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N° 594

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale 2 décembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative
aux révélations des Uber Files : l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Danielle SIMONNET, Sébastien DELOGU, Andy KERBRAT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean-Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Mathilde PANOT, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Bénédicte TAURINE, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER

Député.e.s.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dimanche 10 juillet 2022, plusieurs médias membres du Consortium international des journalistes d’investigation publiaient les Uber Files. S’appuyant sur 124 000 documents internes à l’entreprise américaine et datés de 2013 à 2017, les enquêtes Uber Files révèlent le lobbying agressif et le mépris des lois au cœur de la stratégie d’implantation du géant américain des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) pour investir le secteur français du transport public particulier de personnes.

Uber a réussi à faire plier le droit français pour imposer son modèle : il s’agit d’une entreprise qui a lancé un service illégal, UberPop, sans réaction suffisante ou immédiate des pouvoirs publics ; d’une entreprise qui est parvenue à empêcher des contrôles administratifs et judiciaires ; d’une entreprise dont la stratégie du chaos a suscité de nombreux troubles à l’ordre public ; d’une entreprise qui est parvenue à exploiter chaque faille de la réglementation et à mener chaque manœuvre dilatoire, y compris sur le plan judiciaire, pour que les pouvoirs publics ne parviennent à rétablir la légalité ; d’une entreprise qui se soustrait aux obligations d’un employeur envers le code du travail et la sécurité sociale ; d’une entreprise spécialiste des stratégies d’évitement fiscal ; d’une entreprise qui, en dépit de ces méthodes, a trouvé des alliés dans l’appareil d’État.

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Selon l’enquête journalistique, le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique de l’époque, Emmanuel Macron, a joué un rôle prépondérant dans l’implantation de la multinationale américaine en France entre 2014 et 2016, et ce, contre les orientations privilégiées par le gouvernement d’alors. Les Uber Files révèlent qu’au moins 17 échanges significatifs ont eu lieu avec Uber dans les 18 mois qui ont suivi son arrivée au ministère, sans faire l’objet de publicité. La confidentialité et l’intensité des contacts noués par Uber révèlent les faiblesses persistantes dans notre capacité à mesurer l’influence des intérêts privés sur la décision publique.

Simplification des normes nécessaires à l’obtention d’une licence de VTC en échange d’une suspension du service - pourtant illégal – Uberpop ; « discussion technique » avec les agents de la DGCCRF suite à une perquisition, redéfinition du périmètre d’application d’un arrêté préfectoral réglementant la présence d’UberPop dans les Bouches-du-Rhône, rédactions d’amendements clef-en-main… les actions de lobbying direct et indirect menées par Uber ont de fait abouti à de nombreux arbitrages très favorables pour cette entreprise et interrogent quant à la capacité des pouvoirs publics à faire face au lobbying. Une commission d’enquête parlementaire est nécessaire afin d’identifier de quelle façon les décideurs publics ont été approchés, comment ont-ils répondu aux sollicitations, et, quand ils l’ont fait, pour quels motifs.

Selon différents acteurs du secteur, plusieurs dispositions issues de la loi Thévenoud et de la loi Grandguillaume réglementant l’activité des VTC ne sont toujours pas effectives. Pour ces raisons, une commission d’enquête parlementaire est nécessaire pour statuer si le secteur VTC et notamment Uber échappent toujours à la législation adoptée par le Parlement, afin de mesurer la réelle empreinte normative du lobbying sur l’élaboration et l’application de la loi. 

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Au-delà des collusions entre les pouvoirs publics et une entreprise privée, l’enquête Uber Files invite à réfléchir sur le modèle de l’ubérisation et ses conséquences. Uber a imposé une contrefaçon du métier réglementé des taxis par le développement d’une plateforme de mise en relation avec des chauffeurs dépendant d’un statut de “faux indépendants”. Les distorsions de concurrence et le dumping social qui en découlent se sont avérés payants :  entre 2016 et 2018, la part des taxis dans l’offre de transport public de personnes n’a cessé de diminuer, passant de 78 % à 58 %, là où la part des VTC a augmenté de 22 % à 42 %.

Le modèle économique importé par Uber, entreprise condamnée pour concurrence déloyale, repose sur un statut de travailleur indépendant reconnu « fictif » par la Cour de cassation. Ce modèle déséquilibre les marchés concernés, porte atteinte à notre système de protection sociale, et appauvrit l’État. Depuis, l’ubérisation ne cesse de s’étendre à un nombre croissant de secteurs d’activité, et de travailleuses et travailleurs qui, les premiers, en subissent les conséquences. 

Ainsi, nous proposons que cette commission d’enquête parlementaire évalue les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement du modèle Uber en France et la façon dont l’action – ou l’inaction – des pouvoirs publics lui permettent de prospérer. Ces conséquences sont étroitement liées à la question du soutien et des facilitations dont a pu bénéficier l’entreprise, dans le sens où de sérieux doutes auraient dû inciter à considérer avec attention où se situait l’intérêt général dans cette affaire.

Mieux comprendre la réussite des stratégies menées par la société Uber, c’est assurer pour le futur une meilleure capacité des pouvoirs publics à faire prévaloir, d’une part, l’intérêt général sur les intérêts financiers, et d’autre part, le respect de l’État de droit.

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les révélations des Uber Files et l’implantation d’Uber en France. Cette commission d’enquête :

1° À pour mission d’identifier l’ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s’implanter en France, le rôle des décideurs publics de l’époque, et émet des recommandations concernant l’encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts ;

2° Étudie les conséquences sociales, économiques et environnementales du développement du modèle Uber en France et les réponses apportées et à porter par les décideurs publics en la matière.