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N° 1310

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur
les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Dominique POTIER, Mélanie THOMIN, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Cécile UNTERMAIER, Roger VICOT,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la publication il y a dix ans du rapport collectif de l’INSERM, les alertes scientifiques se multiplient quant aux effets des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale. Grâce aux nouveaux éclairages sur les effets « cocktail » et la notion d’ « exposome », les produits phytosanitaires sont notamment identifiés comme une des causes possibles des maladies dégénératives et du phénomène alarmant de la puberté précoce.

Le collectif de l’INSERM le souligne à nouveau dans son rapport actualisé de 2021.

« La confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations. Ces questions relatives aux liens entre une exposition aux pesticides et la survenue de certaines pathologies s’inscrivent dans une complexité́ croissante, la littérature faisant apparaître une préoccupation concernant les effets indirects de certains pesticides sur la santé humaine par le biais des effets sur les écosystèmes. L’interdépendance en jeu mériterait d’être davantage étudiée et intégrée, au même titre que les aspects sociaux et économiques afin d’éclairer les prises de décisions lors de l’élaboration des politiques publiques. »

« En considérant les études sur des populations qui manipulent ou sont en contact avec des pesticides régulièrement, et qui sont a priori les plus exposées, l’expertise confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies : lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. »

Alors même que face aux effets du dérèglement climatique, la gestion quantitative de la ressource en eau est devenue une priorité de l’action publique, diverses publications et rapports – notamment de l’IGEDD – ont récemment alerté sur la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques. En conséquence, la mise en œuvre des méthodes d’épuration fondées sur la dilution sera complexe à mettre en œuvre en cas de stress hydrique.

Si cette dégradation est aussi le fait des composés per- et polyfluoroalkylées (PFAS) ou “polluants éternels”, dont la prévalence est encore mal évaluée mais dont l’impact est particulièrement néfaste du fait de leur nature et de leur pérennité, elle est surtout, bien entendu, le fait de la pollution d’origine agricole par les pesticides et biocides. Ainsi, à titre d’exemple, l’observatoire de l’environnement en Bretagne, dans son rapport du 3 février dernier, nous indique que 99 % des eaux de la région sont contaminées par les pesticides.

Enfin, une étude du Proceedings of the National Academy of Sciences a été publiée ce 15 mai. Elle révèle la disparition de 60 % des oiseaux depuis quarante ans. L’un des auteurs de l’étude, Richard Gregory, alerte dans Le Monde : « Jusqu’à présent, beaucoup de personnes minimisaient l’impact des pesticides sur la perte de biodiversité. Ces travaux disent de manière claire et catégorique que nous devons transformer profondément la façon dont nous produisons notre alimentation et gérons la Terre. Nous ne pouvons pas continuer comme ça ». En décembre 2022, lors de la COP15 sur la biodiversité au Canada, l’Union européenne s’est engagée à réduire de moitié les risques liés aux produits phytosanitaires d’ici à 2030, conformément à la stratégie « De la ferme à la fourchette ».

Dans le même temps, les molécules chimiques montrent une perte moyenne d’efficacité du fait de l’apparition de populations résistantes aux herbicides, fongicides et insecticides utilisés.

Pour faire face aux risques chimiques d’origine agricole, la France, dans la dynamique des règlements européens, a mis en œuvre un plan Ecophyto dès 2009, visant à assurer la protection des cultures, en réduisant l’usage des produits phytosanitaires.

Le rapport d’évaluation “Pesticides et agroécologie : les champs du possible” remis au Premier ministre en 2014, tirant les conclusions de l’échec de la trajectoire réduction attendue, proposait soixante‑huit recommandations portant pour l’essentiel sur la gouvernance, une nouvelle philosophie de l’action publique et entrepreneuriale et quelques propositions novatrices comme les Certificats d’Economie de Produits Phytopharmaceutiques (CEPP). Ces orientations ont été traduites en 2015 dans un plan Ecophyto 2 avec des objectifs réévalués à l’échéance 2025. Cette nouvelle orientation a été politiquement confirmée par la société civile en 2017, lors des États Généraux de l’Alimentation notamment à travers les conclusions de l’atelier onze :

« Les pouvoirs publics, les entreprises et les filières, les territoires constituent les trois piliers de l’action à conduire, qui impose un dialogue permanent entre eux. Il faut un contrat de long terme, c’estàdire des objectifs partagés et vérifiables. Il faudra s’y tenir, ce qui signifie de la stabilité dans le temps et la cohérence des politiques publiques, et leur mise en synergie avec les dynamiques privées et les actions territoriales. Pour réussir, l’action doit être systémique : il faut agir à tous les niveaux, de façon coordonnée, cohérente, en complémentarité. Le verrouillage étant systémique, le déverrouillage doit l’être aussi. »

Pourtant, nous observons depuis bientôt une décennie, une incapacité de la France à incarner une ligne claire et un programme efficient comme en témoigne l’absence d’anticipation et d’accompagnement de la filière betterave sucrière, à la suite de l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes.

Certains résultats importants ont néanmoins été obtenus :

● Retrait de la grande majorité des molécules les plus toxiques (CMR 1 et 2) grâce à la mission dévolue à l’ANSES par une décision politique majeure portée dans la loi d’avenir agricole de 2014. À noter qu’une part de ces retraits ont été permis grâce au dispositif de Phytopharmacovigilance post Autorisation de Mise en Marché, adoptée en mars 2017 ;

● Déploiement des solutions dites de bio contrôle et de programmes de recherche inédits. L’enjeu ici est de produire des alternatives à l’impasse des stratégies de substitution et plus largement de l’illusion des seules solutions technologiques faisant l’impasse sur l’agronomie. On notera en particulier au niveau national le Programme Prioritaire de Recherche “Cultiver et Protéger Autrement”, le Grand Défi “Biocontrôle et Biostimulants pour l’Agroécologie”. Au niveau européen, différents projets majeurs sont aujourd’hui en cours, comme par exemple une Alliance Européenne de Recherche “Towards a chemical pesticide‑free agriculture” s’est mise en place et rassemble aujourd’hui 37 organismes de 20 pays européens ;

● Réussite du réseau des 3 000 fermes DEPHY, un laboratoire vivant qui a démontré la capacité à diminuer la pression pesticide de 26 %. Le bilan sur dix ans suggère que les baisses observées d’IFT sont sans incidences sur le rendement et pour les autres performances environnementales (fertilisation, émissions de gaz à effet de serre…) ;

● Mise en œuvre, à travers le programme Certiphyto, d’un effort de formation et de prévention massif pour protéger les utilisateurs et création du fonds PhytoVictimes en 2019 avec 136 personnes prises en charge en 2021 et 650 dossiers déposés en 2022. Son bilan a été salué unanimement par la Commission des Affaires sociales, le mardi 16 mai 2023, lors de sa présentation par la MSA.

Ces résultats sont cependant très insuffisants et éloignés des objectifs fixés en volume et en impact. En outre, plusieurs dynamiques à l’œuvre constituent une forme de revirement :

● Faute d’instruments de mesure partagés scientifiquement et démocratiquement, notre société est régulièrement minée par des controverses récurrentes comme celles sur le glyphosate ou les zones de traitement ;

● La révolution culturelle qui semblait acquise quant à la nécessité de s’affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et des concurrences déloyales sur le marché mondial ;

● L’expérimentation de Certificats d’économie des produits phytosanitaires a été profondément modifiée à travers un décret de la loi Egalim au bénéfice d’une séparation de la vente et du conseil dont l’efficacité est mise en doute par la majorité des parties prenantes ;

● Le choix politique majeur du système d’autorisation de mise sur le marché est aujourd’hui publiquement remis en cause. Ainsi, le 11 mai 2023, l’Assemblée nationale a adopté, avec les voix de la majorité, des Républicains et du Rassemblement National, une résolution relative aux “surtranspositions” de directives européennes en matière agricole fragilisant de fait le règlement (CE) n° 1107/2009.

Dans le même temps, la proposition de loi “Ferme France” portée par le Sénateur Laurent Duplomb remet en cause les missions de l’ANSES prévues à l’article L. 1313‑1 du code de la santé publique. Adoptée le 16 mai au Sénat, elle autorise le ministre de l’Agriculture à passer outre les décisions de l’ANSES. Il s’agirait d’un recul sans précédent pour notre sécurité sanitaire et l’indépendance de l’expertise scientifique.

Outre l’évaluation depuis 2014 des plans et programmes précités et des difficultés rencontrées et qui doivent être levées, les motivations et les dynamiques sousjacentes de la mise en cause coordonnée de certains acteurs privés et responsables publics contre l’ANSES et ainsi l’intérêt général interrogent profondément, d’une part sur la vision de la science dans notre démocratie et d’autre part, sur le respect des règlements européens. La tonalité “illibérale” de cette offensive justifie le recours aux pouvoirs spécifiques des Commissions d’enquête.

La Commission d’enquête proposée par le groupe Socialistes et apparentés est un exercice de vérité sur le passé et une contribution utile au moment où le Gouvernement entend renouer avec un plan ambitieux “Ecophyto 2030”, convergent avec l’ambition de l’Europe, annoncé par la Première ministre à l’occasion du Salon de l’agriculture le 27 février 2023 et ce, au moment même où la gestion de l’interdiction du S‑métolachlore a laissé s’installer le doute sur les intentions réelles du Gouvernement.

Cette Commission d’enquête visera à identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l’incapacité à atteindre les objectifs du plan de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, en particulier depuis une décennie et le rapport de l’INSERM. Elle s’attachera notamment à mesurer la pertinence du pilotage interministériel des priorités d’actions dans les filières et les territoires. Elle visera à rendre visible le jeu des acteurs incarnant la puissance publique et des représentants des intérêts privés dans la définition des objectifs opérationnels et la mise en œuvre des moyens afférents. Elle portera un regard singulier sur les enjeux propres au statut et à la mission des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire et de la recherche. Elle évaluera la performance de l’allocation des crédits publics affectés et la cohérence budgétaire et réglementaire avec l’ensemble des politiques publiques incidentes (PAC et PSN, alimentation, santé, commerce extérieur, droit du sol foncier, eau, industrie…). Elle dressera un tableau des coopérations opérationnelles qui sont engagées à l’échelle européenne. Elle observera comment est pratiquement intégrée l’approche One Health afin de permettre un déverrouillage systémique de ce qui fait encore aujourd’hui obstacle à la réussite du plan Ecophyto.

Enfin, la Commission d’enquête sera attentive à la capacité de la France à être à la hauteur du triple défi de la garantie de la souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs, de l’impact du dérèglement climatique sur le plan phytosanitaire et de l’adéquation à l’ambition du Règlement européen dit "SUR".

Cette commission d’enquête visera à identifier le plus clairement possible les facteurs qui conduisent à la persistance d’une forme d’incurie déjà identifiée dans le diagnostic posé en 2014. Face au risque propre aux seules dynamiques de l’opinion et du marché, elle esquissera une politique publique renouvelée capable de réconcilier science et démocratie, souveraineté alimentaire, santé des sols et santé des hommes.

Afin de mener à bien l’ensemble de ces évaluations et analyses, il est nécessaire de pouvoir bénéficier des moyens et pouvoirs d’enquête propres aux Commissions d’enquête parlementaires prévues par les articles 137 et suivants de notre règlement.

Tel est l’objet de la présente résolution.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs du plan de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, sur l’air, les sols, la ressource en eau et la biodiversité, notamment en évaluant le pilotage interministériel des actions menées dans les filières et les territoires, leur priorisation et les moyens dévolus, en évaluant le rôle et l’impact des intérêts privés sur la définition des objectifs opérationnels, en évaluant les conditions de l’indépendance des autorités publiques chargées de la sécurité sanitaire, en évaluant leur cohérence avec l’ensemble des politiques publiques concourant au même objectif et en évaluant la capacité de la France à faire face au triple enjeu de la garantie de la souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs, de l’impact du dérèglement climatique sur le plan phytosanitaire et de la prise en compte de l’évolution de la réglementation européenne en matière de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques et biocides, notamment le projet de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant une protection des cultures et une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatibles avec le développement durable et modifiant le règlement (UE) 2021/2115.