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N° 667

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 décembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur
les conditions d’intervention des effectifs de la police et
de la gendarmerie lors des opérations de contrôles routiers,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, David GUIRAUD, Antoine LÉAUMENT, Carlos Martens BILONGO, Danièle OBONO, Mathilde PANOT, Thomas PORTES, JeanFrançois COULOMME, Alma DUFOUR, Andy KERBRAT, Andrée TAURINYA, Rachel KEKE, Elsa FAUCILLON, Raquel GARRIDO, François PIQUEMAL, Élisa MARTIN, Charlotte LEDUC, Loïc PRUD’HOMME, Emmanuel FERNANDES, Danielle SIMONNET, Sarah LEGRAIN, Sandra REGOL,

Député.e.s.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le nombre de personnes tuées par des tirs de policiers en France ne cesse d’augmenter dans le cadre d’intervention de sécurité routière. En 2021, selon les chiffres de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN), quatre personnes avaient été tuées dans ces circonstances, une seule en 2020 en zone police. L’année 2022 marque une accélération de ces drames où l’on dénombre 12 personnes, qui ont été tuées par des tirs de policiers après des refus d’obtempérer, depuis le début de l’année. Ainsi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a décidé de s’autosaisir en 2022 de cinq dossiers liés à la déontologie des forces de l’ordre, dont trois concernent des tirs à l’occasion de refus d’obtempérer : la mort, le 26 mars, d’un automobiliste à Sevran (Seine‑Saint‑Denis) ; la fusillade du Pont‑Neuf, à Paris, le 24 avril, au cours de laquelle deux personnes avaient été tuées et une troisième grièvement blessée ; et, début juin, la mort de la passagère d’un véhicule dans le 18e arrondissement de Paris.

En parallèle, sans qu’aucune statistique publique ne puisse le recenser précisément, mais dont la presse se fait régulièrement l’écho, ces interventions routières conduisent trop souvent à mettre en danger la vie des effectifs de la police, de la gendarmerie ou de la population.

Cette multiplication des situations d’ouvertures de feu sur des véhicules en mouvement doit interroger sur les conditions d’encadrement et de formation qui ont généré de tels comportements, autant que la façon dont sont enseignés les textes en vigueur.

Les enquêtes statistiques ne permettent pas de distinguer les causes de refus d’obtempérer, qui peuvent relever d’infractions contraventionnelles, de délits ou de crimes, et même avoir lieu sans qu’une infraction ne soit commise. Un rapport du Sénat évoque une hausse continue de 28 % entre 2015 et 2020 des refus d’obtempérer. Cette hausse s’est poursuivie l’an dernier, passant de 25 871 refus d’obtempérer en 2020 à 26 320 refus d’obtempérer en 2021. Ce délit est aujourd’hui le principal motif pour lequel les policiers utilisent leurs armes de service.

L’une des explications de ce phénomène se trouve dans la réglementation : depuis 2017, comme pour les gendarmes, les policiers peuvent tirer sur un véhicule quand un conducteur n’obtempère pas et quand il est susceptible de porter atteinte à leur vie ou à celle d’autrui.

Notre postulat est de considérer qu’aucune personne ne doit trouver la mort suite à un simple refus d’obtempérer : ni du côté policier ou gendarme ni du côté des citoyennes et citoyens. Dans tous les cas, l’emploi des armes est conditionné à une situation d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, c’est‑à‑dire en cas de risque grave et imminent pour l’intégrité corporelle. Il est de la responsabilité du ministère de l’Intérieur de rappeler ces règles pour éviter la réitération de ces situations mortifères, incompatibles avec les principes d’un État de droit, et avec la nécessité d’apaiser les relations entre les forces de l’ordre et la population.

La thèse soutenue par le ministre Gérald Darmanin selon laquelle « jamais la police n’est à l’origine de ce qu’il se passe » n’est d’aucune manière une réponse politique satisfaisante. Plus encore, le statu quo actuel est une insulte aux familles des victimes et incompréhensible pour celles et ceux qui, comme nous, cherchent à renforcer les liens entre la police et la population. À notre sens, les tirs policiers, plus souvent mortels que jamais depuis qu’ils sont dénombrés, sont une atteinte aux droits fondamentaux et il est impératif d’établir les raisons objectives de cette situation. Une ligne directrice doit conduire des perspectives d’évolutions des doctrines et moyens d’intervention respectueuse des principes de nécessité, légitimité et proportionnalité. À notre sens, seul un cadre d’intervention respectueux d’une doctrine de désescalade est à même de guider les doctrines d’interventions des missions de police.

Tel est l’objet de la présente commission d’enquête qui devra établir un état des lieux des principaux facteurs d’explications : la doctrine d’intervention et la formation des policiers et gendarmes dans le cadre des délits routiers et des contrôles de la route, les évolutions des comportements sur la route et leur pénalisation, et enfin les équipements des agents publics et le cadre légal, qui encadre leur usage en particulier concernant l’usage des armes à feux. Elle renseignera également l’impact sur les pratiques de la compétence professionnelle des agents (des processus de sélection et des parcours de formation) au cours du temps, au regard des choix politiques de réduction de la durée de la formation.

Son travail intégrera également l’ensemble des effectifs des polices municipales. Malgré un cadre d’emploi différent notamment concernant l’usage des armes, la police municipale procède également à des contrôles routiers et un retour d’expérience est nécessaire.

La commission d’enquête s’attachera à évaluer l’impact de la modification législative introduite en février 2017 sous la présidence de François Hollande, qui assouplit l’usage des armes en France pour la police, sur le recours à l’usage des armes à feu. Un bilan statistique sera en ce sens nécessaire pour objectiver la situation. Elle objectivera également l’évolution de la réglementation conduisant à la multiplication des contrôles, que beaucoup de policiers et gendarmes estiment inutiles voire contre‑productifs et dangereux.

La commission d’enquête procèdera également à une analyse des pratiques existantes dans d’autres pays par le biais d’études comparatives (notamment les barres et herses stop stick ou encore l’utilisation de produits de marquage).

À l’aune de l’enquête ([1]) de janvier 2017 sur l’accès aux droits intitulé « Relations police / population : le cas des contrôles d’identité » du Défenseur des droits et du récent rapport ([2]) de juillet 2021 de la mission intitulée « La lutte contre les discriminations dans l’action des forces de sécurité », l’analyse sous l’angle des discriminations ne peut être écartée et doit nourrir toute approche de réflexion afin d’offrir les perspectives les plus complètes de réduction des risques.

Enfin, la commission d’enquête observera les évolutions des comportements des citoyennes et des citoyens sur la route, afin de mettre en exergue la pluralité de causes qui explique l’augmentation des situations de tension. Elle évaluera les évolutions législatives du code de la route, notamment au regard de l’instauration du permis à points, de la réglementation sur l’obligation d’assurance,…

En conclusion, la commission d’enquête devra formuler des recommandations afin de réduire les risques dans les interventions des effectifs de police et de gendarmerie.

– À court terme, elle précisera les instructions hiérarchiques précises que devrait prendre le ministère de l’intérieur pour faire respecter les principes de proportionnalité et d’absolue nécessité à destination des directeurs départementaux.

– À moyen terme, elle formulera des propositions de modifications de la loi afin de réduire les risques lors des interventions des effectifs de police et de gendarmerie et des dépénalisations des comportements routiers.

– À long terme, elle proposera des ajustements des formations et des moyens nouveaux pour la réalisation des missions.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête, composée de trente membres, chargée :

1° De réaliser un état des lieux du cadre normatif et des doctrines d’intervention des effectifs de la police et de la gendarmerie lors des opérations routières ;

2° D’évaluer l’impact de l’introduction en 2017 de l’article L. 435‑1 du code de la sécurité intérieure sur le recours à l’usage des armes à feu par les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale ;

3° De réaliser un état des lieux des formations et équipements mis à la disposition des policiers et gendarmes pour intervenir dans des opérations routières. Des études comparatives devront utilement alimenter les travaux ;

4° De rendre compte de l’évolution de la législation routière et des comportements des citoyennes et des citoyens sur la route.


([1]) « Enquête sur l’accès aux droits Volume 1 - Relations police / population : le cas des contrôles d’identité », Défenseur des droits, janvier 2017 - rapport-enquete_relations_police_population-20170111_1.pdf (defenseurdesdroits.fr)

([2]) « La lutte contre les discriminations dans l’action des forces de sécurité » Mission confiée par Monsieur Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, Monsieur Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, Christian Vigouroux Président de section honoraire, Conseil d’État, Florian Roussel, Maître des requêtes, Conseil d’État, juillet 2021 - Publication du rapport sur la lutte contre les discriminations dans l’action des forces de sécurité - Ministère de l'Intérieur (interieur.gouv.fr).