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N° 438
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2022.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur
les manipulations de l’information par les lobbies,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l'éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),
présentée par Mesdames et Messieurs
Aurélien SAINTOUL, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, Mathilde HIGNET, Andy KERBRAT, Rachel KEKE, Bastien LACHAUD, Julie LAERNOES, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, François PIQUEMAL, Marie POCHON, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Léo WALTER,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 19 mai 2022, le journal Fakir ([1]) révélait qu’une société privée, Avisa Partners, offre à ses clients des prestations d’une nature particulière : celle-ci utilise les plateformes des grands médias pour promouvoir du contenu prétendument neutre et expert qui sert en réalité les intérêts particuliers de ses clients. Autrement dit, il s’agit de manipulation de l’information au service des lobbies.
Les idées et thèses promues par Avisa Partners vont de l’innocuité du glyphosate ([2]) aux « errements de la junte thaïlandaise ». Tout y passe, de la désinformation écologique au renforcement du pouvoir d’autocrates à travers le monde.
Il suffit de payer pour que l’article, décliné sous plusieurs angles, écrit par des personnes utilisant une fausse identité, revendiquant une fausse qualification et arguant d’une fausse expertise, se retrouve publié partout : sur toutes les plateformes de médias en ligne, dans les pages « Opinion » des grands quotidiens ou même sur des sites montés de toutes pièces. Une simple recherche sur Google fait alors apparaître une première page de résultats, résolument orientée, qui offre l’illusion d’un consensus intellectuel ou scientifique mondial.
Quelques mois plus tard, le journal Fakir découvrira que Mme Olivia Grégoire, désormais Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, aurait supervisé la rédaction de certains de ces articles. Celle-ci dirigeait alors l’agence de lobbying numérique iStrat, une société dont les dirigeants seraient les fondateurs d’Avisa Partners eux-mêmes. L’information a depuis été confirmée par le journal Libération ([3]).
Les médias devraient représenter un contre-pouvoir. Le travail d’établissement et de recherche des faits est au cœur de leur travail et doit le rester.
La manipulation de l’information peut être du fait de puissances étrangères mais également des puissances de l’argent. C’est aujourd’hui l’argent, plutôt que l’information, qui est au cœur des médias. De fait, quelques milliardaires ont pu acheter et contrôlent désormais la majorité de nos médias papier et en ligne pour les mettre au service de leurs profits et de leurs intérêts privés. Ceci contrevient à l’objectif d’intérêt général de la profession de journaliste : participer à l’édification d’une société de citoyens éclairés.
Il est urgent d’enquêter sur ces pratiques.
Outre le danger intrinsèque qu’elles font courir à la société, elles accentuent la défiance de nos concitoyens et concitoyennes envers les médias et les journalistes et mettent en péril la possibilité d’une vie démocratique.
Nous voulons évaluer le nombre de sociétés privées qui opèrent, à l’instar d’Avisa Partners, sous couvert d’être des promoteurs de contenus neutres dans des grands médias mais sont en réalité des lobbies aux pratiques douteuses. Il est aussi nécessaire d’estimer l’influence que peuvent avoir ces sociétés sur la fabrique de l’opinion : combien de personnes emploient-elles ? Quel est le nombre de vues des articles qu’elles promeuvent ? Quelles sont leurs plateformes privilégiées ? Qui sont les personnes physiques et morales qui les emploient sur le territoire national comme à l’étranger ? Quelles sommes sont brassées par ces sociétés chaque année ? Quels sont leurs thèmes de prédilection ? Faut-il encadrer leurs pratiques comme cela a été fait dans le domaine de la publicité et du marketing ?
proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’évaluer les manipulations de l’information par les lobbies et de proposer des pistes d’encadrement.
([2]) « Voilà qu’à la même période, on me commande de plus en plus d’articles sur le glyphosate, l’agent actif du Roundup de Monsanto. Le but : décrédibiliser le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Pourquoi ? Ses rapports classent le glyphosate comme produit « potentiellement cancérigène » – au même titre que la viande rouge, la charcuterie et les boissons chaudes, c’est dire la violence de la charge... Mais c’est encore trop. »