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N° 505

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à appliquer le décret relatif aux investissements étrangers en France pour protéger nos groupes industriels stratégiques et à adopter une stratégie nationale de réindustrialisation, d’intelligence économique et de défense de la souveraineté industrielle,

présentée par Mesdames et Messieurs

Alexandre LOUBET, Marine LE PEN, Franck ALLISIO, Bénédicte AUZANOT, Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, Romain BAUBRY, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Pierrick BERTELOOT, Bruno BILDE, Emmanuel BLAIRY, Sophie BLANC, Frédéric BOCCALETTI, Pascale BORDES, Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Caroline COLOMBIER, Annick COUSIN, Nathalie Da CONCEICAO CARVALHO, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Edwige DIAZ, Sandrine DOGOR‑SUCH, Nicolas DRAGON, Christine ENGRAND, Frédéric FALCON, Thibaut FRANCOIS, Thierry FRAPPÉ, Anne‑Sophie FRIGOUT, Stéphanie GALZY, Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Marine HAMELET, Joris HÉBRARD, Timothée HOUSSIN, Laurent JACOBELLI, Alexis JOLLY, Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Katiana LEVAVASSEUR, Christine LOIR, Aurélien LOPEZ‑LIGUORI, Marie‑France LORHO, Philippe LOTTIAUX, Matthieu MARCHIO, Michèle MARTINEZ, Alexandra MASSON, Bryan MASSON, Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, Thomas MÉNAGÉ, Pierre MEURIN, Serge MULLER, Julien ODOUL, Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, Kévin PFEFFER, Lisette POLLET, Stéphane RAMBAUD, Angélique RANC, Julien RANCOULE, Laurence ROBERT‑DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean‑Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE, Lionel TIVOLI, Antoine VILLEDIEU,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La puissance industrielle d’une nation est la garantie de son indépendance économique, de sa capacité à innover, à fournir des emplois durables à son peuple et à créer de la richesse pour financer de manière soutenable la solidarité sociale.

Depuis 1980, les branches industrielles françaises ont perdu près de la moitié de leurs effectifs, soit 2,2 millions d’emplois. Dans le même temps, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) a reculé de 10 points pour s’établir à 13,4 % en 2018, contre 25,5 % en Allemagne, 19,7 % en Italie, ou encore 16,1 % en Espagne. Entre 1991 et 2016, la baisse relative du poids de l’industrie a été deux fois supérieure en France à celle observée outre‑Rhin.

Cette réalité décrite dans le rapport de France Stratégie, publié en février 2022, est reconnue par tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale. Elle explique de nombreux maux dont souffrent la France et les Français, maux qui ont notamment été relevés lors des récentes crises de la covid‑19 et de la guerre en Ukraine.

Depuis 20 ans, de nombreux responsables politiques décrivent la perte de souveraineté de la France et la faiblesse de notre pays pour préserver et promouvoir ses intérêts économiques dans la mondialisation. L’ancien Député Bernard Carayon avait notamment réalisé deux rapports parlementaires pour les premiers ministres Jean‑Pierre Raffarin puis Dominique de Villepin, en 2003 et 2006, qui ont permis de déterminer les voies et les moyens d’une stratégie française d’intelligence économique défensive et offensive. Plusieurs décisions utiles ont été prises pour l’industrie nationale sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Arnaud Montebourg avait aussi, lorsqu’il était ministre de l’Économie et du Redressement productif, conçu de nouveaux outils pour une nouvelle politique industrielle. Les résultats n’ont malheureusement pas été à la hauteur des ambitions initiales, les chiffres des secteurs industriels parlent d’eux‑mêmes.

Ces dernières années, malgré cette prise de conscience partagée au‑delà des clivages politiques, de nombreuses pépites françaises ont été acquises par des puissances et des groupes étrangers. La liste est particulièrement longue : Alstom, Alcatel, Technip, Lafarge, Morpho, Latécoère, Souriau, HGH et tant d’autres. Les prises de capitaux de nos fleurons stratégiques par des groupes étrangers menacent la souveraineté nationale, bradent de nombreux savoir‑faire et brevets stratégiques à des puissances étrangères et participent bien souvent de la désindustrialisation du pays et de la perte d’emplois dans le secteur.

L’État dispose pourtant d’instruments de protection pour éviter ces ventes qui fragilisent notre indépendance industrielle :

– Lors de la possible acquisition de Danone par PepsiCo en 2005, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, a pris un décret (Décret n° 2005‑1739 du 30 décembre 2005) permettant à l’État d’engager une procédure d’autorisation relative aux investissements étrangers dans onze secteurs stratégiques.

– Lors de la vente de l’activité Energie d’Alstom à General Electric, Arnaud Montebourg a pris un nouveau décret relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable (Décret n° 2014‑479 du 14 mai 2014) : cette procédure aurait pu permettre à l’État de bloquer le rachat, le gouvernement ne l’a finalement pas appliquée.

– Lors de la précédente législature, après l’adoption de la loi Pacte, les principes de ces deux décrets ont été renforcés avec le décret n° 2019‑1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.

Ces derniers mois, cette procédure légale n’est malheureusement pas utilisée par le gouvernement alors que plusieurs acquisitions d’entreprises stratégiques par des sociétés étrangères inquiètent légitimement la représentation nationale au‑delà des groupes politiques, parmi lesquelles :

– L’acquisition en octobre 2022 par le groupe américain Heico de la société toulousaine Trad qui est l’un des leaders mondiaux dans le domaine hautement spécialisé de l’ingénierie des rayonnements pour les secteurs spatial, nucléaire et médical ;

– La possible acquisition par le même groupe américain, Heico, de la société française Exxelia, spécialisée dans l’électronique de pointe équipant plusieurs appareils de l’armée française, fournissant aussi notre industrie spatiale et plusieurs autres secteurs d’application dans le domaine civil.

– La possible acquisition par le fonds d’origine américaine Phoenix Tower International de 1 226 sites de télécommunications en France au groupe espagnol d’infrastructures Cellnex. Ce rachat donnerait notamment au groupe américain la clé d’environ 600 toits‑terrasses répartis dans Paris intra‑muros (soit 97 % de la couverture de la capitale, incluant les quartiers d’ambassades, ministères, sièges d’entreprises, etc.) sur lesquels il serait possible d’installer des dispositifs d’écoute et d’interception des communications, à l’instar des IMSI‑catchers, menaçant les intérêts économiques de fleurons nationaux, de même que la Défense et la Sécurité nationales ;

– La possible acquisition par un consortium mené par SK Capital Partners associé à Edgewater Capital Partners, deux fonds américains de capital‑investissement spécialisés dans les matériaux de haute technologie, de l’activité Cristaux et détecteurs de Saint‑Gobain, comprenant notamment des solutions de détection de radiations pour l’imagerie médicale et la sûreté nucléaire.

Ces différents cas constituent des atteintes incontestables à la souveraineté nationale. Ils confirment une défaillance de l’État quant à l’identification, la prévention et la lutte contre les menaces étrangères sur le tissu économique et industriel de notre pays.

Si l’emploi du décret relatif aux investissements étrangers est nécessaire pour éviter ces ventes dans les plus brefs délais, il est insuffisant pour protéger durablement notre souveraineté et ainsi retrouver une puissance industrielle.

Il est impératif que notre pays se dote d’un programme d’intelligence économique permettant d’identifier, de prévenir et de lutter contre les menaces économiques et industrielles qui minent notre indépendance. Le Parlement pourrait être pionnier en créant une délégation au renseignement économique.

Il est aussi vital de déterminer une politique industrielle pour la France, ne se limitant pas à la seule compétitivité du pays ni à l’attractivité des investissements étrangers, mais mobilisant toutes les ressources nationales, filière par filière pour substituer à plusieurs secteurs d’importations une production nationale qui permette de conquérir de nouvelles parts de marché en France et à l’international et de réindustrialiser la France.

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme,

Considérant que les récentes crises, notamment la covid‑19 et la guerre en Ukraine, ont démontré les difficultés qu’implique la dépendance de la France dans certains secteurs industriels, et ont confirmé la nécessité de préserver et renforcer l’indépendance nationale dans les filières industrielles stratégiques ;

Considérant que les intérêts nationaux sont menacés par l’acquisition par des groupes étrangers de sociétés aux activités stratégiques sur notre sol : en particulier Exxelia, Cellnex, l’activité « cristaux et détecteurs » de Saint‑Gobain ;

Considérant que l’État dispose des moyens de s’opposer à ces acquisitions en s’appuyant sur le décret n° 2019‑1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France ;

Considérant que l’État est aujourd’hui défaillant dans la défense de nos intérêts économiques ;

Souhaite voir la France s’opposer à l’abandon et à la vente de parts entières de sa souveraineté industrielle à des puissances étrangères ;

Souhaite voir la France déterminer une stratégie nationale pour l’industrie et la réindustrialisation de la France ;

Invite le Parlement à créer une délégation au renseignement économique ;

Invite le Gouvernement à utiliser le décret n° 2019‑1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France pour s’opposer à la vente des actifs stratégiques précités ;

Invite le Gouvernement à mettre en œuvre un programme d’intelligence économique permettant de prévenir, d’alerter et de lutter contre les menaces économiques ;

Invite le Gouvernement à déterminer une stratégie industrielle nationale par filière permettant de restaurer la puissance industrielle de la France.