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N° 692

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à mieux identifier et prévenir les mouvements de terrain
en Martinique dus au dérèglement climatique, et
à faire de la Martinique un laboratoire expérimental en l’espèce,

présentée par Mesdames et Messieurs

Marcellin NADEAU, Soumya BOUROUAHA, Moetai BROTHERSON, JeanVictor CASTOR, Steve CHAILLOUX, André CHASSAIGNE, Pierre DHARRÉVILLE, Elsa FAUCILLON, Sébastien JUMEL, Emeline K/BIDI, Karine LEBON, JeanPaul LECOQ, Tematai LE GAYIC, Yannick MONNET, Davy RIMANE, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Nicolas SANSU, JeanMarc TELLIER, Jiovanny WILLIAM, Hubert WULFRANC,

Député‑e‑s.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’ampleur des intempéries qui se sont déroulées en novembre 2020, puis en 2021, sur la Martinique appelle à une sérieuse réflexion les pouvoirs publics comme les populations qui vont vivre désormais sous cette menace aggravée par le réchauffement climatique et les dérèglements qui en sont la conséquence.

Certes le contexte morphologique (fortes pentes), géologique (argiles d’altération de plusieurs mètres d’épaisseur, sols pulvérulents) et climatique (tropical humide) de l’île de la Martinique constitue un environnement naturel favorable aux mouvements de terrain. De mémoire d’homme, le territoire en a connu beaucoup. La Martinique a donc développé au cours du temps une certaine expérience de gestion des catastrophes naturelles de type mouvements de terrain. Avec une urbanisation diffuse rencontrée sur une très grande partie du territoire, il est courant que ces mouvements de terrain affectent directement des constructions et des infrastructures en engendrant des dégâts structurels aux bâtiments, des évacuations de sinistrés, des indemnisations parfois très longues à se matérialiser, des besoins en travaux de consolidation de routes et de réseaux divers. Ces mouvements de terrains ont aussi des conséquences indirectes pour les usagers de la route ou pour les habitants du territoire en dehors des zones affectées qui se retrouvent par exemple privées d’accès à l’eau potable. En novembre 2020, ce fut le cas pour 20 000 personnes en Martinique. Et la situation n’est toujours pas complètement résolue pour les sinistrés.

Avec le réchauffement climatique ces phénomènes de mouvements de terrain sont appelés à se répéter toujours plus souvent et surtout à avoir des conséquences bien plus dramatiques.

Quels sont ces mouvements de terrain ?

La nomenclature des catastrophes naturelles recense cinq types de mouvements de terrain :

– Les éboulements et chutes de blocs ;

– Les coulées de boue ;

– Les effondrements de cavités souterraines ;

– Les retraits‑gonflements des argiles dus à la sécheresse et à la réhydratation des sols ;

– Les glissements de terrain ;

Ces diverses classifications sont utilisées lors de l’examen des événements dans le cadre de l’application du régime d’assurance des catastrophes naturelles.

S’agissant spécifiquement des glissements de terrain, notons les événements les plus connus ou les plus dramatiques pour la Martinique :

– Glissement du Morne aux Bœufs au Carbet durant la construction de la RD 19 en janvier 1960 (1 mort) ;

– Glissement de la Médaille en 1916 (5 morts) puis en 1958, 1966, 1993 et 2002 ;

– Glissement de Fond Marie Reine au Morne Rouge en septembre 1963 (3 morts) ;

– Glissement du quartier Rivière l’Or à Saint‑Joseph en août 1970 durant la tempête Dorothy (19 morts) ;

– Glissement de Trou Vaillant à Fond Saint‑Denis en septembre 1967 durant la tempête Beulah ;

– Glissement de Macédoine au Lorrain en novembre 1984 (10 maisons évacuées) ;

– Glissement de Morne Macroix à Sainte‑Marie en 1984, 1998, 2002 et 2004 ;

– Glissement du Lotissement « Soleil Levant » au François en novembre 2004 (18 maisons perdues) ;

– Glissement de Morne Calebasse à Fort de France en mai et août 2011 ;

– Glissement de Zac Rivière Roche en septembre 1992 puis en septembre 2018 (RN 9) ;

– Glissement de Fond Saint‑Jacques à Sainte‑Marie en novembre 1984, en mai 2009 et en novembre 2020.

Certains glissements connus depuis longtemps, comme ceux de Fonds Saint‑Jacques, sur la commune de Sainte‑Marie, dans le Nord Atlantique de la Martinique, ont été actifs à de nombreuses reprises au cours des décennies écoulées.

À chaque fois, on parle de pluies diluviennes « exceptionnelles » comme étant la cause essentielle de l’activation de ces glissements. Souvent, ces glissements de terrain sont en effet liés au passage de phénomènes cycloniques, mais ils interviennent aussi fréquemment hors cyclone dès que les cumuls de pluie sont importants. Cette terminologie « exceptionnelle » est sans doute une des causes qui conduit à ne pas avoir une approche plus déterministe et proactive du traitement des conséquences de ces épisodes de pluies que nous préférons qualifier d’extrêmes.

Les glissements de terrain produisent parfois des dégâts matériels considérables mais en raison de leur cinématique propre (de 1 mm à 10 cm/jour dans la plupart des cas), ils ne conduisent que rarement à des pertes de vies humaines. C’est peut‑être là aussi une autre explication à l’inaction, qui dans de trop nombreux cas, succède à ces catastrophes.

On recense une quinzaine de glissements significatifs chaque année à la Martinique.

En 2009, lors d’un phénomène de grande ampleur dans le Nord de la Martinique, sur les mêmes sites qu’en 2020, à Fonds Saint‑Jacques, un arrêté du 20 juillet 2009 publié au Journal Officiel le 23 juillet 2020 sous le numéro 0168 avait reconnu l’état de catastrophe naturelle pour l’aléa mouvement de terrain.

Il est important de noter que malgré le risque particulièrement identifié pour la destruction des canalisations d’eau sur ces sites, aucune investigation poussée n’a été réalisée. Le travail engagé sur la résilience du réseau d’adduction d’eau potable n’a donc pas été étendu aux zones à risque identifié comme la logique aurait voulu. Le choix des sites a été déterminé par les exploitants des réseaux sans a priori avoir sollicité l’avis des géotechniciens.

S’agissant du réseau routier (RN1) de 2009, au même endroit qu’en novembre 2020, le glissement étant stationnaire au bout de quelques semaines, la décision a été prise d’effectuer des réparations de surface sur la couche de roulement. Une nouvelle couche est visiblement rajoutée au‑dessus de l’ancienne.

Puis, tout le monde oublie ce glissement…

En 2020, le phénomène climatique se reproduit, avec des dégâts importants.

Un premier arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle a été pris le 23 novembre 2020. Il a été publié au Journal Officiel le 3 décembre 2020 sous le numéro 0292. Mais cet arrêté, curieusement, alors que le phénomène est récurrent, et constatable, ne concerne cependant que les aléas inondations et coulées de boue.

Pour les constructions assurées, d’un point de vue purement assurantiel, cet arrêté est donc inopérant pour les sinistres provoqués par les mouvements de terrain. La situation de ces sinistrés assurés n’est donc pas à ce jour éclaircie et un autre arrêté est nécessaire pour enclencher le processus d’indemnisation. Il va ensuite se poser la question de la détermination du montant des indemnisations et c’est aussi une question qui peut parfois prendre du temps pour aboutir.

Pour les sinistrés non couverts par une police d’assurance dommages, seule la solidarité nationale ou locale peut jouer en leur faveur.

Et ils attendent toujours…

Notons que le plan de prévention des risques naturels (PPRN) de la ville de Sainte‑Marie classait la zone concernée par le glissement en zone inconstructible, et ce au moins depuis 2013.

Une question se pose : pourquoi l’arrêté n’a‑t‑il pas pris en compte l’aléa « mouvement de terrain », alors qu’il y a des précédents et que les mêmes dégâts sont constatés.

Les travaux eux‑mêmes soulignent ce phénomène. Les travaux de déblaiement de la structure routière endommagée ont en effet été réalisés. Puisque le glissement est visiblement encore actif, se pose la question de voir techniquement comment reconstruire un ouvrage « définitif » sur la zone de glissement avérée, délimitée et encore active. Les travaux se sont terminés en mars 2021. Il n’y a pas encore eu d’annonce pour le traitement de fond du glissement, mais il est évident que des études et des travaux lourds doivent être engagés pour réellement venir à bout d’un tel glissement et prévenir une réactivation future.

À ce jour, elles n’ont pas abouti. Et les sinistrés restent dans l’attente.

Dès lors, on s’interroge sur la situation des populations vivant sous la menace…

L’analyse des événements de 2009 et 2020 sur le Nord Atlantique de la Martinique, et en particulier sur le site de Fond Saint‑Jacques, montre bien que le premier événement cité n’était qu’un coup de semonce annonciateur d’une catastrophe bien plus grave. Lorsqu’une zone peut être déstabilisée, elle glissera dès lors que les conditions requises pour l’activation sont à nouveau réunies. Le plus souvent, l’élément déclencheur est la modification de l’état de cohésion d’une couche de sol liquéfiable, donc les infiltrations d’eau. D’autres facteurs naturels (séisme) ou anthropiques (circulation de poids lourds) peuvent également activer ou aggraver un glissement de terrain.

La réalité du dérèglement climatique va nous conduire à vivre des épisodes de sécheresses et de pluies extrêmes plus intenses. Les ouragans vont également être en moyenne plus intenses à l’avenir prédisent les experts. L’aléa « mouvement de terrain » et singulièrement l’aléa glissement de terrain qui est le corollaire de ces phénomènes atmosphériques ne peut donc que devenir plus prégnant. Ces épisodes vont mettre à mal des sols jeunes très vulnérables. Lorsque l’on réalise qu’en plus, la gestion des eaux de ruissellement est souvent approximative voire négligée, alors même que nous artificialisons rapidement le territoire, on comprend bien que de nouveaux événements de type « Fond SaintJacques » sont inévitables si on ne prend pas le taureau par les cornes.

Dans ces conditions, on ne peut plus prétexter la méconnaissance du risque pour ne pas agir de manière résolue sur les points sensibles, là où se trouvent des enjeux privés et publics.

Les études géotechniques pour les constructions neuves ne doivent plus, notamment, se contenter de concerner la parcelle d’implantation de la construction mais doivent dans certaines zones sensibles concerner un périmètre beaucoup plus large. L’adoption des PPRN en 2004 donnaient une période de 5 ans aux propriétaires pour se conformer aux recommandations du règlement. Cette mise en conformité est loin d’être une réalité. La révision des PPRN en 2013 (2018 pour Rivière Salée) a apporté de nouvelles contraintes. 9 ans après, la question de la résilience du bâti existant reste posée.

Certes aussi, on a souvent plusieurs années devant soi pour agir de manière préventive avant que la catastrophe ne se déclenche mais la récurrence d’événements sur des zones sensibles identiques montre que le traitement n’a généralement pas été mis en œuvre pour prévenir le risque et la catastrophe suivante. Il resterait en Martinique 8 grands glissements à traiter pour protéger le réseau routier territorial de catastrophes majeures. Les stratégies de maintenance du réseau routier et d’investissement dont les budgets ont fortement chuté ces dernières années (-50 % depuis 2016) doivent donc être remises à niveau.

C’est pourquoi cette proposition de résolution, après enquête auprès des services du BRGM et de Météo‑France, propose au Gouvernement des suggestions s’inspirant des événements martiniquais pour engager une politique spécifique en la matière.

Ces quelques recommandations réclament certes des moyens financiers, mais elles réclament surtout une volonté politique et individuelle d’agir en continu dans le domaine de la prévention des risques naturels. Un coût sans commune mesure avec celui impacté par les catastrophes. Les catastrophes, en effet, lorsqu’elles se produisent réclament l’engagement non programmé de sommes très considérables, soit pour venir au secours des individus, soit pour racheter, réparer, consolider des enjeux matériels de toute nature, du patrimoine privé et public.

Ces sommes seraient mieux employées dans des stratégies préventives. Pour l’aléa mouvement de terrain on peut agir pour réduire l’intensité ou tout simplement supprimer l’aléa sur les zones géographiques à enjeu.

Cette politique existe déjà à grande échelle pour les risques d’éboulements et de chutes de pierres. Il est proposé de l’étendre aux catastrophes liées aux mouvements de terrain comme ceux récurrents de Martinique.

C’est pourquoi le traitement qui est réservé aux conséquences de la catastrophe de novembre 2020 dans le Nord Martinique a valeur d’exemple et doit être traité avec ardeur. Deux ans ont pourtant passé… Nous devons donc être très attentifs au sort qui est réservé au secteur de Fond Saint‑Jacques et au Nord Atlantique de Martinique pour optimiser la gestion du risque et des catastrophes liées aux glissements de terrain en Martinique, aux Antilles mais aussi en France hexagonale comme les événements de l’arrière‑pays niçois l’ont montré.


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu les articles premier à 6 de la loi organique n° 2009‑403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34‑1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement :

1. À mieux instrumenter les zones de glissement connues pour les mettre sous étroite surveillance ;

2. À faire respecter plus strictement les prescriptions des plans de prévention des risques naturels.

3. À faire en sorte que les signaux faibles sur le terrain conduisent systématiquement à des études géotechniques poussées et à une planification de travaux de drainage ou consolidation des talus de manière plus réactive ;

4. À œuvrer à la meilleure pénétration de l’assurance même si on l’a vu dans le cas de Fond Saint-Jacques que la réponse assurantielle préventive n’est pas toujours possible à mettre en place avant l’événement ou qu’elle n’est pas toujours à la hauteur des enjeux et de l’urgence après la catastrophe.

5. À enfin avoir des plans de relogement prêts dans les cartons et à généraliser le concept de bâtiments refuge, de bâtiments d’urgence construits dans des zones sûre, ces plans, ces concepts et ces enjeux pouvant servir dans d’autres situations ;

6. À cet effet, suggère au Gouvernement de placer la Martinique en état de calamité naturelle exceptionnelle, à titre expérimental pour cinq ans.