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N° 668

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 décembre 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à création d’une commission d’enquête visant à reconnaître l’existence d’adoptions internationales illégales en France depuis 1950, à identifier les responsabilités publiques et privées qui ont rendu
ces pratiques illicites possibles et à étudier la nécessité de
mettre en place des mesures de réparation à destination
des enfants et familles adoptives qui en ont été victimes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

Mme Valérie RABAULT, M. Boris VALLAUD et
les membres du groupe Socialistes et apparentés (1),

députés.

______________________

(1) Mesdames et Messieurs : Joël Aviragnet, Christian Baptiste, Marie‑Noëlle Battistel, Mickaël Bouloux, Philippe Brun, Elie Califer, Alain David, Arthur Delaporte, Stéphane Delautrette, Inaki Echaniz, Olivier Faure, Guillaume Garot, Jérôme Guedj, Johnny Hajjar, Chantal Jourdan, Marietta Karamanli, Fatiha Keloua Hachi, Gérard Leseul, Philippe Naillet, Anna Pic, Christine Pires Beaune, Dominique Potier, Valérie Rabault, Claudia Rouaux, Isabelle Santiago, Hervé Saulignac, Mélanie Thomin, Cécile Untermaier, Boris Vallaud, Roger Vicot.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’adoption internationale s’est développée de façon importante en France à compter des années 1950, avec une progression particulièrement marquée à partir des années 1970. D’après les statistiques publiées par le Ministère des affaires étrangères, le nombre d’adoptions internationales ayant eu lieu en France est ainsi passé de 971 en 1979 à 4133 en 2005.

Ce nombre a très fortement décru depuis, avec 251 adoptions réalisées en 2021. L’un des facteurs expliquant cette baisse tient en partie à l’adhésion d'un nombre croissant d’États à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Cette convention a représenté une avancée majeure dans la régulation des procédures d’adoption internationale en veillant à ce que toutes les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l’enfant.

Toutefois, ces dernières années ont vu émerger plusieurs témoignages indiquant qu’un certain nombre d’adoptions réalisées antérieurement à la mise en œuvre de la Convention de La Haye l’auraient été de manière irrégulière.

Certains pays, comme le Sri Lanka, ont eux-mêmes admis l’existence de pratiques illicites. Le Gouvernement sri-lankais a ainsi reconnu en 2017 que de nombreux abus et manquements ont émaillé les procédures d’adoption dans le pays, à l’insu des familles adoptives : faux documents dans les dossiers, mères de substitution engagées pour donner le consentement à l’adoption devant le tribunal, existence de « fermes à bébés », dans lesquelles étaient placées des mères démunies à qui leur enfant était retiré à la naissance pour être vendu soit directement à des parents, soit le plus souvent à des organismes spécialisés dans l’adoption internationale.

Derrière ces pratiques difficilement imaginables, ce sont la vie de milliers d’enfants qui, de par le monde, ont vu leur vie bouleversée, arrachés à leurs familles d’origine. Ce sont aussi autant de familles adoptives impactées, elles qui, pour la très grande majorité, ignoraient tout de ces pratiques illégales.

Plusieurs pays européens ont récemment pris conscience de cette situation et se sont engagés dans une démarche de transparence pour faire la lumière sur ces pratiques illégales.

La Suisse a ainsi mené une enquête conséquente sur les adoptions effectuées au Sri Lanka entre 1973 et 1997. Elle a mis à jour les « méthodes douteuses voire illégales pour répondre à la demande d’enfants de couples européens souhaitant adopter. Ces activités hautement lucratives n’étaient guère encadrées par les autorités du Sri Lanka, qui ont tenté à plusieurs reprises mais sans succès de mettre fin aux adoptions ([1]) ». Elle a également été le premier pays à reconnaître, en décembre 2020, sa part de responsabilité, en affirmant que les autorités suisses, « informées dès 1981 par des articles de presse et des informations de la représentation Suisse à Colombo, n’ont sembletil pas envisagé de stopper les adoptions en provenance du Sri Lanka, estimant ne pas avoir de preuves suffisantes. Diverses mesures ont été prises […] mais elles n’ont clairement pas suffi à contrer les problèmes soulevés ([2]) ».

En février 2021, les Pays‑Bas ont également reconnu leur part de responsabilité, pointant que « dans certains cas, le gouvernement néerlandais était au courant d’abus, mais n’est pas intervenu efficacement ([3]) ». En conséquence, le pays a pris la décision de suspendre temporairement toutes les adoptions internationales.

En octobre 2021, la Suède a pour sa part annoncé le lancement d’une enquête sur les adoptions internationales depuis les années 1950.

D’autres pays européens emboîtent aujourd’hui le pas. Le 15 décembre 2021, dans le cadre des débats parlementaires sur la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, le Gouvernement s’est engagé à « mettre en place, au premier trimestre de 2022, avec le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice, une mission interministérielle inspirée du modèle de la Commission d’information et de recherche sur les enfants de la Creuse ([4]) » pour enquêter sur ces adoptions illicites.

Près d’un plus tard, le Gouvernement a annoncé le 8 novembre 2022 le lancement d’une mission d’inspection sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale, dont les conclusions doivent être rendues au printemps 2023. Si nous saluons la constitution de cette mission d’inspection, nous estimons toutefois qu’elle dispose de prérogatives moins étendues que la commission temporaire d’information et de recherche qui avait été instituée en 2016 sur le déplacement vers la France hexagonale, entre 1963 et 1982, d’enfants réunionnais, afin de les envoyer dans des départements touchés par l’exode rural.

Il est indispensable que la France se montre à la hauteur du drame qui s’est noué autour de ces adoptions illégales. Afin de permettre à ces enfants adoptés, aujourd’hui devenus adultes, de connaître la vérité sur leurs origines. Afin également d’apporter des réponses aux familles françaises concernées qui pensaient avoir adopté en toute légalité.

En ce sens, la représentation nationale doit prendre toute sa place dans ce processus de recherche de la vérité. C’est pourquoi nous souhaitons la création d’une commission d’enquête afin que l’Assemblée nationale se saisisse de cet enjeu majeur.

Cette commission d’enquête devra répondre à trois principaux objectifs : d’une part, confirmer l’existence d’adoptions internationales illégales en France depuis 1950 ; d’autre part, comprendre et analyser les mécanismes qui ont rendu possibles ces pratiques illicites, en identifiant les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés ; enfin, elle devra étudier la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à à destination des enfants et familles adoptives victimes de ces pratiques illicites.

Dans le détail, nous souhaitons que les travaux de cette commission d’enquête permettent de :

– Établir un tableau précis des populations concernées par ces adoptions illégales ;

– Décrire de manière détaillée le déroulement de ces procédures d’adoption, en indiquant le rôle et la pratique des autorités françaises ainsi que des intermédiaires ;

– Déterminer si des soupçons d’irrégularités ont été détectés dans certaines procédures par l’administration, à qui ces soupçons ont été communiqués, quelle a été la réaction des autorités concernées et pourquoi ces révélations n’ont pas conduit un arrêt préventif immédiat des adoptions en provenance des pays concernés ;

– Déterminer le type de pratiques illicites qui ont été mises en œuvre et les acteurs impliqués ;

– Comprendre les processus ayant permis que des adoptions illégales aient pu être validées ;

– Identifier les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés ;

– Reconnaître officiellement, au regard des conclusions de cette commission d’enquête, que des adoptions illégales ont bien eu lieu en France ;

– Formuler le cas échéant des recommandations pour que ces pratiques illicites ne se reproduisent pas ;

– Étudier le cas échéant la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à destination des enfants et familles adoptives victimes de ces pratiques illicites ;

– Étudier la question de la requalification pénale du « trafic d’enfants en vue de l’adoption » en crime, conformément à l’article 3 a) du protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres. Cette commission est chargée de confirmer l’existence d’adoptions illégales internationales en France depuis 1950, de comprendre et analyser les mécanismes qui ont rendu ces pratiques illicites possibles, en identifiant les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés, et d’étudier la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à destination des enfants et familles adoptives victimes de ces pratiques illicites.


([1]) https ://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/gesellschaft/adoption/illegaleadoptionen.html

([2]) Ibid.

([3]) https ://www.tdg.ch/lespaysbassuspendentladoptiondenfantsaletranger155131527835

([4]) https ://www.senat.fr/seances/s202112/s20211215/s20211215.pdf