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N° 1245

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mai 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative au dérapage du coût pour l’État de la couverture santé
des étrangers en situation irrégulière et des demandeurs d’asile provenant de pays d’origine sûrs et au nombre d’étrangers
en situation irrégulière,

présentée par Mesdames et Messieurs

Véronique LOUWAGIE, Olivier MARLEIX, Éric CIOTTI, Emmanuelle ANTHOINE, Thibault BAZIN, Valérie BAZINMALGRAS, AnneLaure BLIN, Émilie BONNIVARD, JeanYves BONY, Ian BOUCARD, JeanLuc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Hubert BRIGAND, Fabrice BRUN, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, Christelle D’INTORNI, MarieChristine DALLOZ, Vincent DESCOEUR, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, Francis DUBOIS, Virginie DUBYMULLER, PierreHenri DUMONT, Nicolas FORISSIER, JeanJacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Justine GRUET, Victor HABERTDASSAULT, Meyer HABIB, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe JUVIN, Mansour KAMARDINE, Marc LE FUR, Emmanuel MAQUET, Alexandra MARTIN, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Yannick NEUDER, Jérôme NURY, Éric PAUGET, Christelle PETEXLEVET, Alexandre PORTIER, Aurélien PRADIÉ, Isabelle PÉRIGAULT, Nicolas RAY, Vincent ROLLAND, Raphaël SCHELLENBERGER, Vincent SEITLINGER, Nathalie SERRE, Michèle TABAROT, JeanPierre TAITE, JeanLouis THIÉRIOT, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, Antoine VERMORELMARQUES, JeanPierre VIGIER, Alexandre VINCENDET, Stéphane VIRY,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 mai 2023, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a examiné les conclusions d’un rapport présenté par Mme Véronique Louwagie portant sur le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière. Ce travail vise à actualiser les conclusions rendues dans un précédent rapport remis le 26 mai 2021 sur le même sujet.

Si l’aide médicale de l’État (AME) constitue la clé de voûte de ces soins, dix autres dispositifs ([1]) y concourent également pour un coût total estimé, au minimum, à 1,7 milliard d’euros en 2022. Les travaux menés cette année par Mme Véronique Louwagie devraient conduire à revaloriser significativement cette estimation compte tenu, notamment, de l’explosion du nombre de bénéficiaires de l’AME de droit commun. Le nombre de bénéficiaires s’élevait, en septembre 2022, à 403 144 ce qui représente une augmentation notable de 20,5 % par rapport au chiffrage pour l’année 2019.

L’AME relève de l’article L. 251‑1 du code de l’action sociale et des familles et s’adresse aux étrangers en situation irrégulière résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois et dont les ressources ne dépassent pas le plafond mentionné au 1° de l’article L. 861‑1 du code de la sécurité sociale (soit 9 041 euros par an pour une personne seule). Ce dispositif permet à ses bénéficiaires de disposer, sans avance de frais, d’une prise en charge à 100 % des soins médicaux et hospitaliers remboursables par l’assurance maladie dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Or, en France, et à l’inverse des autres pays européens, le panier de soins pris en charge ne se limite pas aux soins urgents et permet d’accéder à des soins non essentiels comme le recollement des oreilles ou la pose d’un anneau gastrique. L’AME a fait l’objet d’une réforme limitée en 2019, dont la mise en œuvre a été affectée par la crise sanitaire. Le coût du seul dispositif de l’AME représenterait 1,14 milliard d’euros en 2023 selon les estimations retenues dans le dernier projet de loi de finances.

Pris sur le fondement de l’article L. 160‑1 du code de la sécurité sociale et prévu à l’article R. 111‑4 de ce même code, le dispositif du « maintien des droits expirés » à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire permet à des étrangers ayant précédemment bénéficié d’une affiliation régulière à la protection universelle maladie (PUMA) et, le cas échéant, à la complémentaire santé solidaire (C2S, exCMUC) de continuer à bénéficier de ces droits pendant une durée (en principe) de 6 mois suivant l’expiration du document autorisant leur séjour sur le territoire français. Cette durée de maintien des droits était de 12 mois jusqu’au 1er janvier 2020. Sans équivalent en Europe, ce dispositif était initialement conçu pour éviter des ruptures temporaires de droit à des étrangers en instance de renouvellement de leur titre de séjour. Si ce dispositif répond à cet objectif, des contrôles engagés en 2020 ont cependant montré qu’il a également bénéficié à, au moins, 25 000 étrangers en situation irrégulière qui auraient dû relever de l’AME. La mise en œuvre de ce dispositif est affectée par des conditions d’accès trop souples puisque le bénéfice de ce maintien de droit n’est pas subordonné à une durée d’ancienneté de résidence supérieure à celle nécessaire à l’ouverture des droits à la PUMA (c’est‑à‑dire « plus de trois mois ») ou à l’engagement d’une démarche effective de renouvellement d’un titre de séjour. Par ailleurs, la présence de plusieurs dizaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière dans ce dispositif représente une charge financière indue pour l’assurance maladie dans la mesure où cette population devrait être prise en charge dans le cadre de l’AME qui est financée par le budget de l’État. Un décret du 25 avril 2023 ([2]) est venu préciser les modalités de fermeture des droits à la protection universelle maladie pour les personnes ne remplissant plus la condition de régularité du séjour et qui ne disposent pas de la protection complémentaire en matière de santé. Désormais, lorsqu’une personne est admise au bénéfice de l’AME avant la fermeture de ses droits, cette dernière est alors prononcée par anticipation mais uniquement sur demande de la personne concernée. Cette évolution va dans le bon sens, mais demeure insuffisante pour mieux encadrer le dispositif.

Parmi les neuf autres dispositifs dispensant des soins aux étrangers en situation irrégulière, la procédure d’admission au séjour pour soins appelle des observations particulières. Prévue à l’article L. 425‑9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, cette procédure permet à « l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, [de se voir] délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée d’un an ». Le titre de séjour ainsi délivré peut‑être renouvelé et faire l’objet d’une carte de séjour pluriannuelle dont la durée est égale à celle des soins. Ce dispositif est ouvert à l’ensemble des étrangers en situation irrégulière, notamment les demandeurs d’asile déboutés de leur demande d’asile provenant de pays d’origine sûrs.

Selon les données transmises par le ministère de l’intérieur, 29 708 titres et documents provisoires de séjour « étranger malade » étaient en cours de validité au 31 décembre 2019 en France et 14 611 titres de séjour de ce type ont été délivrés en 2019. Parmi les autres États de l’Union européenne, seule la Belgique propose un dispositif proche. Mme Louwagie a relevé, dans le cadre des travaux qu’elle conduit actuellement, la difficulté voire l’impossibilité d’évaluer le coût que représente ce dispositif. Il s’agit d’un véritable angle mort de l’offre de soins proposée aux étrangers qui induit une sous‑évaluation probablement importante du coût total des soins qui sont dispensés à cette population.

La protection santé des demandeurs d’asile provenant de pays d’origine sûrs ([3]) soulève également certaines questions. Plus de 30 000 demandes d’asile sont déposées chaque auprès de l’OFPRA par des ressortissants de pays d’origine sûrs. Ces demandes d’asile se distinguent par un taux d’acceptation très faible, trois fois inférieur au taux moyen de protection accordé par l’OFPRA. Le dévoiement de la procédure de demande d’asile est patent et les réelles motivations de ces personnes sont économiques ou sanitaires. À titre d’exemple, 5 598 ressortissants des pays du G20 ont déposé une demande de titre de séjour pour soins entre 2017 et 2022. Une partie de cette population fait peser des tensions sur le système de soins.

La variété et l’étendue de ces différents dispositifs sont peu compris socialement et favorisent une immigration irrégulière pour soins qui pèse sur le système de soins français.

L’étude réalisée en 2021 par Mme Louwagie avait permis de réévaluer le nombre d’étrangers en situation irrégulière en métropole aux environs de 400 à 450 000 pour tenir compte des 50 000 étrangers en situation irrégulière relevant indûment du dispositif de maintien de droit alors qu’ils auraient dû relever du dispositif de l’AME. En novembre 2021, le ministre de l’Intérieur a indiqué que la France comptait entre 600 et 700 000 étrangers en situation irrégulière. Compte tenu des 403 144 bénéficiaires de l’AME et du taux de nonrecours très élevé à cette aide le chiffrage pourrait être encore sousévalué. En se fondant sur un taux de non‑recours à l’AME de 50 % - qui est aujourd’hui la seule estimation disponible ([4]) –, le nombre d’étrangers en situation irrégulière s’élèverait à 800 000 environ en 2022. Il s’agit toutefois d’une simple estimation, le taux de non‑recours à l’AME n’ayant jamais fait l’objet d’une évaluation suffisamment précise et à grande échelle.

Cette estimation précautionneuse devrait être complétée et affinée par un travail interministériel de dénombrement des étrangers en situation irrégulière ou par une étude d’un corps d’inspection.

Sur ces différents points, l’Assemblée nationale mériterait de disposer d’éléments complémentaires, ce qui justifie la présentation de la présente proposition de résolution.

Cette proposition de résolution invite donc le Gouvernement à mieux chiffrer le coût réel pour les finances publiques de la couverture médicale des étrangers en situation irrégulière, et à mettre fin au dérapage totalement incontrôlé de ces dépenses en limitant ce panier de soins aux seuls soins urgents.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 46, 54 et 57 de la loi organique modifiée n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances,

Vu les articles L. 251-1 et L. 254‑1 du code de l’action sociale et des familles,

Vu les articles L. 425‑9 et L. 433‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,

Vu l’article L. 160‑1 du code de la sécurité sociale,

Vu les travaux de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques le 26 mai 2021,

Vu les travaux de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques le 17 mai 2023,

Considérant les incertitudes pesant sur le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français en métropole et outre‑mer ;

Considérant que le panier de soins de l’offre médicale de l’État proposé en France aux étrangers en situation irrégulière ne se limite pas aux soins urgents, comme cela est le cas dans les autres pays de l’Union européenne ;

Considérant que l’assurance maladie n’est actuellement pas autorisée à recueillir des données sur la nationalité des demandeurs et des bénéficiaires de l’aide médicale de l’État ainsi que sur les pathologies soignées ;

Considérant que les conditions d’accès au dispositif de maintien des droits expirés à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire favorisent l’accès à ces dispositifs d’étrangers en situation irrégulière qui devraient normalement relever de l’aide médicale de l’État ;

Considérant que le dispositif de maintien des droits sociaux figurant à l’article L. 433‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est partiellement redondant avec celui du maintien des droits expirés à la protection universelle maladie et la complémentaire santé solidaire ;

Considérant que les critères d’accès à la procédure d’admission au séjour pour soins sont insuffisamment restrictifs et que les compétences de l’Office français de l’immigration et de l’intégration sont restreintes ;

Considérant l’état de la couverture maladie accordée aux demandeurs d’asile provenant de pays d’origine sûrs ;

Considérant l’envolée du coût de ces différents dispositifs, leur évolution récente et leurs perspectives d’évolution ;

1. Invite le Gouvernement à envisager un travail interministériel ou à solliciter des corps d’inspection pour évaluer le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français en métropole et outre‑mer ;

2. Souhaite que l’État engage une réforme de l’aide médicale de l’État et qu’elle soit recentrée sur les seuls soins urgents pour se rapprocher des dispositifs en vigueur dans les autres États de l’Union européenne ;

3. Suggère que l’assurance maladie soit autorisée à recueillir des données sur la nationalité des demandeurs et des bénéficiaires de l’aide médicale de l’État ainsi que sur les pathologies soignées ;

4. Estime nécessaire que l’agence de la biomédecine soit autorisée à connaître et enregistrer le statut administratif des étrangers sollicitant ou bénéficiant d’une greffe ;

5. Invite le Gouvernement à envisager le resserrement des conditions d’accès au dispositif de maintien des droits expirés à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire ;

6. Souhaite que le Gouvernement engage une réflexion sur la conservation, l’adaptation ou la suppression du dispositif de maintien des droits sociaux figurant à l’article L. 433‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

7. Suggère au Gouvernement de restreindre les conditions d’accès à la procédure d’admission au séjour pour soins et de renforcer les compétences de l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans la gestion de ce dispositif ;

8. Invite le Gouvernement à envisager de modifier la protection santé des demandeurs d’asile provenant de pays d’origine sûrs.


([1])  Ces dix autres dispositifs sont le dispositif du « maintien des droits expirés » à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire ; les soins dispensés à Mayotte ; les soins prodigués dans les centres de rétention administrative ; la mission d’intérêt général « précarité » ; les permanences d’accès aux soins de santé ; l’admission au séjour pour soins ; les soins en détention ; les équipes mobiles « psychiatrie précarité » ; les Samu sociaux et des dépenses fiscales.

([2])  Décret n° 2023‑311 du 25 avril 2023 relatif à la fermeture des droits à la protection universelle maladie et aux conséquences sur le service des prestations.

([3])  L’article L. 531‑25 du Ceseda dispose qu’un « pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, il n’y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne ». La liste actuelle des pays d’origine sûrs comprend les 13 pays suivants : Albanie, Arménie, Bosnie‑Herzégovine, Cap‑Vert, Géorgie, Inde, Macédoine du Nord, Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Serbie et Kosovo.

([4])  Enquête menée par l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED) de l’université de Bordeaux, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) et l’université de Paris Dauphine.