5]) auquel les fabricants de charcuterie devaient renoncer.

En 2019, dans un échange avec le commissaire européen à la santé et à l’alimentation, le professeur Corpet rappelait les travaux conduits par son équipe sur des animaux de laboratoire : « un modèle de jambon expérimental, traité au nitrite, favorise la cancérogénèse colorectale chez les rongeurs. Lorsqu’il est fabriqué sans nitrite, le même jambon n’a pas d’effet promoteur de la cancérogénèse » ([6]). D. Corpet concluait :

« L’addition de nitrites dans des aliments tels que le jambon ou le bacon occupe une place centrale dans le risque de cancer. C’est pourquoi les produits carnés qui contiennent ces additifs sont significativement plus dangereux que les autres charcuteries » ([7]).

La cancérogénicité des charcuteries nitrées est liée à la présence de fer héminique et à la transformation des additifs nitrés au cours du processus de production et au cours de la digestion. Les additifs nitrés réagissent avec les composants de la viande et avec des produits de dégradation, entraînant l’apparition de composés dits « NOC » : nitrosamines, nitrosamides, nitrosothiols et fer nitrosylé. Le fer nitrosylé (FeNO), en particulier, résulte de la rencontre (via une réaction de nitrosylation) ([8]) entre, d’un côté, le monoxyde d’azote (NO) issu de l’additif nitré, et de l’autre côté, le fer héminique naturellement présent dans la matière carnée. L’environnement acide de l’estomac catalyse une réduction supplémentaire pour créer du NO et des nitrosothiols. Lors de son audition devant la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités, le professeur Axel Kahn, généticien et président de la Ligue contre le cancer, a résumé l’état des connaissances sur l’effet cancérogène de la charcuterie après qu’elle a subi un traitement nitré : « Le grand phénomène chimique de la charcuterie nitritée est la formation de nitrosohème ferreux, incroyablement stable et qui résiste à la cuisson. » ([9]) Au cours de la digestion, le nitrosohème « produit une cascade de produits de dégradation au contact direct de la muqueuse intestinale, en particulier de la muqueuse colique. C’est ce qui explique le caractère très spécifique de la cancérogénicité des produits nitrités. ([10]) »

La dangerosité des viandes nitrées a été reconnue par la Commission européenne, qui a accepté, dans sa décision (UE) 2021/741 du 5 mai 2021, que le Danemark maintienne des dispositions nationales plus restrictives que celles découlant du règlement (CE) n° 1333/2008 définissant les quantités et autres conditions d’utilisation des nitrites dans les produits à base de viande ([11]).

Les résultats de la dernière étude de référence (la méta‑analyse de Crowe, Eliott et Green de 2019) ne laissent pas de place au doute : sur dix‑sept publications étudiant l’effet spécifique des additifs nitrés, cinq concluent que les charcuteries nitrées et non nitrées sont aussi dangereuses les unes que les autres. Une seule étude conclut que les charcuteries nitrées sont moins dangereuses. Et onze concluent que les charcuteries nitrées sont plus cancérogènes que les charcuteries n’ayant pas subi de traitement nitré ([12]).

Suite à une mobilisation sans précédent des ONG (La Ligue contre le cancer, Foodwatch et Yuka) ([13]) et de parlementaires (Richard Ramos, Barbara Bessot‑Ballot et Michèle Crouzet), une proposition de loi relative à la consommation de produits contenant des additifs nitrés a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2022 ([14]).

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), saisie le 29 juin 2020 par les ministères chargés de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation, ainsi que de l’économie et des finances sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, a rendu son rapport le 12 juillet 2022 ([15]).

Malgré la démission d’un des chercheurs ayant mené l’expertise, dénonçant les nombreux dysfonctionnements et pressions subies, les autorités sanitaires françaises confirment « l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrates et nitrites ». L’Agence nationale de sécurité alimentaire (Anses) souligne que l’analyse des données des publications scientifiques parues sur l’impact cancérogène du nitrate et du nitrite, notamment dans la viande transformée, « rejoint la classification du Centre international de recherche sur le cancer ».

Dès la parution de cet avis, le Gouvernement français a annoncé qu’ » un plan d’actions coordonné sera mis en place afin d’aboutir à la réduction ou la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire et cela le plus rapidement possible. » ([16]).

Parallèlement, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) mène actuellement une évaluation sur les risques associés à la consommation de nitrites. Cette évaluation a été mise à la consultation du grand public le 12 octobre 2022 pour une période de six semaines. ([17])

Toutefois, cette évaluation concerne « exclusivement les nitrosamines », alors que l’ANSES a clairement détaillé dans le rapport que l’effet cancérogène est lié à deux autres composés nitrosés, en l’occurrence les nitrosothiols et le fer nitrosylé. Dans son rapport de juillet 2022, l’ANSES conclue notamment que « Les nitrates et les nitrites participent à la production d’agents nitrosants (NO°, NO+) qui conduisent, dans les denrées, à la formation de composés nitrosés dont les nitrosamines en particulier dans les produits cuits ou frits à haute température ; les nitrosothiols ; le nitrosylhème. ([18]) »

Dans ses échanges avec l’Assemblée nationale, la responsable de l’expertise EFSA indiquait pourtant que le fer nitrosylé était bien pris en compte par les évaluations que l’agence effectuait ([19]). A l’été 2022, le directeur de l’ANSES indiquait encore que la nouvelle évaluation de l’EFSA serait « une évaluation spécifique de la toxicité des différents composés nitrosés » ([20]). L’Assemblée nationale note qu’après la saisine de la Commission européenne, les experts réunis par l’EFSA ont indiqué qu’ils demandaient à élargir le périmètre de l’expertise demandée afin qu’il soit tenu compte des composés nitrosés autres que les nitrosamines ([21]). Pourtant, l’EFSA a décliné cette demande des experts et a fait savoir que son rapport final se bornerait, le cas échéant, à recommander des « études supplémentaires » ([22]).

En conséquence, l’expertise en cours à l’EFSA ne tiendra pas compte des nitrosothiols et du fer nitrosylé (nitrosylhème), ce dernier composé étant pourtant identifié pas l’ANSES et par les experts consultés par la mission de l’Assemblé nationale comme étant le composé nitrosé le plus gravement impliqué dans le processus cancérogène lié à l’absorption de charcuteries traitées au nitrate ou au nitrite. Dans son rapport d’expertise collective, l’ANSES a notamment insisté sur le fait que les questions concernant l’impact carcinogénique du nitrate et du nitrite « imposent de considérer de manière dynamique et la plus intégrative possible toutes les voies de transformation des ions nitrate et nitrite en composés nitrosés néoformés et d’en considérer les effets sur la santé humaine ([23]). »

Compte‑tenu des travaux de l’Assemblée nationale, des autorités sanitaires françaises et de la position du Gouvernement français, l’Assemblée nationale souhaite donc inviter la Commission européenne et l’autorité sanitaire européenne à prendre en compte ces les travaux de l’ANSES afin qu’in fine puisse être mis en place dans les meilleurs délais un plan d’action de sortie des additifs nitrés à l’échelle européenne.

Tel est l’objet de la présente proposition de résolution européenne.

 

 

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 114, 168 et 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant le consensus scientifique établi par le Centre international de recherche sur le cancer, l’Assemblée nationale, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et le Gouvernement français sur le lien entre consommation de charcuteries nitrées et développement de cancers, notamment colorectaux ;

Considérant la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 3 février 2022 en première lecture, relative à la consommation de produits contenant des additifs nitrés et le plan d’actions visant à réduire l’ajout des additifs nitrés dans les produits alimentaires, présenté par le Gouvernement français le 12 juillet 2022 dernier ;

Considérant l’autorisation accordée par la Commission européenne au Danemark de maintenir des dispositions plus restrictives que la réglementation européenne, se traduisant par une réduction drastique des additifs nitrés dans la fabrication de charcuterie ;

Considérant que les recommandations de consommation issues des évaluations de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de 2017 font courir un risque de santé publique ainsi que cela découle des conclusions de l’Assemblée nationale confirmées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et pris en compte par le Gouvernement français ;

Enjoint l’Autorité européenne de sécurité des aliments d’intégrer les conclusions des travaux de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son rapport d’évaluation afin de protéger le consommateur européen contre les risques associés à l’emploi de nitrates ou de nitrites dans la charcuterie ;

Demande que l’évaluation en cours menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, limitée aux nitrosamines, prenne en compte la totalité des composés nitrosés identifiés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, afin que notamment les nitrosothiols et le fer nitrosylé soient inclus dans le champ de cette évaluation ;

Demande la révision des recommandations de consommation émises par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et issues d’évaluations datant de 2017, qui font aujourd’hui courir un risque de santé publique à tous les consommateurs européens ;

Demande à la Commission européenne de placer d’urgence la question de la cancérogénicité des nitrites et additifs nitrés dans la charcuterie parmi ses priorités, en vue de la mise en place d’un plan d’action tenant à la suppression de ces additifs cancérogènes à l’échelle des vingt‑sept États membres.


([1])  IARC, Red meat and processed meat, IARC monographs on the evaluation of caricinogenic risks to humans, volume 114, IARC, 2018.

([2])  World Cancer Research Fund. Food, Nutrition, Physical Activity, and the Prevention of Cancer : A Global Perspective 2007.

([3])  Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine , 2018, consultable en ligne : https://gco.iarc.fr/includes/PAF/PAF_FR_report.pdf

([4])  Raphaelle Santarelli et al., ‘Meatprocessing and colon carcinogenesis : cooked, nitritetreated, and oxidized highheme cured meat promotes mucindepleted foci in rats’, Cancer Prevention Research, n° 3, 2010.

([5])  Audition publique du professeur D. Corpet, le 7 octobre 2020 par la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités.

([6])  Lettre de D. Corpet à M. Andriukaitis, Commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire, 7 février 2019.

([7])  Idem.

([8])  Bastide NM, Pierre FH, Corpet DE. Heme iron from meat and risk of colorectal cancer : a metaanalysis and a review of the mechanisms involved. Cancer Prevention Research, 2011 Feb ; 4(2).

([9])  Audition publique du professeur A. Kahn, le 7 octobre 2020 par la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités. Éléments repris dans Le Quotidien du Médecin, 20 novembre 2020.

([10])  Axel Kahn, Le Quotidien du Médecin, 20 novembre 2020.

([11])  Décision de la Commission du 25 mai 2010 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l’adjonction de nitrites à certains produits à base de viande, paragraphe 7.

([12])  W.Crowe, C.T. Elliott, B. D. Green, A Review of the In Vivo Evidence Investigating the Role of Nitrite Exposure from Processed Meat Consumption in the Development of Colorectal Cancer, Nutrients, 2019, 201, 11, 2673.

([13]) Pétition  Stop aux nitrites ajoutés dans notre alimentation https://www.foodwatch.org/fr/sinformer/nos-campagnes/alimentation-et-sante/additifs/petition-stop-aux-nitrites-ajoutes-dans-notre-alimentation/

([14]) Proposition de loi relative à la consommation de produits contenant des additifs nitrés https://www.vie  publique.fr/loi/283627-proposition-de-loi-nitrites-nitrates-dans-les-produits-de-charcuterie

([15])  Rapport de l’ANSES - Réduire l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation https://www.anses.fr/fr/content/r%C3%A9duire-l%E2%80%99exposition-aux-nitrites-et-aux-nitrates-dans- l%E2%80%99alimentation

([16])  Communiqué de presse du Ministre de la Santé et du Ministre de l’Agriculture https://solidarites- sante.gouv.fr/IMG/pdf/20220712_cp_gouvernement_action_nitrites.pdf

([17])  EFSA's Panel on Contaminants in the Food Chain (CONTAM), Draft Scientific Opinion on the human health risks related to the presence of N-nitrosamines (N-NAs) in food, 12 octobre 2022.

([18])  Rapport Évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrites. Avis révisé de l’Anses, Rapport d’expertise collective, juillet 2022. p. 47. Voir également figure 3 (p42)

([19])  Claudia Roncancio-Pena, responsable de l’unité «  Ingrédients et emballages alimentaires » de l’EFSA, 28 avril 2021

([20])  Rapport Évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrites. Avis révisé de l’Anses, Rapport d’expertise collective, juillet 2022, p. 25

([21])  Minutes de la 114 ème réunion plénière de l' EFSA unit on biological hazards and contaminants (Scientific panel on contaminants in the food chain), 23-24 mars 2021 (point 7.3) (https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/2021-04/114th-plenary-meeting-contam-panel-minutes.pdf)

([22])  idem

([23])  Rapport Évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et nitrites. Avis révisé de l’Anses, Rapport d’expertise collective, juillet 2022, p. 28.