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N° 1981

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à garantir le respect effectif du principe de non-refoulement,

 

présentée par

Mme Élisa MARTIN, M. Andy KERBRAT, Mme Danièle OBONO, M. Thomas PORTES, Mme Andrée TAURINYA, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députés et députées.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de résolution vise à rappeler la France à ses engagements internationaux quant au respect du principe du non‑refoulement et à garantir son application effective.

L’article 33‑1 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés dispose qu’ « aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Les conventions de Genève ont été ratifiées par la France en 1953. Depuis, elle se doit de les respecter.

L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, l’article 3 de la Convention contre la torture de 1984, l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, ou encore l’article 78‑1 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, attestent à leur tour du principe de non‑refoulement. L’ensemble de ces textes ont été ratifiés par la France.

En dépit de ces engagements, les cas de renvois forcés à nos frontières, mais aussi les mesures d’éloignement méconnaissant le principe de non‑refoulement sont une réalité dans notre pays. Ces constats font suite à de nombreuses alertes émises par les observateurs et acteurs de la société civile, qu’ils soient spécialistes du droit international ou mobilisés sur le terrain. Sont aussi bien concernés des individus désireux ou susceptibles de déposer une demande d’asile en France, que des réfugiés dont le statut a été formellement reconnu.

Il a ainsi été documenté par de nombreuses associations de terrain que des agents de la police aux frontières franco‑espagnole et franco‑italienne procèdent régulièrement à des refus d’entrée sur le territoire français avant‑même que les personnes concernées aient l’occasion d’y déposer une demande d’asile ([1]). Les mineurs, notamment non‑accompagnés, sont également concernés, comme le dénonçait déjà en 2020 Amnesty International et d’autres organisations partenaires dans un rapport remis au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies ([2]). L’appréciation individuelle de chaque cas étant rendue impossible dans ce type de configuration, il n’y a donc naturellement pas d’évaluation de l’existence ou non de potentiels risques pesant sur la vie ou la liberté de l’individu concerné en cas de retour dans son pays d’origine, ou sur le territoire vers lequel il doit être renvoyé. Risques au titre desquels celui‑ci pourrait ou aurait pu se prévaloir lors de l’examen de sa demande d’asile.

La généralisation de ces refus d’entrée sur le territoire a été favorisée par la multiplication des contrôles frontaliers depuis la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en 2015. Cette mesure qui ne devait être prévue qu’à titre exceptionnel et pour une durée limitée, a été sans cesse renouvelée au fil des ans et renforcée en termes d’effectifs de policiers. Pourtant, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2022 a rappelé qu’un renouvellement du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvait avoir lieu qu’en raison d’un nouveau motif. ([3]) Pour autant, le Conseil d’État s’est opposé à la décision de la CJUE et a jugé légitime la position de la France ([4]).

La violation du principe de non‑refoulement par la France est également une conséquence de l’instrumentalisation du régime d’exception prévu par l’article 33‑2 de la Convention de Genève qui dispose que « le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

De ce fait, on assiste en France à des expulsions faisant suite à des retraits de statut de réfugié, sous couvert de « risque sérieux de menace grave à l’ordre public » ([5]), un concept‑valise et malléable au gré des émotions nationales et de l’alternance politique, comme le dénoncent de nombreuses ONG internationales.

Pourtant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé en 2021, que la révocation du statut de réfugié est sans incidence sur la qualité de réfugié. Elle doit être prise en compte par les autorités internes lorsque ces dernières examinent la réalité du risque que l’intéressé allègue subir en cas d’expulsion vers son pays d’origine, et protège donc en principe le requérant contre le refoulement ([6]). L’exécutif a pourtant ignoré à plusieurs reprises cette jurisprudence fondatrice, de même que plusieurs autres décisions de la CEDH relatives à l’expulsion. Aujourd’hui, la France va même au‑delà : en novembre 2023, la France a expulsé un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine au motif qu’il représentait une menace pour l’État, alors même que la Cour européenne des droits de l’Homme avait pris une mesure provisoire visant à suspendre la décision d’éloignement avant de statuer sur le fond, estimant au titre de son article 3 qu’il existait des risques de torture en cas de renvoi de l’intéressé dans le pays d’origine ([7]). Cette décision d’expulsion par la France, outrepassant une décision de la CEDH, constitue un dangereux précédent et confirme le tournant inquiétant pris par les autorités françaises vers la systématisation des actes de refoulement.

Diverses pratiques de rétention et d’enfermement sont mises en place afin de pratiquer ces refoulements d’une frontière à une autre, comme les zones d’attente, les locaux et centres de rétention administrative, ou encore les locaux de « mise à l’abri ». Il est important de préciser qu’aujourd’hui, les locaux de « mise à l’abri » ne sont encadrés par aucun texte. Les personnes qui y sont enfermées sont considérées par les autorités comme ne pouvant entrer sur le territoire et devant être refoulées avant de se voir notifier un refus d’entrée sur le territoire français avant leur enfermement. Ces procédures de refus d’entrée sur le territoire sont appliquées de manière expéditive, les personnes n’étant pas informées de leurs droits. Le Conseil de l’Europe a épinglé la France dans un rapport publié en 2022 précisément pour ces pratiques de « refoulement généralisé aux frontières » ([8]). Cette tendance est dénoncée par différentes ONG ([9]), la détention arbitraire étant prohibée dans un État de droit. Elle suscite les plus grandes inquiétudes et doit cesser au profit de l’exercice effectif des droits fondamentaux.

La réforme du système de l’asile contenue dans la Loi Immigration de 2023, et notamment les dispositions relatives aux obligations de quitter le territoire français (OQTF), laissent craindre de voir ce principe de non‑refoulement à nouveau bafoué, et illustre pleinement la volonté d’expulser à tout prix du gouvernement. En effet, l’absence ou la mauvaise conduite des examens des situations personnelles lors des procédures d’asile, corollaire indispensable du principe de non‑refoulement, conduisent à des refus d’octroi de l’asile, et ainsi à des OQTF visant des personnes qui auraient dû pouvoir prétendre à une protection internationale.

La France doit rester attachée au principe de non‑refoulement, le réaffirmer sans ambiguïté et en garantir le respect effectif. Il en va de la préservation pratique du droit d’asile, droit fondamental résultant d’engagements internationaux ratifiés par la France. Réaffirmer ce principe absolu revient en somme à réaffirmer l’attachement de notre République aux droits humains.

 


proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951,

Vu l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,

Vu l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984,

Vu la Convention internationale des droits de l’enfant,

Vu l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Considérant l’appel de nombreuses organisations non-gouvernementales, institutions, et juridictions alertant sur les violations du principe de non‑refoulement par la France ;

Considérant les nombreuses violations du principe de non‑refoulement par la France ;

Considérant le rôle que doit avoir la France dans le respect du principe de non‑refoulement ;

Invite le gouvernement à garantir une application pleine et entière du texte de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, en particulier l’article 33 de la Convention garantissant le principe de non‑refoulement ;

Invite le gouvernement à respecter l’interdiction de la pratique des expulsions de masse, prohibée par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, par nature incompatible avec le principe de non‑refoulement en raison de l’absence totale d’examen des situations individuelles qu’elles impliquent ;

Invite le gouvernement à garantir l’accès effectif à la demande d’asile à toute personne et à permettre à toute personne d’être informée de ses droits au cours de la procédure ;

Invite le gouvernement à garantir un cadre juridique strict pour tous les lieux d’enfermement et de rétention administrative, tels que les mises à l’abri, dans le respect de ses engagements internationaux.

 

 


([1]) « Contrôles migratoires à la frontière franco-espagnole : entre violations des droits et luttes solidaires », Amnesty International et autres organisations, mai 2023.

([2]) « Les manquements des autorités françaises aux devoirs élémentaires de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits des mineurs isolés étrangers en danger », Amnesty International et autres organisations, octobre 2020.

([3]) NW contre Landespolizeidirektion Steiermark, NW contre Bezirkshauptmannschaft Leibnitz, affaires C 368/20 et C 369/20, CJUE, 26 avril 2022.

([4]) Décision n°463850 du Conseil d’État, le 27 juillet 2022.

([5]) Ces mesures d’expulsion sont prévues aux articles L630-1 à L632-7 du CESEDA et article L511-7 du CESEDA.

([6])  K.I. c. France n° 5560/19, Cour Européenne des Droits de l’Homme, 15 avril 2021.

([7])  « La France procède à l’expulsion en passant outre une décision de la CEDH pour la première fois », Julia Pascual pour le journal Le Monde, 1er décembre 2023.

([8]) « Quatre domaines d’action urgente pour faire cesser les violations de droits de l’homme aux frontières européennes » Conseil de l’Europe, Repoussés au-delà des limites., 7 avril 2022.

([9])  Projet de Coordination des actions aux frontières intérieures (CAFI)