N° 1814

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 octobre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christine ARRIGHI, Mme Delphine BATHO, M. Julien BAYOU, Mme Lisa BELLUCO, M. Karim BEN CHEIKH, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Eva SAS, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Nicolas THIERRY,

députées et députés.


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Mesdames, Messieurs,

En 2022, Albi, la préfecture du Tarn, a dépassé un nouveau record en comptabilisant 32 jours avec des maximales dépassant les 35 degrés, nous apprend le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport. Un record au milieu d’une année record. L’année la plus chaude jamais enregistrée, qui a connu 33 jours de canicule. La deuxième année la moins pluvieuse observée depuis le début des mesures avec une baisse de 25 % de précipitations (par rapport à 1991‑2020) et l’assèchement de 1 261 cours d’eau. L’année où les glaciers alpins ont perdu 5 km3 de volume, où 72 000 hectare sont partis en fumée, où la production hydroélectrique a baissé de 20 % et où la production agricole a chuté de 10 à 30 % pour certaines filières.

Le dérèglement climatique est là et ses effets sur les écosystèmes, la santé des êtres humains, les infrastructures et les activités économiques commencent à se faire sentir. Le pire est pourtant devant nous et, avec les politiques climatiques mises en œuvre actuellement dans le monde, le réchauffement en France pourrait atteindre +4° Celsius d’ici la fin du siècle.

À la crise climatique s’ajoute celle de l’effondrement de la biodiversité. Le taux d’extinction des espèces est aujourd’hui 100 à 1 000 fois plus élevé que le rythme naturel. 800 millions d’oiseaux ont disparu en 40 ans en Europe, soit un effondrement de 25 % des populations et 60 % pour les espèces agricoles.

Nos sols sont essentiels pour lutter contre le changement climatique, préserver la biodiversité et protéger la ressource en eau. C’est une ressource naturelle limitée et particulièrement fragile que les appétits productivistes détruisent depuis des années.

En 40 ans, la surface artificialisée de la France hexagonale a doublé, passant de 2,9 millions d’hectares en 1982 à 5 millions d’hectares en 2018. Chaque année, entre 20 000 et 30 000 hectares sont encore artificialisés, en particulier sur des terres agricoles. Signe d’un dysfonctionnement lié à l’absence de considération de nos limites, le taux d’artificialisation évolue quatre fois plus vite que la démographie.

Pour maintenir nos conditions d’habitabilité, la France s’est dotée d’objectifs de lutte contre l’artificialisation dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Nous nous sommes ainsi engagés à réduire progressivement le rythme de destruction des sols en divisant par deux le rythme de l’artificialisation des sols d’ici 2031 puis en atteignant un équilibre entre surfaces artificialisées et renaturées en 2050. Ces objectifs n’ont à ce jour pas suffi à freiner l’appétit de destruction de l’État et des promoteurs autoroutiers, qui vont parfois jusqu’à détruire des arbres centenaires et des écosystèmes irremplaçables, bien que la littérature nous apprenne qu’un arbre centenaire ne peut pas être compensé par 5 jeunes arbres ou par la protection d’autres zones.

Le projet d’autoroute A69, déclaré d’utilité publique par le Gouvernement à travers le décret n° 2018‑638 du 19 juillet 2018, vise à construire une autoroute entre Castres et Toulouse en détruisant plus de 400 hectares de sols. Il a fait l’objet d’un avis négatif de l’Autorité environnementale : « ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité ».

En plus d’être incompatible avec nos ambitions écologiques, ce projet est injuste socialement. Il s’agirait de la deuxième autoroute la plus chère de France, complexifiant ainsi les déplacements des personnes modestes en privatisant une partie des aménagements existants.

Enfin, c’est un projet rejeté par les habitants du territoire. 61 % des habitants du Tarn et de la Haute‑Garonne se déclarent défavorables au projet. Il est également fortement contesté par les scientifiques. Plus de 1500 scientifiques, dont dix co‑auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des représentants de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) ou du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), ont appelé le président de la République à renoncer à ce projet.

Alors que toutes les conditions sont réunies pour abandonner ce projet, le déni du Gouvernement et de certains élus interrogent.

L’analyse du montage juridique et financier du projet fait apparaître que l’État a choisi de confier la concession autoroutière de l’A69 à la société ATOSCA, détenue à 60 % par deux sociétés de capital risque de droit luxembourgeois. Par ailleurs, la durée de la concession envisagée est de 55 ans, durée durant laquelle l’État s’interdirait toute possibilité de renégociation du contrat ou toute nouvelle mise en concurrence.

L’accessibilité aux informations pour les citoyens est par ailleurs entravée puisque les annexes au contrat de concession sont consultables uniquement sur rendez‑vous et à Paris‑La Défense.

Dans ce cadre, la présente résolution propose la création d’une commission de trente membres, chargée d’enquêter sur les liens existants entre la société ATOSCA et des décideurs politiques français, élus locaux ou membres du gouvernement, ainsi que sur les soutiens directs et indirects accordés par le gouvernement français aux entreprises impliquées dans ce projet. Elle devra également analyser le montage juridique et financier du projet et en particulier les paramètres juridiques et financiers du contrat de concession et de toutes ses annexes.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créée une commission d’enquête, composée de trente membres, chargée d’enquêter d’une part sur les liens existants entre la société ATOSCA et les décideurs politiques français ainsi que sur les soutiens directs et indirects accordés par le Gouvernement français aux entreprises impliquées dans ce projet et, d’autre part, sur les paramètres juridiques et financiers du projet, singulièrement du contrat de concession.