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N° 1016

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative à l’énergie nucléaire comme enjeu
pour la décarbonation du mix énergétique européen,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Henri ALFANDARI,

député.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le développement de la filière nucléaire est au cœur de la construction européenne, avec la signature dès 1957 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, Euratom. Pourtant, à la suite des évènements de Tchernobyl puis de Fukushima, l’énergie nucléaire a progressivement disparu de la stratégie énergétique de la Commission européenne.

En 2023, dans le contexte de guerre en Ukraine et d’accélération du réchauffement climatique, la technologie nucléaire présente toutefois des atouts considérables en permettant de produire une énergie décarbonée, à faible coût. Le développement de l’énergie atomique est ainsi un levier puissant pour atteindre les objectifs d’indépendance énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de soutien à la compétitivité des entreprises européennes. L’apparition des réacteurs de Génération IV permet en outre de recycler une part importante des déchets, limitant fortement l’impact environnemental des installations nucléaires. Cependant, lors de la présentation du Pacte Vert pour l’Europe, la présidente de la Commission ne mentionne pas une fois l’énergie atomique.

Les années 2022 et 2023 marquent dès lors un tournant dans la politique énergétique du continent, initié avec l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte et, en février 2023, la reconnaissance de l’hydrogène bas carbone. Plusieurs États membres, comme la France, les Pays‑Bas, la Suède ou la Pologne, ont par ailleurs relancé depuis 2020 des programmes ambitieux de constructions d’installations nucléaires. Malgré ces avancées essentielles, des obstacles techniques et politiques demeurent, empêchant la constitution d’une véritable filière européenne.

Les propositions législatives de la Commission européenne en matière énergétique foisonnent, mais prévoient un traitement très hétéroclite pour l’énergie nucléaire, faisant craindre un manque de cohérence dans la politique énergétique de l’Union.

La proposition de réforme européenne du marché de l’électricité présentée par la Commission le 16 mars 2023 ne discrimine ainsi pas entre les différentes technologies bas‑carbone, tandis que la proposition de règlement « industrie à zéro émission nette » présentée le même jour n’inclut que très partiellement l’énergie atomique dans son dispositif. De même, l’acte délégué de la Commission européenne du 10 février 2023 prévoit un traitement favorable pour les États ayant un mix énergétique axé sur le nucléaire dans le cadre de sa politique relative à l’hydrogène, mais plusieurs autres textes européens en cours de négociations comme le paquet gazier ou la directive RED III sur les énergies renouvelables ne prévoient à ce stade aucun débouché pour l’hydrogène bas‑carbone, produit à partir du nucléaire.

La présente proposition de résolution porte ainsi quatre messages pour les institutions européennes.

Premièrement, le traité Euratom prévoit qu’ » afin de susciter l’initiative des personnes et entreprises et de faciliter un développement coordonné de leurs investissements dans le domaine nucléaire, la Commission publie périodiquement des programmes de caractère indicatif portant notamment sur des objectifs de production d’énergie nucléaire et sur les investissements de toute nature qu’implique leur réalisation ». La dernière version de ce rapport date toutefois de 2017 et pose des réserves importantes au recours à la technologie nucléaire. Ce rapport doit être actualisé, à la faveur du changement actuel de paradigme autour de la technologie nucléaire, afin de refléter les équilibres les plus récents de la politique énergétique européenne.

Deuxièmement, la proposition de résolution européenne propose de redonner de la cohérence au droit européen en reconnaissant sans réserves la nécessité de s’appuyer sur le développement de l’énergie nucléaire pour atteindre les objectifs d’indépendance énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique. Les propositions législatives de la Commission européenne ne doivent ainsi pas discriminer entre les différentes énergies bas‑carbone : le déploiement des énergies renouvelables ne doit pas freiner le développement des installations nucléaires. Pour pleinement respecter le principe de neutralité des institutions européennes vis‑à‑vis de la composition du mix énergétique des États membres, la Commission européenne doit ainsi donner des perspectives de long terme pour l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que des débouchés à l’hydrogène bas‑carbone.

Troisièmement, l’Union européenne doit soutenir la constitution d’une véritable industrie nucléaire à l’échelle du continent. Il convient à court terme de faire la démonstration à l’échelle européenne de l’utilité d’une filière nucléaire commune, par la constitution d’une chaîne de production européenne pour la production de combustibles permettant de faire fonctionner l’ensemble des réacteurs en Europe ou par la création d’une filière européenne de traitement des déchets. L’Union européenne doit également envisager de soutenir la création d’une ligne de production pour la construction de petits réacteurs modulaires (SMR) de réacteurs modulaires avancés (AMR) commune à plusieurs États membres : le recours à un projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) pour la construction de ces réacteurs présenterait un fort intérêt politique et permettrait de déroger partiellement aux règles des aides d’État. La constitution d’une industrie nucléaire européenne suppose également de renforcer les moyens du Centre commun de recherche d’Euratom, pour favoriser la recherche et l’innovation.

Quatrièmement, la stratégie de l’Union doit également comporter un volet commercial, avec la promotion des entreprises et technologies européennes dans les pays tiers. La présente proposition de résolution européenne plaide ainsi pour une action européenne plus affirmée en matière d’ouverture du marché des installations nucléaires dans les pays tiers. L’Union doit également développer une stratégie commerciale permettant de soutenir les exportations et les investissements directs à l’étranger dans le domaine du nucléaire, notamment dans le cadre du Global Gateway.

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑4 du règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique du 25 mars 1957,

Vu les articles 107 et 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (Euratom) 2021/765 du 10 mai 2021 établissant le programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l’énergie atomique pour la période 2021‑2025 complétant le programme‑cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon Europe » et abrogeant le règlement (Euratom) 2018/1563,

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »),

Vu le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 mars 2023 concernant l’amélioration de la conception du marché de l’électricité de l’Union et modifiant le règlement (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 (COM(2023) 148 final),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil (COM(2021) 557 final),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes pour les marchés intérieurs des gaz naturel et renouvelable et de l’hydrogène (COM(2021) 803 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés intérieurs des gaz naturel et renouvelable et de l’hydrogène (COM(2021) 804 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’instauration d’une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (COM(2021) 561 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime et modifiant la directive 2009/16/CE (COM(2021) 562 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre pour garantir l’approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques et modifiant les règlements (UE) 168/2013, (UE) 2018/858, 2018/1724 et (UE) 2019/1020 (COM(2023) 160 final),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre de mesures pour renforcer l’écosystème européen de production de technologies à zéro émissions nettes (« industrie à zéro émission nette ») (COM(2023) 161 final),

Vu le règlement délégué 2022/1214 de la Commission du 9 mars 2022 modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l’énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques,

Vu le règlement délégué de la Commission du 10 février 2023 complétant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil par l’établissement d’une méthodologie de l’Union établissant des règles détaillées pour la production de carburants renouvelables liquides et gazeux pour les transports d’origine non biologique (COM(2023) 1087 final),

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur le plan REPowerEU du 18 mai 2022 (COM(2022) 230 final),

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Conseil économique et social et au Comité des régions sur la banque européenne de l’hydrogène (COM(2023) 156 final),

Considérant que la loi européenne sur le climat fixe pour objectif l’atteinte la neutralité climatique à l’échelle du continent à l’horizon 2050 ;

Considérant que le nucléaire est une énergie nécessaire pour atteindre les objectifs européens de sécurité énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de soutien à la compétitivité des entreprises ;

Considérant que le développement de l’énergie nucléaire ne porte pas atteinte aux objectifs européens de déploiement des énergies renouvelables ;

Considérant que plusieurs États membres de l’Union européenne ont récemment décidé de relancer un programme nucléaire ambitieux ;

Considérant que l’apparition des réacteurs de génération IV permettra de recycler une partie importante du volume des déchets nucléaires ;

Considérant que la taxonomie verte européenne inclut la production d’énergie nucléaire comme énergie de transition susceptible de contribuer de manière substantielle à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à ce changement ;

Considérant que onze États membres de l’Union ont signé la déclaration du 28 février 2023 pour un renforcement de la coopération européenne en matière d’énergie nucléaire ;

Considérant que le taux d’ouverture des marchés publics dans le domaine de l’énergie nucléaire reste particulièrement faible avant l’application de l’instrument européen relatif aux marchés publics internationaux adopté le 23 juin 2022 ;

1. Incite à l’actualisation par la Commission européenne du programme prévu à l’article 40 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique qui indique les programmes portant sur les objectifs de production nucléaire ainsi que les investissements pour y parvenir ;

2. Salue le choix de la Commission européenne de ne pas procéder à une discrimination entre les différentes sources d’énergie bas carbone dans sa proposition de réforme du marché européen de l’électricité ;

3. Se félicite de la définition de l’hydrogène bas‑carbone figurant dans l’acte délégué de la Commission européenne en date du 10 février 2023 ;

4. Appelle à l’inclusion de débouchés pour l’utilisation de l’hydrogène bas‑carbone dans le cadre des négociations sur la directive RED III, le paquet gazier et les règlements ReFuelEU Aviation et ReFuel EU Maritime ;

5. Déplore que la communication de la Commission du 16 mars 2023 relative à la banque européenne de l’hydrogène exclue l’hydrogène bas carbone du système proposé d’enchères ;

6. Regrette que la proposition de règlement de la Commission du 16 mars 2023 « industrie à zéro émission nette » n’inclue que de manière partielle le nucléaire dans sa stratégie de développement des technologies propres ;

7. Demande l’inclusion d’une stratégie relative à l’uranium dans la proposition de règlement de la Commission du 16 mars 2023 relative à l’approvisionnement en matières premières critiques ;

8. Relève l’importance de constituer au sein de l’Union européenne une chaîne industrielle en matière de nucléaire civil impliquant plusieurs entreprises de différents États membres ;

9. Invite à la constitution d’une chaîne de production européenne de combustibles permettant de faire fonctionner l’ensemble des réacteurs dans tous les États membres, afin de limiter la dépendance des centrales nucléaires d’Europe centrale aux combustibles russes de l’entreprise Rosatom ;

10. Demande la constitution d’une filière européenne de traitement des déchets issus de l’exploitation de centrales nucléaires ;

11. Suggère la création d’un projet important d’intérêt commun (PIIEC) pour la construction de petits réacteurs modulaires (SMR) de réacteurs modulaires avancés (AMR) afin de constituer les fondements d’une véritable filière nucléaire européenne ;

12. Insiste sur la nécessité de prévoir des aménagements à l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour permettre aux États membres de participer au financement de nouveaux réacteurs ;

13. Demande le renforcement des moyens du Centre commun de recherche d’Euratom pour la recherche, le développement et l’innovation pour la formation du capital humain nécessaire à la création d’une filière nucléaire européenne ;

14. Estime que l’export de matériel nucléaire civil à l’étranger et le gain de parts de marché par les entreprises européennes dans les pays tiers sont un levier important de financement de la filière nucléaire européenne ;

15. Plaide en faveur de l’inclusion d’un volet commercial dans la stratégie nucléaire européenne, pour la promotion des entreprises et technologies européennes permettant notamment d’améliorer le taux d’ouverture des marchés des pays tiers,

16. Souhaite que la stratégie Global Gateway de la Commission européenne, qui doit permettre de développer les liens dans les pays tiers, notamment dans le domaine de l’énergie, prévoie un financement spécifique pour le développement à l’international de la filière nucléaire européenne.