N° 1869

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 novembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à condamner la « théorie du grand remplacement »,

 

présentée par

Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Benjamin LUCAS,

députées et députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis une dizaine d’années, la « théorie du grand remplacement », auparavant circonscrite aux groupuscules néonazis, s’est imposée dans le débat public. Cette théorie du complot décrit un prétendu processus de remplacement des populations blanches occidentales par une autre non blanche. Source de violences racistes et d’attentats terroristes, la « théorie complotiste du grand remplacement » représente un grave danger pour la sécurité nationale et doit être combattue avec la plus grande fermeté, à rebours de la banalisation outrancière dont elle fait l’objet. Je dépose cette proposition de résolution, sur le fondement de l’article 341 de la Constitution, afin que l’Assemblée nationale se prononce en ce sens.

La « théorie du grand remplacement » est un mensonge démographique. La population française ne se décompose pas en deux blocs monolithiques − l’un remplaçant, l’autre remplacé. Même à accepter cette prémisse, le « remplacement » de 67 millions d’habitants par l’arrivée de 109 000 personnes immigrées au cours d’une année (2021) est statistiquement impossible.

La « théorie complotiste du grand remplacement » n’est pas une opinion. Certes, les opinions, aussi contraires à la réalité puissentelles être, sont protégées sur le fondement des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits et de l’homme et du citoyen, car la liberté d’expression est « une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés », comme le rappelle régulièrement le Conseil constitutionnel. Mais la conception française de la liberté d’expression n’est pas absolutiste au point de laisser notre société se déchirer : la provocation à la haine raciale est ainsi interdite par la loi. Or la « théorie complotiste du grand remplacement » défend l’existence de deux civilisations sur un même sol, dont seule une peut subsister. La « théorie complotiste du grand remplacement » porte inéluctablement en elle les germes d’une guerre raciale.

Ni fait ni opinion, elle est un appel direct à la violence terroriste. Renaud Camus, lorsqu’il forge l’expression en 2010, écrit par la même occasion : « Annoncez aux Africains qu’on tirera sur eux s’ils continuent leur invasion ». L’idée nauséabonde en devient mortifère : le 22 juillet 2011, en Norvège, M. Anders Breivik tue 76 personnes au nom du « grand remplacement ». Entre 2015 et 2020, les violences d’extrême droite suivent une évolution exponentielle (+ 320 %) au nom de l’« accélérationnisme », doctrine visant à accélérer le « chaos racial » et provoquer la guerre civile. Le 11 août 2017, la « théorie du grand remplacement » est scandée dans les cortèges néonazis de Charlottesville aux ÉtatsUnis. Le 15 mars 2019, à Christchurch (NouvelleZélande), M. Brenton Tarrant fait 51 morts et 49 blessés dans deux mosquées, attentat fondé sur son manifeste intitulé « Le Grand Remplacement ». La « théorie complotiste du grand remplacement » tue.

La France n’y échappe pas. La mouvance d’extrême droite française, qui compte environ 2 000 individus, est aujourd’hui l’une des principales menaces pour la sécurité nationale. En 2021, les services de renseignement ont alerté les autorités, craignant l’apparition d’un « modus operandi et d’une idéologie commune » qui puissent animer des acteurs isolés. Depuis 2017, dix attentats d’extrême droite ont été déjoués en France.

Face à ce danger, la classe politique est complaisante − et plus seulement l’extrême droite historique.

La droite dite « républicaine » s’est dévoyée, reniant jusqu’à son propre nom. La réappropriation et la diffusion des thèses et théories complotistes et et suprémacistes par la droite doit nous alerter quant au danger imminent du risque terroriste grandissant, de la haine raciale exacerbée, des violences commises sur une partie de nos compatriotes. Notre devise républicaine s’évapore.

Dans le même temps, le camp présidentiel, souffle sur les braises, en renvoyant constamment dos à dos « les extrêmes » que seraient non seulement le RN mais aussi les forces de gauche progressistes et écologiques que composent la NUPES. Cette comparaison est une outrance dans la mesure où me RN est un parti fondé par d’anciens WaffenSS et peuplé de nostalgiques de Vichy. L’un attise la haine contre des millions de Français et de Françaises en raison de leur origine ou de leur religion, l’autre combat la casse sociale et le dérèglement climatique.

Dénaturation et inversion des valeurs ont une fin : d’une part, la banalisation éclair de l’extrême droite, dont la progression de la « théorie du grand remplacement » n’est que l’un des symptômes, d’autre part, un champ politique qui s’extrêmedroitise.

Dans cette fuite en avant fasciste, la représentation nationale doit retrouver sa boussole et condamner sans équivoque la « théorie du grand remplacement » ainsi que l’ensemble des responsables politiques qui contribuent à sa diffusion et à sa banalisation. Il est temps de reconnaître et de positionner les vrais républicains.

 

 


proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la résolution H. Res. 1152, adoptée par la Chambre des représentants des États-Unis le 8 juin 2022, condamnant la « théorie du grand remplacement »,

Considérant que la « théorie du grand remplacement » est une théorie du complot formulée par l’auteur français d’extrême droite M. Renaud Camus en 2010, décrivant un prétendu processus de remplacement des populations blanches occidentales par une autre non blanche, généralement issue d’Afrique ;

Considérant que cette « théorie » est une contre-vérité démographique, le « remplacement » de 67 millions d’habitants par l’arrivée d’une centaine de milliers de personnes immigrées au cours d’une année, (109 000 en 2021, étant statistiquement impossible ;

Considérant que cette « théorie » ne repose ainsi sur aucun fondement scientifique ;

Considérant qu’en tout état de cause, la population française ne se décompose pas en deux blocs homogènes, l’un Français, l’autre moins ;

Considérant qu’en présupposant l’existence d’une telle distinction, cette « théorie » méconnaît par essence l’unité et l’intégrité du peuple français ;

Considérant les travaux d’historiens, dont MM. Laurent Joly et Grégoire Kauffman, selon lesquels la « théorie du grand remplacement » puise ses racines dans l’antisémitisme de la fin du XIXe siècle, propagé notamment par MM. Maurice Barrès et Édouard Drumont ;

Considérant que la « théorie du grand remplacement » véhicule une variété d’idéologies d’extrême droite, antisémitisme, racialisme, suprémacisme blanc, néonazisme,dont l’expression est dans de nombreux cas punie par la loi :infraction de provocation à la haine ou à la violence à raison d’une religion ou d’une race, infraction de contestation de l’existence de crimes contre l’humanité ;

Considérant que la « théorie du grand remplacement » est le prolongement de ces idéologies mortifères ;

Considérant que son postulat, selon lequel deux civilisations occupent le sol français dont seule une peut subsister, provoque directement à la haine et à la violence ;

Considérant que la « théorie du grand remplacement » a en effet entraîné une vague mondiale d’attentats terroristes, perpétrés explicitement au nom de cette théorie ;

Considérant que les attentats terroristes du 22 juillet 2011 à Oslo et Utøya en Norvège, du 27 octobre 2018 dans une synagogue à Pittsburgh aux États-Unis, du 15 mars 2019 dans deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande et du 3 août 2019 à El Paso aux États-Unis, commis pour lutter contre un prétendu « grand remplacement » ou « génocide blanc », ont fait 153 morts ;

Considérant que ce risque terroriste est élevé en France, les services de renseignement identifiant la mouvance d’extrême droite française comme l’une des principales menaces pour la sécurité nationale et ayant déjoué dix attentats depuis 2017 ;

Considérant qu’en dépit de ses origines et de ses implications, la « théorie du grand remplacement » profite d’une alarmante banalisation dans le champ politique et médiatique ;

Condamne avec la plus grande fermeté la « théorie du grand remplacement » ainsi que l’ensemble des responsables politiques qui contribuent à sa diffusion et à sa banalisation ;

Invite le Gouvernement à s’associer à cette condamnation ;

Affirme le caractère raciste et xénophobe de cette « théorie » et rappelle ses fondements théoriques antisémites et suprémacistes blanc ;

Invite le Gouvernement, à la fois dans son expression et son action, à amplifier la lutte contre l’extrême droite et sa mouvance terroriste ;

Souhaite honorer la mémoire des victimes des attentats perpétrés dans le monde au nom de la « théorie du grand remplacement » et exprimer son soutien à l’égard de leurs proches.