1

Description : LOGO

N° 907

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 février 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative à « l’affaire Maureen Kearney » et ses implications en matière
de fonctionnement de nos institutions, de nos principes démocratiques et de notre souveraineté industrielle,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Clémentine AUTAIN, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIERE, Jean‑François COULOMME, Catherine COUTURIER, Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Perceval GAILLARD, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Rachel KEKE Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Charlotte LEDUC, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Élisa MARTIN, Pascale MARTIN, William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Jean‑Philippe NILOR, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH‑TERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER

Député‑e‑s.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La sortie en salle le mercredi 1er mars du film de Jean‑Paul Salomé, La syndicaliste, relance les interrogations sur ce qui ressemble à un scandale d’État. Cest une adaptation du livre publié en 2019 de Caroline Michel Aguirre, grand reporter à LObs. Ces dernières années, des documentaires télévisés et radiophoniques sont venus étayer notre connaissance de cette affaire, laissant les citoyen.nes avec de très nombreuses et graves questions en suspens.

Lhistoire vraie de Maureen Kearney, dirigeante de la CFDT chez Areva, secrétaire du comité de groupe européen, interroge nos rouages institutionnels, le rôle de la gendarmerie, de la justice ou encore des services de renseignement, aussi bien dans leur indépendance à l’égard de dirigeants économiques et politiques que dans leur prise en charge des violences faites aux femmes. Cette affaire met en cause lintervention ou la non‑intervention de hauts responsables de l’État. Elle pose question sur le respect de notre principe de souveraineté industrielle en matière de nucléaire. Bien des interrogations soulevées redoublent dintensité si lon ajoute laffaire concernant la femme dEmmanuel Petit, dirigeant chez Veolia, également agressée quelques années avant.

Partons des faits dont nous avons connaissance. Maureen Kearney, représentante des salariés dAreva, mène un combat en 2011 et 2012 contre une éventuelle signature de contrats dEDF avec son homologue chinois (CGNPC) qui pourrait entraîner un transfert de technologie et, selon elle, aboutir à des licenciements chez les 50 000 salariés dAreva, sans compter les sous‑traitants. Elle demande des éclaircissements au nouveau président dAreva, Luc Oursel. Elle interpelle les responsables politiques sur ce transfert de technologie qui met à mal notre souveraineté nucléaire. En vain. Lopacité règne sur la réalité de ces négociations, qui débouchent pourtant le 19 octobre 2012 à Avignon sur un accord signé en catimini entre la France et la Chine, prévoyant la mise en commun d’équipes en vue d’élaborer un nouveau réacteur de troisième génération.

Le 17 décembre 2012, Maureen Kearney est retrouvée chez elle ligotée sur une chaise et violée, avec le manche dun couteau de 8 centimètres dans son vagin. Sa femme de ménage la délivre 5 heures après les faits. La syndicaliste a sur le ventre un « A » inscrit au cutter ou au couteau. Une enquête en flagrance pour « viol et acte de barbarie » est ouverte par la gendarmerie. Au lieu dune prise en charge à la hauteur des faits quelle vient de subir, cest à un parcours traumatisant et empreint de fautes lourdes quelle doit faire face.

Progressivement, la victime devient laccusée. Alors que de nombreux témoignages font le lien entre le viol subi et son combat au sein dAreva, lenquête prend une autre tournure : et si Maureen Kearney avait elle‑même mis en scène son agression ? Aussi fou que cela puisse paraître, toute la procédure se tourne progressivement vers cette hypothèse. Cest elle qui serait folle. Quimporte les erreurs denquête. Par exemple, les scellés dempreintes dADN ne sont jamais revenus du laboratoire. Ou encore, la reconstitution de la scène où Maureen Kearney se serait elle‑même attachée et mutilée na jamais eu lieu. Or la syndicaliste ne pouvait avoir produit tous ces gestes en raison dune douleur aigue à l’épaule qui a nécessité ultérieurement une opération chirurgicale. Mais rien narrête la gendarmerie puis la juge au tribunal : Maureen Kearney est condamnée pour « dénonciation mensongère » à une peine de prison avec sursis et une amende.

Ce nest quen 2018, après un nouveau procès quaffronte Maureen Kearney avec un nouvel avocat, quelle est acquittée, la cour dappel de Versailles reconnaissant « les « carences » manifestes de lenquête ». Elle na cependant pas la force de relancer une procédure pour chercher la vérité sur son agresseur. À bout après toutes ces années de violences, dinjustice et dangoisse, elle retire sa plainte. Le parquet na pas fait le choix de se saisir des faits alors quil aurait pu, dû le faire.

Auparavant, en 2006, une plainte portant sur des faits comparables a été déposée par l’épouse dEmmanuel Petit pour un viol perpétré chez elle par deux hommes inconnus. Sur son ventre, une croix a été inscrite au couteau ou au cutter, et un cercueil sur la poitrine. Haut cadre chez Veolia, Emmanuel Petit a été licencié après s’être opposé à lintermédiaire Alexandre Djouhri, connu pour son implication dans laffaire libyenne. Dans une lettre au Procureur de la République, il a mis en cause Djouhri qui aurait réclamé une part dans un dossier de création dune filiale Veolia au Moyen‑Orient. À partir du moment où Emmanuel Petit a contesté ce quil considérait comme un « racket » et quil a dénoncé à la justice lexistence de pots de vin dans son entreprise, la vie de son couple est devenue un enfer. Des menaces par téléphone ou via des inscriptions ont touché y compris ses enfants. Et pourtant, le dossier concernant le viol de sa femme a depuis disparu. La similitude entre les deux affaires est évidemment troublante.

La responsabilité de l’État est engagée. Pourquoi la justice na‑t‑elle pas fait correctement son travail ? Y a‑t‑il eu des pressions sur les gendarmes et sur le procureur de Versailles ? Pourquoi le ministère public ne sauto‑saisit‑il pas ? Pour Madame Petit, quest devenue lenquête ? Quest‑ce que les services secrets savaient ? Le jour de lagression de Maureen Kearney, le préfet Michel Jau a saisi la direction territoriale de la sécurité intérieure. Y a‑t‑il eu une note de la DGSI sur ce sujet ? Cette dernière sest‑elle intéressée à ce dossier qui impliquait des intérêts étrangers ? Que savaient les ministres ? Ont‑ils posé des questions ? Si lon compare les deux affaires, Petit et Keernay – même contexte, même mode opératoire à six ans dintervalle – on peut se demander ce que Maureen Keernay empêchait en menant la bataille pour la transparence sur les contrats avec la Chine. Ces contrats supposaient‑ils aussi lintervention dintermédiaires et le versement de commissions ? La direction dEDF entretenait‑elle des liens avec Alexandre Djourhi ?

François Hollande a commandé un rapport à linspection générale des finances pour savoir si la direction dEDF avait bien été transparente avec lAgence des Participation de l’État sur les contrats avec des pays étrangers, dont la Chine. Que dit ce rapport ? Le président en avait également commandé un autre à la DGSE pour savoir sil ny avait pas eu des problèmes dingérences chinoises au sein de la direction dEDF. Quelles en sont les conclusions ? Donner des technologies de pointe française aux Chinois, cest briser le tabou de lindépendance française en matière de nucléaire. Nous sommes en droit de savoir ce quil en a été à ce sujet.

Alors quun film sort dans 400 salles, interpellant un public large sur un sujet éminemment sensible et révoltant, il nous semble essentiel que la représentation nationale sen saisisse pour contribuer à faire toute la lumière que laffaire Kearnay mérite.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de lAssemblée nationale, il est créé une commission denquête de trente membres chargée dexaminer :

1° Les différentes étapes de procédure de nos services de gendarmerie et de justice concernant « laffaire Maureen Kearney » et celle de l’épouse dEmmanuel Petit afin d’éclairer les raisons des différentes erreurs, lourdes de conséquences, dans la prise en charge de ces dossiers et du choix du parquet de ne pas poursuivre ;

2° Le rôle des services de renseignement, leur niveau dinformation et leurs éventuelles interventions dans ces dossiers judicaires et dans les éventuelles irrégularités, commissions et rétrocommissions, le manque de transparence, dans les procédures de passation de contrats de Véolia et EDF avec des pays étrangers, notamment mises en cause par Emmanuel Petit et Maureen Kearney ;

3° Le rôle des responsables politiques, leur niveau dinformation et leurs éventuelles interventions dans ces affaires de graves violences faites à deux femmes et de manquements démocratiques dans des procédures de contrats industriels avec des pays étrangers.