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N° 944

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à protéger notre parc hydraulique français de l’ouverture
à la concurrence européenne des concessions
de nos barrages hydroélectriques,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Raphaël SCHELLENBERGER, Thibault BAZIN, Valérie BAZIN‑MALGRAS, Émilie BONNIVARD, Jean‑Yves BONY, Ian BOUCARD, Jean‑Luc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Hubert BRIGAND, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Vincent DESCOEUR, Francis DUBOIS, Virginie DUBY‑MULLER, Pierre‑Henri DUMONT, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Justine GRUET, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Mansour KAMARDINE, Marc LE FUR, Véronique LOUWAGIE, Alexandra MARTIN, Yannick NEUDER, Éric PAUGET, Isabelle PÉRIGAULT, Christelle PETEX‑LEVET, Alexandre PORTIER, Nicolas RAY, Vincent ROLLAND, Nathalie SERRE, Jean‑Pierre TAITE, Jean‑Louis THIÉRIOT, Antoine VERMOREL‑MARQUES, Jean‑Pierre VIGIER, Alexandre VINCENDET, Stéphane VIRY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France dispose d’une énergie puissante, renouvelable, et souveraine : l’hydroélectricité. Totalement neutre en émission de gaz à effet de serre, stockable, pilotable, économe en matières rares, non délocalisable, gratuite, l’eau est de surcroît adaptée à notre réseau électrique existant et permet de grandes ambitions en optimisant les investissements. Le mix français « nucléaire et hydraulique », voulu dès la reconstruction gaulliste de l’après‑guerre a permis à la France d’être indépendante et souveraine sur le plan électrique jusqu’à peu. Au total, sont installés 25,7 GW en France, puissance qui représente environ 20 % de la puissance électrique totale installée. Il s’agit de la deuxième source de production électrique, derrière l’énergie nucléaire.

Le régime des concessions hydroélectriques est encadré par la loi. Il est défini par l’attribution de contrats de concession qui transfère la responsabilité des investissements, de la construction et de l’exploitation d’une installation hydroélectrique à un tiers qui se rémunère en tirant bénéfice de l’exploitation des installations pendant toute la durée de la concession. En contrepartie, le concessionnaire verse une redevance, accorde des réserves en eau et en énergie et doit à l’issue de la concession faire retour gratuit des biens nécessaires à l’exploitation de la concession à l’État qui peut alors décider de renouveler la concession. Ces différentes obligations apparaissent dans le cahier des charges de la concession, qui lie le concessionnaire à l’État ([1]).

La procédure d’octroi des concessions a été précisée dans le livre V du code de l’Énergie par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Ainsi, l’État choisit pour chaque concession la meilleure offre selon trois critères :

– l’optimisation énergétique de l’exploitation de la chute ;

– le critère environnemental par le respect d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau permettant la conciliation de ses différents usages ;

– le critère économique par la sélection des meilleures conditions économiques et financières pour l’État et les collectivités territoriales.

Dans les faits, en tant que propriétés de l’État, qui les a nationalisées après‑guerre, les grandes installations hydroélectriques sont concédées en très grande majorité à EDF (80 % de la puissance installée), loin devant Engie et ses filiales, la CNR1 (14 %) et la Shem2 (4 %).

Toutefois, la Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 établit les règles applicables aux procédures de passation de contrats de concession par des pouvoirs adjudicateurs et des entités adjudicatrices, lorsque leur valeur estimée est égale ou supérieure à 5 186 000 euros. En d’autres termes, cela signifie que les concessions doivent être soumises à une concurrence européenne et donc, extranationale.

Par ailleurs, cette même Commission européenne a adressé le 22 octobre 2015 une mise en demeure aux autorités françaises au sujet des concessions hydroélectriques. Cette dernière a considéré que les règles d’attribution des concessions attribuées au Groupe Électricité De France (EDF) sont incompatibles avec le Traité relatif au Fonctionnement de l’Union Européenne (notamment l’article 106, paragraphe 1er du Traité). La Commission européenne considère sur ce point que lesdites concessions permettraient à l’entreprise EDF de maintenir sa position dominante en France sur les marchés de fourniture d’électricité et qu’il faudrait par conséquent y remédier.

Nous nous y opposons. Catégoriquement, fermement et définitivement.

Nous nous y opposons d’autant plus que cet hiver nous avons été contraints d’acheter notamment à l’Allemagne de l’électricité carbonée produite par du charbon et du lignite ou encore du gaz à nos voisins européens pour répondre à nos besoins industriels et quotidiens. Nous aurions pu consommer et même exporter notre électricité issue de notre production nucléaire (comme nous le faisions jusqu’à peu) mais les Gouvernements successifs de la dernière décennie ont choisi d’affaiblir notre indépendance énergétique en fermant une partie de nos capacités de production issues de la filière nucléaire et thermique (nous songerons ici notamment à la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035 engendrée par la dernière loi de programmation pluriannuelle de l’énergie).

Il est donc urgent de protéger nos concessions hydrauliques qui nous ont largement permis d’assumer nos besoins énergétiques ces derniers mois.

En ce sens, il est plus que temps d’affirmer que l’eau est une ressource essentielle pour la Nation et qu’elle ne peut donc pas être dans le champ concurrentiel européen. Il n’y a en effet aucune raison pour que nous soyons le seul pays européen à confier nos barrages à des entreprises étrangères alors que cet hiver, nous avons été dépendants sur le plan énergétique d’autres pays et de nos dernières centrales à charbon. Les enjeux environnementaux, d’aménagement du territoire, de sécurité d’approvisionnement pour les usages domestiques, agricoles, industriels et de navigation, font de notre parc hydroélectrique un bien précieux. Nous avons besoin de reprendre la main sur cette ressource, conformément à notre histoire nationale, en faveur de notre indépendance et notre compétitivité.

La France doit ainsi refuser résolument et définitivement la moindre perspective de mise en concurrence de ses barrages hydroélectriques, comme les injonctions répétées de la Commission européenne voudraient l’imposer.

Tel est l’objet de cette présente Proposition de Résolution.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution ;

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu l’article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

Vu la directive 2006/11/CE du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ;

Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;

Vu la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession ;

Vu le code de l’énergie ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu la loi n° 2015‑992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ;

Vu la loi de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie du 21 avril 2020 ;

Vu la loi n° 2019‑1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat ;

Vu l’ordonnance n° 2016‑65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;

Vu le décret n° 2016‑86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession ;

Vu le décret n° 2016‑530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicable à ces concessions ;

Vu la mise en demeure de la Commission européenne du 22 octobre 2015 relative aux concessions hydroélectriques en France ;

Considérant que l’hydroélectricité participe de notre indépendance et de notre souveraineté énergétique nationale et de la gestion durable de nos ressources hydrauliques ;

Considérant que les installations hydrauliques appartiennent historiquement au domaine public français ;

Considérant que les exploitants historiques français garantissent la gestion des risques et la diversité des usages de l’eau ;

Considérant que l’ouverture à la concurrence désorganiserait le système hydroélectrique, de préservation de l’emploi et des atouts du système hydroélectrique français, y compris tarifaires ;

Considérant que les procédures de mise en demeure engagées par la Commission européenne sur les législations en matière d’énergie hydroélectrique intéressent d’autres États membres ayant pris des mesures pour protéger leurs installations hydrauliques ;

Invite le Gouvernement à s’opposer à la mise en concurrence de l’ensemble des concessions hydroélectriques présentes sur le territoire français ;

Invite le Gouvernement à s’opposer à toute nouvelle mise en demeure de la Commission européenne afférente aux concessions hydroélectriques présentes sur l’intégralité du territoire français ;

Invite le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens afin d’exclure le secteur de l’hydraulique de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.


([1]) https://www.ecologie.gouv.fr/hydroelectricite