N° 2158

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 février 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à défendre le respect des droits humains au Nicaragua,

 

présentée par

Mme Eléonore CAROIT, M. Damien ABAD, M. Benoît BORDAT, Mme Christine DECODTS, Mme Julie DELPECH, Mme Ingrid DORDAIN, Mme Stella DUPONT, M. Philippe FREI, M. Joël GIRAUD, M. Benjamin HADDAD, M. Yannick HAURY, Mme Brigitte KLINKERT, Mme Virginie LANLO, M. Vincent LEDOUX, Mme Sandrine LE FEUR, M. Christophe MARION, M. Nicolas METZDORF, Mme Béatrice PIRON, Mme Cécile RILHAC, M. Philippe SOREZ, Mme Corinne VIGNON, M. Éric WOERTH, M. Jean-Marc ZULESI, M. Jean-Louis BOURLANGES, M. Hubert OTT, M. Frédéric PETIT, M. Luc LAMIRAULT, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Nicolas FORISSIER, M. Jean-Pierre TAITE, M. Guy BRICOUT, M. David HABIB, M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes depuis trop longtemps spectateurs de la crise politique que connaît le Nicaragua et des atteintes aux droits humains dont est victime la population nicaraguayenne. Dans ce pays d’Amérique centrale, l’appareil d’État a été détourné par le couple au pouvoir et ses alliés pour persécuter la population.

Acteur majeur de la révolution sandiniste dans les années 1970, M. Daniel Ortega est élu Président du Nicaragua pour la première fois en 1984. Après plusieurs années dans l’opposition, il est réélu Président en 2006, fonction qu’il occupe toujours aujourd’hui. Mandat après mandat, Daniel Ortega s’est assuré de garder le pouvoir tout en accaparant les ressources de cette République centraméricaine au profit de sa famille et des fidèles de son parti.

Entre 2007 et 2018, il a instrumentalisé la Cour suprême du Nicaragua pour se présenter à sa propre succession, désigné son épouse, Rosario Murillo, en tant que candidate à la vice‑présidence de la République - fonction qu’elle occupe depuis 2017 – et modifié la Constitution afin que celle‑ci puisse lui succéder en cas de décès. Les enfants du clan Ortega‑Murillo occupent eux‑aussi un poste important au sein de l’appareil d’État ou du conglomérat familial.

Le Président Daniel Ortega et son épouse et vice‑présidente, Rosario Murillo, ont progressivement instauré un pouvoir dictatorial violent au Nicaragua (le « régime Ortega‑Murillo »).

En avril 2018, une série de réformes de la sécurité sociale a entraîné des contestations à travers tout le pays. Les images du visage ensanglanté d’une manifestante sexagénaire, Mme Ana Quirós, victime de violences par les forces armées nicaraguayennes, sont relayées des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Choqué par les violences subies par les manifestants, le peuple nicaraguayen a poursuivi sa mobilisation. En quelques mois, l’Association nicaraguayenne pour les droits humains (ANPDH) dressait un bilan de près de 500 morts, 4 000 blessés et plus de 1 200 détentions arbitraires.

La crise politique s’est accrue en 2021, dans le contexte des dernières élections présidentielles. Le 7 novembre 2021, Daniel Ortega s’est déclaré réélu pour un cinquième mandat avec près de 75 % des suffrages exprimés alors même que le taux d’abstention s’élevait à plus de 80 % selon des estimations indépendantes.

Le régime Ortega‑Murillo s’était assuré de supprimer toute concurrence électorale par l’incarcération arbitraire, le harcèlement et l’intimidation des candidats à l’élection présidentielle. Les médias internationaux ont été empêchés d’entrer dans le pays et seuls les médias officiels ont été accrédités pour couvrir les élections présidentielles de 2021.

Ce processus électoral anti‑démocratique a fait l’objet d’une condamnation générale par la communauté internationale, à l’exception notable de la Russie, de la Chine, de l’Iran, de Cuba et du Venezuela qui ont salué la réélection de Daniel Ortega.

Le Nicaragua s’est progressivement isolé sur la scène internationale. En mars 2022, l’ambassadeur du Vatican, Stanislaw Waldemar Sommertag, était expulsé. Un mois plus tard, le Nicaragua opérait une sortie précipitée de l’Organisation des États américains (OEA). En septembre 2022, c’est l’ambassadrice de l’Union européenne, Bettina Muscheidt, qui était, à son tour, expulsée.

Le Nicaragua a en revanche renforcé ses liens avec la Chine et la Russie, sur fond de guerre en Ukraine. Après avoir voté contre la résolution onusienne du 23 février 2023 qui exigeait le retrait immédiat des troupes russes ayant envahi l’Ukraine, le Nicaragua a une nouvelle fois refusé de condamner la guerre en Ukraine en juillet 2023, lors du Sommet UE‑CELAC de juillet 2023. En parallèle, le pays a accueilli un contingent Russe composé de près de 100 militaires du Kremlin, d’avions et de bateaux militaires, officiellement afin de participer à un échange d’expérience militaire et humanitaire.

Depuis 2021, le régime Ortega‑Murillo a accru le démantèlement des institutions démocratiques au Nicaragua, le rétrécissement de l’espace civique et la répression de la dissidence. Le Groupe d’experts des droits de l’homme des Nations Unies sur le Nicaragua a décrit en détails les exécutions extrajudiciaires, les arrestations, les détentions arbitraires et les actes de torture physique et psychologique, y compris des actes de violence sexuelle et sexiste, qui sont commis par le régime Ortega‑Murillo.

La séparation des pouvoirs n’existe plus et le système judiciaire est instrumentalisé aux fins de réprimer toute opposition, réelle ou supposée. En mai 2023, par exemple, 55 personnes ont été inculpées en une seule nuit de « complot visant à porter atteinte à l’intégrité nationale » et de « diffusion de fausses nouvelles ». Lors des audiences, aucun des 55 accusés n’a pu choisir un avocat. Quelques jours plus tôt, la Cour Suprême du Nicaragua avait décidé d’interdire à 26 avocats et notaires critiques à l’égard du régime d’exercer leur profession dans le pays.

Toute expression émanant de la société civile est muselée. Les autorités nicaraguayennes ont par exemple supprimé la personnalité juridique de plus de 3 300 organisations de la société civile ces dernières années et fermé 12 universités. Les représentants religieux sont également arrêtés et détenus, à l’instar de l’Évêque Rolando Alvarez condamné à 26 ans de prison pour « atteinte à l’intégrité nationale », avant d’être libéré et expulsé le 14 janvier 2024.

Le régime Ortega‑Murillo a multiplié les atteintes contre la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information. Les journalistes sont stigmatisés et confrontés à des campagnes de harcèlement, des arrestations arbitraires et des menaces de mort. Au Classement mondial de la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières, le Nicaragua occupe désormais la 158° place sur 180 pays et appartient à la catégorie « très grave ».

Il est temps que l’Assemblée nationale condamne la répression systématique orchestrée par le régime Ortega‑Murillo, porte un message de solidarité au peuple nicaraguayen et défende les valeurs universelles incarnées par la démocratie et l’État de droit.

Contrairement au Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies et au Parlement européen, les parlementaires français n’ont à ce jour jamais condamné ouvertement le régime Ortega‑Murillo. La France, patrie de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, pays des lumières, garante du respect des droits humains, ne saurait fermer les yeux plus longtemps sur les violations subies par le peuple nicaraguayen.

Cette résolution vise à apporter le soutien de l’Assemblée nationale au peuple nicaraguayen. Elle vise également à reconnaître que le Nicaragua est en proie à un régime autoritaire et que son peuple subit des atteintes graves et continues à l’exercice de ses droits civils et politiques et de manière générale, aux droits humains et libertés fondamentales.

La France et l’Union européenne doivent continuer à mettre en œuvre tous les moyens dont elles disposent pour permettre une sortie de crise au Nicaragua.

 


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proposition de loi

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,

Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,

Vu la Convention relative au statut des apatrides de 1954,

Vu la Convention sur la réduction des cas d’apatridie de 1961,

Vu la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984,

Vu le rapport 2018 de l’association nicaraguayenne pour les droits humains,

Vu les rapports annuels 2021 et 2022 de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme,

Vu le rapport annuel 2022 d’Amnesty International,

Vu le rapport du Groupe d’experts des droits de l’homme des Nations Unies sur le Nicaragua publié le 2 mars 2023,

Vu les déclarations du porte‑parole du Haut‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme du 9 mai 2022 et du 2 juin 2023,

Vu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 3 avril 2023, relative à la promotion et protection des droits de l’homme au Nicaragua,

Vu les résolutions du Parlement européen sur la situation au Nicaragua, en particulier celles du 16 décembre 2021, du 9 juin 2022, du 22 septembre 2022 et du 12 juin 2023,

Considérant que le Nicaragua connaît un cadre de répression d’État caractérisé par une impunité systémique pour les violations des droits humains, la détérioration des institutions et de l’État de droit et une atteinte avérée à la séparation des pouvoirs ;

Considérant que le 7 novembre 2021, le régime Ortega‑Murillo a organisé un processus électoral au Nicaragua qui n’était en réalité ni libre, ni démocratique ;

Considérant qu’en amont de ces élections, toute concurrence électorale a été supprimée par le régime Ortega‑Murillo via l’incarcération arbitraire, le harcèlement et l’intimidation des candidats à l’élection présidentielle, ainsi que des opposants réels ou supposés au régime, portant ainsi atteinte à l’intégrité du processus électoral ;

Considérant que plusieurs médias internationaux ont été empêchés d’entrer dans le pays pour couvrir les élections et que seuls les médias officiels ont été accrédités le 7 novembre 2021 ; que le régime Ortega‑Murillo a multiplié les atteintes contre la liberté d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’information ; que les menaces qui pèsent sur les journalistes ont incité nombre d’entre eux à quitter le pays ;

Rappelant que Daniel Ortega, président sortant, s’est déclaré réélu pour un cinquième mandat avec près de 75 % des suffrages exprimés alors même que selon des observations indépendantes le taux d’abstention s’élevait à plus de 80 % ;

Considérant que, selon le rapport d’octobre 2021 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, un État policier a été instauré au Nicaragua par la répression, la corruption, la fraude électorale et une impunité structurelle, autant de moyens mis en œuvre par le gouvernement pour « se maintenir indéfiniment au pouvoir et perpétuer ses privilèges » ;

Considérant que, dans son rapport présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations unies en mars 2023, le GHREN a conclu que le régime Ortega‑Murillo commet des violations des droits humains généralisées, systématiques et politiquement motivées, qui constituent des crimes contre l’humanité perpétrés contre la population civile, et demande à la communauté internationale d’imposer des sanctions aux institutions et personnes impliquées ;

Considérant que, depuis 2018, plus de 3 300 organisations de la société civile nicaraguayenne ont vu leur personnalité juridique annulée par les autorités nicaraguayennes ;

Considérant que le 13 septembre 2022, le régime Ortega‑Murillo a arrêté deux compatriotes franco‑nicaraguayennes, Mesdames Jeannine Horvilleur Cuadra et Ana Carolina Alvarez Horvilleur, les a déclarées coupables de « conspiration pour saper l’intégrité de la Nation et diffusion de fausses nouvelles », les a condamnées à 8 ans de prison, puis les a libérées en février 2023 en même temps que 200 autres prisonniers politiques ;

Considérant qu’en février 2023 le régime Ortega‑Murillo a décidé d’expulser plus de 300 prisonniers politiques arbitrairement arrêtés et que ces personnes ont été déchues de leur nationalité alors même que cette décision est contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme, à la Convention relative au statut des apatrides de 1954 et à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie de 1961, auxquelles est partie le Nicaragua ;

Rappelant que l’Espagne a proposé la citoyenneté à plusieurs centaines de Nicaraguayens rendus apatrides par le régime Ortega‑Murillo ;

Considérant que les 9 et 11 mai 2023, la Cour Suprême du Nicaragua a décidé que 26 avocats et notaires critiques à l’égard du régime, ne pouvaient plus exercer leur profession dans le pays ;

Considérant qu’en mai dernier, quatre prêtres et quatre employés de l’Église catholique ont été arrêtés et détenus et que l’évêque Rolando Alvarez purge une peine de prison de 26 ans pour « atteinte à l’intégrité nationale » ;

Considérant le droit à la justice et à la réparation auxquelles aspirent légitimement les victimes du régime Ortega‑Murillo ;

Rappelant que, conformément à l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et l’Amérique centrale, le Nicaragua doit respecter et consolider les principes de l’État de droit, de la démocratie et des droits humains ;

Considérant la nécessité de la France de défendre ses valeurs universelles, telles que le renforcement de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales ;

1. – Condamne les violations généralisées des droits humains perpétrées par le régime Ortega‑Murillo contre sa population ;

2. – Condamne la répression systématique, l’absence de garanties procédurales et les détentions arbitraires de membres de l’opposition, d’étudiants, d’organisations de la société civile, de personnes LGBTI, de journalistes, de représentants religieux et de défenseurs des droits humains au Nicaragua ;

3. – Condamne l’instrumentalisation du droit pénal et du système judiciaire comme outils de persécution des opposants réels ou supposés et de criminalisation de l’exercice des droits civils et politiques ;

4. – Condamne la décision du régime Ortega‑Murillo de retirer arbitrairement la nationalité nicaraguayenne aux prisonniers et opposants politiques ;

5. – Affirme son soutien et sa solidarité à la population nicaraguayenne ;

6. – Souligne le rôle essentiel joué par la société civile, les défenseurs des droits humains, les journalistes et les représentants religieux au Nicaragua ;

7. – Appelle au respect des droits humains au Nicaragua de manière à garantir au peuple nicaraguayen le bon exercice de ses droits civils et politiques ; au rétablissement de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs et de l’impartialité du pouvoir judiciaire ;

8. – Appelle à la remise en liberté immédiate et inconditionnelle de toute personne détenue arbitrairement au Nicaragua, au respect de l’intégrité physique et mentale des défenseurs des droits humains et des journalistes restés au Nicaragua ; 

9. – Insiste sur la nécessité de mettre en œuvre les recommandations formulées par le GHREN dans son rapport, ainsi que celles émises par le Haut‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme ;

10. – Déplore l’isolement croissant du Nicaragua sur la scène internationale ;

11. – Souhaite que la France, l’Union européenne et la communauté internationale dans son ensemble accroissent les pressions politiques sur le régime Ortega‑Murillo afin de mettre fin à l’impunité des responsables d’atteintes graves aux droits humains au Nicaragua ;

12. – Encourage le Gouvernement à poursuivre ses actions pour défendre, au plan international, le droit à l’information, la liberté d’expression et la liberté de la presse, qu’il s’agisse de journalistes ou de défenseurs des droits humains ;

13. – Appelle le Gouvernement à poursuivre la défense des valeurs démocratiques et libertés fondamentales conformément au droit international ;

14. – Invite le Gouvernement, aux côtés de l’Union européenne, à favoriser toute initiative de nature à permettre une sortie de la crise actuelle et la restauration d’un État de droit au Nicaragua.