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N° 1904

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à abandonner la proposition de règlement du Parlement européen réduisant strictement les délais de paiement
pour les commerçants,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par Mesdames et Messieurs

Fabien DI FILIPPO, Thibault BAZIN, Valérie BAZIN-MALGRAS, Émilie BONNIVARD, Hubert BRIGAND, Fabrice BRUN, Christelle D’INTORNI, Julien DIVE, Francis DUBOIS, PierreHenri DUMONT, Nicolas FORISSIER, Annie GENEVARD, Philippe GOSSELIN, Justine GRUET, Victor HABERTDASSAULT, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe JUVIN, Véronique LOUWAGIE, Frédérique MEUNIER, Maxime MINOT, Éric PAUGET, Isabelle PÉRIGAULT, Christelle PETEXLEVET, Nicolas RAY, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean-Pierre TAITE, Isabelle VALENTIN, Stéphane VIRY,

députés.

 


 

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les États membres de l’Union européenne doivent très prochainement statuer sur une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne « concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales », présentée par la Commission européenne le 12 septembre dernier.

Selon les termes du Commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton, ce règlement s’inscrit dans un plan plus global dont l’objectif est de « simplifier la vie » des PME qu’il considère comme étant « l’écosystème économique le plus important de l’ensemble du marché intérieur ».

Le projet de règlement propose une mise à jour de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 sur les retards de paiement.

Considérant que la mise en œuvre de cette directive était un échec, la Commission a opté pour un règlement dont le projet constitue un durcissement visant à réduire concrètement les délais de paiement dans l’Union Européenne. La Commission entend ainsi passer par une application directe des mesures envisagées, là où une directive aurait nécessité une transposition par les autorités nationales.

Les principaux changements proposés sont les suivants :

– l’interdiction des paiements supérieurs à 30 jours et la suppression de toute exception à ce délai.

– l’obligation pour les cocontractants principaux, dans le cadre des marchés publics, d’apporter la preuve du paiement de leurs sous‑traitants directs afin de favoriser le paiement des sous‑traitants en aval et de limiter la rétention de trésorerie ;

– l’augmentation des taux d’intérêts de retard (+ 8 points par rapport au taux de la BCE) et de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement (qui passe de 40 à 50 euros afin de prendre en compte l’inflation), en précisant que ces frais seront automatiquement dus pour chaque facture payée en retard ;

– la nullité des clauses contraires

– la mise en place d’autorités nationales chargées de veiller à l’application des règles et de sanctionner les entreprises ne respectant pas la réglementation relative aux délais de paiement.

En France, les principales fédérations du commerce font part de leur forte inquiétude quant aux conséquences délétères d’une réduction des délais de paiement maximum à 30 jours pour toutes les transactions commerciales B2B, sans possibilité de dérogation.

La directive actuelle, plus souple, permet d’avoir un délai de paiement à soixante jours dans le commerce, voire plus en cas de dérogation. En France, en cohérence avec cette directive, l’article L. 441‑10 du code de commerce fixe un délai de paiement de principe de trente jours applicable par défaut, sauf accord spécifique entre les parties. Dans les faits, la quasi‑totalité du temps, des accords sont négociés entre les commerçants et leurs fournisseurs. Une réduction des délais sans aucune dérogation possible entraînera un besoin de fonds de roulement supplémentaire évalué à 30 milliards d’euros pour le commerce français, dans une période où les trésoreries sont au plus bas et où les banques ne sont pas enclines à prêter de l’argent.

Aujourd’hui, les fédérations estiment que ce règlement pourrait asphyxier totalement 10 à 15 % des commerces.

La Fédération française de la franchise dénonce un projet « irresponsable », pour lequel « aucune étude d’impact n’a été réalisée », alors que nos commerçants sont déjà confrontés « aux PGE ([1]) à rembourser, à la hausse du coût de l’énergie, à celle des loyers… »

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), parle quant à lui d’« une arme de destruction massive pour le commerce, qui va impacter tous les acteurs, petits et grands.  »

Selon le cabinet Knight Frank, entre 2020 et fin août 2023, 80 enseignes ont fait l’objet de procédures judiciaires, cela a conduit à la fermeture de 3 200 magasins en trois ans.

Si l’intention d’aider les petites et moyennes entreprises (PME) est bonne, la réduction stricte des délais de paiement constitue une mesure disproportionnée et inadaptée dont le commerce sera la première grande victime, et particulièrement certains secteurs qui bénéficient actuellement de dérogations raison de leurs spécificités.

Il en est ainsi par exemple des spécialistes du jouet, dont l’activité est très saisonnière, avec 53 % de leur chiffre d’affaires réalisé sur les trois derniers mois de l’année. 

D’autres secteurs, comme celui de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie et de l’orfèvrerie, bénéficient également de dérogations, du fait par exemple de la typologie des produits vendus et de la lenteur de rotation des stocks en magasin.

Mettre fin à ces dérogations engendrerait d’importantes difficultés financières pour de nombreux commerces, voire entraînerait leur fermeture.

Pour les fédérations, ce règlement pourrait en outre favoriser l’inflation, puisque ce coût supplémentaire retombera forcément sur les prix et les produits en magasin.

Il pourrait aussi avoir un impact négatif pour l’activité des PME. En effet, les commerçants seront en effet tentés de réduire leurs stocks pour limiter l’impact au maximum, ce qui tendrait les chaînes d’approvisionnement et augmenterait les risques de ruptures : mais ils pourront aussi réduire le nombre de fournisseurs en commençant par les PME. D’ailleurs, si ces dernières veulent que les institutions prennent des mesures pour lutter contre les mauvais payeurs, elles ne semblaient pas demander un délai strict à trente jours 

Pour Arnaud Haefelin, président de la Commission des affaires européennes de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), ce règlement pourrait également pénaliser les PME en favorisant des importations hors Europe, notamment d’Asie où les délais de paiement sont bien plus souples, créant ainsi des « distorsions de concurrence ». Chez les fournisseurs asiatiques, la pratique est à cent vingt jours…

Cela ira de plus « à l’encontre du combat pour une offre plus locale et made in France. »

Il y aura aussi des conséquences sur la logistique, car si les entreprises risquent de vouloir limiter les stocks et fractionner les commandes : cela signifie plus de livraisons, plus de transports, donc une plus grande difficulté d’anticipation de la production pour les fabricants, et des conséquences négatives d’un point de vue écologique.

Enfin, avec la fin des campagnes de paiement en fin de mois, l’organisation et la gestion de la comptabilité des entreprises et de leurs fournisseurs devront être complètement revues et les factures payées au jour le jour.

Le projet de règlement est actuellement examiné par le Parlement européen. S’il l’approuve, ce sera au tour du Conseil européen qui regroupe les chefs d’État de tous les États membres d’accepter ou de rejeter le règlement.

La présente résolution invite le gouvernement français à s’opposer à ce projet de règlement, et plus particulièrement à son article 3 qui impose un délai de paiement maximal de 30 jours pour toutes les transactions commerciales.

 

 


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant que si de nouvelles mesures visant à protéger les petites et moyennes entreprises face aux retards de paiement peuvent s’avérer nécessaires, celle qui consiste à réduire le délai de paiement maximal à trente jours sans dérogation possible aurait des conséquences extrêmement néfastes pour les commerçants français, pour les consommateurs, et pour les petites et moyennes entreprises elles-mêmes ;

Considérant que la première contrainte posée par ce règlement est celle du financement du besoin en fonds de roulement supplémentaire, et des importants problèmes de trésorerie qu’il va engendrer pour les commerces ;

Considérant que les distorsions de concurrence avec les pays hors Union européenne vont être accentuées, ce qui nuira aux petites et moyennes entreprises et ira à l’encontre du combat que mène notre pays pour favoriser les produits locaux, fabriqués en France ;

Considérant les risques pour le consommateur d’une nouvelle hausse de l'inflation au vu des répercussions probables des problèmes de trésorerie des commerçants sur les prix ;

Considérant que, en plus de graves conséquences économiques, cette mesure va avoir des conséquences logistiques et écologiques, avec des diminutions des stocks, des risques de ruptures des chaînes d’approvisionnement, des difficultés d’anticipation pour les fabricants, et un impact écologique important du fait d’une multiplication des transports de marchandises ;

Considérant que, comme l’indique le projet de règlement dans la partie « consultation des intéressés », si « presque tous les groupes de parties prenantes consultés se sont déclarés favorables à la révision de la directive, certaines parties prenantes ont souligné que des règles plus strictes étaient contraires à la liberté contractuelle des entreprises européennes », et « se sont opposées à l’idée de limiter les délais de paiement. » ;

Invite le Gouvernement à voter contre le projet de règlement visant à mettre à jour de la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 sur les retards de paiement ;

Invite le Gouvernement à se mobiliser diplomatiquement auprès des États membres de l’Union et de la Commission européenne afin que cette proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales soit abandonnée au profit d’un projet de règlement ne comportant pas la mesure de réduction stricte des délais de paiement exposée à l’article 3.


([1])  Prêt garanti par l’État.