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N° 1714 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 octobre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la gestion par l’État des risques naturels majeurs dans les territoires transocéaniques de France, dits d’Outremer,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanPhilippe NILOR, Perceval GAILLARD, JeanHugues RATENON, Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, Rodrigo ARENAS, Clémentine AUTAIN, Christian BAPTISTE, Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Elie CALIFER, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, JeanVictor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Florian CHAUCHE, Sophia CHIKIROU, Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, JeanFrançois COULOMME, Catherine COUTURIER, Catherine DAVI, Sébastien DELOGU, Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, Emmanuel FERNANDES, Sylvie FERRER, Caroline FIAT, Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, David GUIRAUD, Mathilde HIGNET, Emeline K’BIDI, Rachel KEKE, Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Antoine LÉAUMENT, Tematai LE GAYIC, Arnaud LE GALL, Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, Jérôme LEGAVRE, Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Frédéric MAILLOT, Élisa MARTIN, Pascal MARTIN, William MARTINET, Max MATHIASIN, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, Marcellin NADEAU, Philippe NAILLET, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, René PILATO, François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Mereana REID ABERLOT, Davy RIMANE, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Olivier SERVA, Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACHTERRENOIR, Andrée TAURINYA, Matthias TAVEL, Aurélie TROUVÉ, Paul VANNIER, Léo WALTER, Jiovanny WILLIAM,

Député.e.s.


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le changement climatique a des conséquences considérables sur la planète, entraînant des phénomènes naturels d’intensité sans cesse plus importante à différents endroits et la stupeur des populations, qui ne sont pas toutes égales face aux risques croissants de catastrophes majeures. Ce constat ravive la conscience du danger permanent contre lequel il faut agir avec célérité.

Les collectivités transocéaniques françaises, autrement dit les Outremer, recèlent de nombreux atouts, notamment une richesse naturelle qui représente 80 % du total de la biodiversité française. Elles occupent également un positionnement géostratégique précieux pour la France qui se hisse au deuxième rang des puissances maritimes mondiales avec 11 millions de km² de surface maritime et 20 000 km de côtes.

Hélas, ces collectivités sont surexposées au large spectre des risques majeurs du fait d’aléas naturels multiples, souvent cumulatifs, aggravés par le changement climatique et leur insularité. Cette vulnérabilité plurielle est accentuée par des contextes socioéconomiques locaux particulièrement difficiles résultant d’inégalités structurelles permanentes avec l’Hexagone.

Le volcanologue Haroun Tazieff, secrétaire d’État chargé de la prévention des risques naturels majeurs en France de 1981 à 1986, définit les risques majeurs comme « la menace sur l’homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l’immensité du désastre ». Face à ces risques, les écosystèmes ultramarins sont en première ligne.

Des collectivités transocéaniques surexposées à la quasi totalité des risques majeurs

Les Antilles

Depuis au moins trois décennies, des phénomènes naturels divers (sécheresses, glissements de terrains, lahars, séismes, tempêtes et ouragans) de plus en plus violents et nombreux frappent durement les Antilles.

En 2017, la saison cyclonique particulièrement active a engendré, entre autres, les cyclones José, Maria et le très violent ouragan Irma, qui s’est abattu sur l’île de SaintMartin et dans la Caraïbe, laissant 136 morts dans son sillage et de nombreux dégâts matériels, estimés à 2 milliards d’euros, qui ont endommagé 92 % des bâtiments. Plus récemment, la tempête Fiona de septembre 2022 a causé la mort d’une personne en Guadeloupe.

Les Antilles sont particulièrement exposées aux risques sismiques, elles sont classées en niveau 5 du zonage sismique réglementaire, soit le plus fort, sur l’ensemble du territoire français.

Des prévisions scientifiques alarmantes font état, pour les Antilles, de la survenue de Big One, potentiel séisme majeur d’une magnitude équivalente à celui de 1843 qui avait causé la mort de plus de 1 500 personnes à PointeàPitre. Selon le service dédié au Plan séisme Antilles (PSA), à l’instar de ceux qui se sont produits au milieu du XIXe siècle, ce séisme majeur provoquerait plusieurs dizaines de milliers de victimes et plusieurs dizaines de milliards d’euros de dommages.

D’autre part, du fait de l’élévation du niveau de la mer, la Martinique pourrait perdre 5 % de sa superficie d’ici 2100.

La Réunion

Au début de l’année 2023 La Réunion a été le théâtre de périodes d’orages d’intensité record. On y enregistre les résultats les plus élevés au monde de pluviométrie sur des périodes comprises entre 3 heures et 12 jours, souvent liées au passage de cyclones. Puis, la sécheresse a suivi et de lourds moyens ont dû être mis en œuvre pour préserver les cannes à sucre.

Le Piton de la Fournaise est également un des volcans les plus actifs au monde.

Mayotte

Mayotte est confrontée à des phénomènes de ruissellement particulièrement importants et à des essaims sismiques, très dangereux pour les populations vulnérables vivant dans des habitats informels sur le littoral. Une sécheresse sans précédent depuis 60 ans débouche actuellement sur une crise dramatique de l’eau qui entraîne des coupures sur le réseau 2 jours sur 3.

Nouvelle menace depuis 2019, un volcan sousmarin se forme également sous l’île.

Le Pacifique

Dans les collectivités du pacifique on retrouve de nombreux risques naturels majeurs.

WallisetFutuna sont situées à proximité de zones frontalières entre les plaques tectoniques de l’Australie et du Pacifique et sont sujettes à une activité sismique et volcanique.

La NouvelleCalédonie est située dans une zone à forte activité sismique, des tsunamis peuvent s’y produire et se propager sur de longues distances dans le Pacifique.

En Polynésie, les îles situées en zone intertropicale sont exposées au passage régulier de dépressions et de cyclones générateurs de vents violents, pluies diluviennes et torrentielles, inondations, mouvements de terrain, houles et tempêtes. Autour de l’océan pacifique, de grandes failles géologiques peuvent provoquer de forts séismes, euxmêmes susceptibles d’entraîner des tsunamis sur les côtes polynésiennes. Les études estiment que la moitié de la population de Polynésie française a déjà été confrontée à un phénomène naturel dangereux.

La Guyane

La Guyane, seule collectivité ultramarine qui n’est pas insulaire, est malgré tout fortement exposée aux mouvements de terrains, aux inondations et à l’érosion.

Le 15 avril 2000 l’éboulement de la falaise de Cabassou a fait 10 morts et a débouché sur un procès non abouti. Le 8 juin 2006, un important séisme de magnitude 5,2 à 10km de profondeur a secoué la Guyane.

Dans toutes ces collectivités, les catastrophes naturelles et les événements météorologiques y prennent une ampleur de plus en plus importante, menaçant les personnes, habitats et infrastructures. L’ensemble de la collectivité est souvent touché, du fait de la faible superficie.

L’économie en ressort particulièrement affaiblie de par la forte dépendance au tourisme et en termes de ressources vitales alimentaires. Cela impose également des déplacements de population et un nouvel aménagement du territoire pour le sécuriser, ce qui est coûteux et compliqué à réaliser pour les collectivités.

Des zones entières de la Guadeloupe, de SaintMartin et de SaintBarthélemy, de Mayotte et de La Réunion pourraient devenir inhabitables dès 20402050.

Des territoires surexposés mais résilients et laboratoires d’expérimentation

Ces collectivités transocéaniques demeurent des lieux d’expérimentation quasi systématiquement ignorés en tant que tels. Leur capacité de résilience se trouve proportionnellement renforcée par leur exposition répétée aux risques naturels, et il s’y développent des connaissances techniques empiriques fondant des expertises éprouvées qui ne sont pas, pour autant, mises à profit.

De ce point de vue, ces territoires constituent des laboratoires pour les évènements à venir qui sont directement liés au changement climatique. Ils réunissent les conditions pour être des zones d’expérimentation de bonnes pratiques.

Dans ces environnements surexposés aux risques majeurs, la capitalisation de ces expériences et expertises doit être autant un préalable qu’un levier d’action au service d’une politique efficace de prévention, d’organisation des interventions et de gestion des risques. Un tel partipris méthodologique relève du bon sens. Car il serait absurde économiquement, socialement, humainement et politiquement, de devoir tout recommencer faute d’anticipation et faute d’avoir tiré les enseignements des événements précédents. Ceci d’autant plus que les peuples sont en capacité de participer à leur protection si on leur en donne tous les moyens techniques, humains et financiers.

Un État défaillant à la vision courttermiste et dans l’urgence permanente

Premières victimes du changement climatique, les territoires transocéaniques ne sont pas préparés face à l’omniprésence de ces risques. On peut objectivement déplorer la faible portée des solutions d’urgence courttermistes mises en œuvre par la puissance publique, loin d’être à la hauteur des enjeux vitaux.

Le manque d’anticipation visant à prévenir ces risques majeurs ne sont qu’un symbole de plus de l’abandon par l’État des collectivités ultramarines. Les citoyennes et citoyens, entièrement à part plus qu’à part entière, subissent les défaillances de politiques publiques qui omettent une partie du territoire.

A Mayotte, la situation actuelle, invivable, inimaginable dans l’Hexagone, résulte d’un manque de préparation de l’État. Les autorités étaient au courant du manque de pluies et la crise de l’eau est un vieux sujet sur l’île : la première grave crise en la matière date de 1997. En août dernier, la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) écrivait « Le déséquilibre entre besoin et ressource en eau disponible se creuse et chaque saison sèche engendre des périodes de stress hydrique et de pénuries des volumes mobilisables de plus en plus marquées », estimant que les actions des pouvoirs publics « ont chaque fois été engagées dans l’urgence » et que leurs mises en œuvre étaient « plus ou moins rapides et surtout plus ou moins abouties ».

Le Plan séisme Antilles (PSA), conçu en 2007 pour mieux préparer les collectivités au risque sismique, est prévu pour une durée de 30 ans. Il est censé « mettre aux normes parasismiques le bâti public prioritaire » et sensibiliser la population « au risque sismique et à la gestion de crise », selon la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) de Guadeloupe. Mais l’évolution de ce plan est lente alors que nous sommes déjà dans la phase 3 sur la période 20212027.

La stratégie principale en Outremer face à ces risques a privilégié des actions de protection lourde via des constructions d’ouvrages de défense tels que des digues ou cordons d’enrochement (entassement de blocs de pierres). Mais, selon Madame Virginie Duvat, professeur de géographie à l’Université de La Rochelle qui a participé au dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « cette stratégie est inadaptée aux îles. Elle accroît finalement les risques de demain, car ces ouvrages sont souvent mal conçus et inefficaces. Ils ont aussi comme effet pervers de créer un faux sentiment de sécurité parmi la population et d’encourager à urbaniser. ».

En résumé, les politiques publiques en la matière, trop lentes et peu structurées dans le temps, ne sont pas à la hauteur de l’ampleur des risques majeurs dans les collectivités transocéaniques.

Les élues et élus ne cessent de réclamer un plus fort investissement de l’État. Par deux rapports parlementaires de 2018 et 2019, la délégation aux Outremer du Sénat a invité l’État à renforcer la capacité d’anticipation et de prévention et améliorer les conditions de la gestion de crise, constatant « la nécessité d’un urgent rattrapage avec l’impératif d’un calibrage des moyens à hauteur des enjeux ».

A côté de moyens financiers, il est également temps que l’État prenne en compte les spécificités propres aux collectivités transocéaniques qui ont fréquemment des difficultés d’ingénierie, ce qui empêche souvent les collectivités de mobiliser tel ou tel financement, d’autant plus avec des budgets locaux dégradés empêchant de compléter financièrement les projets.

En 2018, le Président Emmanuel Macron, en visite dans les Antilles après l’ouragan Irma, annonçait une grande loi de prévention des catastrophes naturelles en Outremer. Nous l’attendons toujours. La délégation interministérielle à la prévention des risques naturels en Outremer, seule concrétisation créée en 2019, a été dissoute au bout de 2 ans.

Un nécessaire changement de paradigme sur la gestion des risques majeurs

Compte tenu de ces réalités objectives qui témoignent du niveau d’impréparation indiscutable et des prévisions alarmistes concernant l’exposition aux risques majeurs dans les collectivités transocéaniques de France, la création d’une commission d’enquête s’impose.

Un travail doit être fait sur la prévention et les secours, pour que chaque citoyenne et chaque citoyen puisse être formé et préparé aux risques, de l’enfance à l’âge adulte. Les services publics, casernes comme hôpitaux, le logement, les réseaux d’eau et d’électricité, les moyens financiers et matériels fournis par l’État devront être évalués pour rendre compte de l’état de préparation  ou plutôt d’impréparation  dans lequel nous sommes aujourd’hui, afin de sortir de l’urgence permanente.

Cette commission d’enquête aura pour objectifs d’évaluer les moyens et ressources actuels de gestion des risques majeurs, de prendre la mesure et l’ampleur du niveau de vulnérabilité polymorphe sur ces collectivités, de recueillir les propositions des différents acteurs (institutions, associations, structures), de proposer des pistes d’amélioration pour réduire les impacts sur les personnes, les infrastructures et l’environnement, et enfin d’engager les voies et moyens en faveur d’une loi sur la résilience des collectivités transocéaniques françaises face aux risques majeurs et enjeux liés au changement climatique.

Cette commission d’enquête se veut donc anticipatrice et volontariste, tant les désordres et les désastres à venir s’annoncent importants.

 

 

 

 

proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête, composée de trente membres, chargée d’étudier et d’évaluer la gestion par l’État des risques naturels majeurs dans les collectivités transocéaniques françaises, dites d’Outremer, et de proposer des solutions et autres mesures d’anticipation et d’innovation afin d’améliorer les dispositifs existants, en matière de financement, de prévention, de formation, de recherche, d’organisation des secours, de la gestion de crise à la réparation.