N° 2388

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative au plan Marseille en grand,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Sébastien DELOGU, M. Manuel BOMPARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Louis BOYARD, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Hendrik DAVI, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, M. Emmanuel FERNANDES, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, M. Maxime LAISNEY, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Élisa MARTIN, M. Jean-Philippe NILOR, M. Thomas PORTES, M. Sébastien ROME, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Paul VANNIER,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé depuis l’esplanade du Palais du Pharo à Marseille ([1]), le lancement du plan Marseille en grand, qu’il a présenté comme une réponse aux multiples urgences que rencontre la ville de Marseille.

Durant ce discours, le Président de la République a annoncé le lancement de nombreux projets et la reprise d’anciens. Il a également précisé les modalités de leurs financements, constitués de subventions et de prêts garantis par l’État, pour un total d’environ 5 milliards d’euros.

Les projets inclus dans Marseille en Grand qui ont été annoncés le2 septembre 2021, se concentrent sur sept champs d’actions. Ceux‑ci sont énoncés de la façon suivante sur la page web de l’Élysée ([2]) : « la lutte contre les trafics », « le social », « le sanitaire », « l’éducation », « l’emploi », « la culture » et « les mobilités ».

Pour lutter contre les trafics, le Président de la République a annoncé l’arrivée de 200 nouveaux policiers et la pérennisation de deux compagnies républicaines de sécurité. Il a également indiqué que trois nouveaux groupes d’enquêteurs de la police judiciaire seraient déployés à Marseille, ainsi que le financement à hauteur d’un million d’euros de 500 caméras. Enfin, il a promis que l’État investirait 150 millions d’euros pour construire un nouvel hôtel de police ainsi que 8,5 millions d’euros pour renouveler 220 véhicules, acquérir des caméras piétons et du matériel d’investigation.

Sur le volet social, le plan Marseille en grand se fixe pour objectif la réhabilitation de 10 000 logements en quinze ans et la rénovation d’une partie du centre‑ville de Marseille.

Pour répondre à l’urgence sanitaire qui touche la ville de Marseille, le Président de la République a annoncé le soutien de l’État à un plan d’investissement pour l’hôpital de la Timone et pour l’hôpital Nord. Celui‑ci contient notamment l’annonce de la reprise de la dette de l’AP‑HM ainsi qu’un investissement de 169 millions d’euros pour financer un projet de réhabilitation. Enfin, un investissement de 50 millions d’euros a été annoncé pour compléter le financement du pôle mère‑enfant.

Dans le domaine de l’éducation, le Président de la République a promis que 174 écoles « dans un état de délabrement tel que l’apprentissage y est devenu impossible », allaient être rénovées par le biais d’une structure dédiée. Il a également annoncé la création de dix micro‑collèges et de dix micro‑lycées ainsi que le lancement d’un projet « d’écoles du futur ». Enfin, il a promis que 100 jeunes seraient inscrits dans une formation militaire.

Dans le domaine de l’emploi, le plan Marseille en grand propose essentiellement la création du « capital jeune créateur ».

Sur le plan culturel, le Président de la République a annoncé la construction de grands studios de la méditerranée ainsi que celle d’une école « CinéFabrique ». Il a également dévoilé le projet « Odysseo » et le projet d’implanter une antenne de la « Cinémathèque française » à Marseille.

Sur le plan de la mobilité, le plan Marseille en grand prévoit un investissement d’un milliard d’euros dans le secteur des transports et de nombreux projets qui seront pilotés grâce à la création d’un groupement d’intérêt public dédié. Parmi ceux‑ci, on retrouve notamment le projet d’automatisation des deux lignes de métros marseillaises, la création de cinq lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) ainsi que celle de quatre lignes de tramway. De plus, le Président de la République a fait part de sa volonté de lancer le projet de transformation de la gare Saint-Charles en gare souterraine traversante, ainsi que celle d’accélérer le « RER à la marseillaise ». Enfin, il a annoncé la création d’un port fluvial et l’extension de l’aéroport et de sa desserte, ainsi que le branchement à quai des navires dans le grand port maritime de Marseille (GPMM).

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Alors que deux ans et demi se sont écoulés depuis le discours inaugural du Président de la République sur l’esplanade du Palais du Pharo, Marseille en grand, modestement qualifié par la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville ([3]) de « plus grand plan de sauvetage […] d’une ville de la Ve République », fait l’objet de très nombreuses incertitudes, tant auprès des marseillaises et des marseillais, que de la Chambre régionale des comptes de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur.

En effet, ce n’est pas la première fois qu’un Président de la République ou qu’un Premier ministre, annonce sans aucune concertation préalable un plan d’ampleur pour Marseille, et dont les résultats se font toujours attendre, sans qu’ils n’aient fait l’objet d’évaluation a posteriori.

On peut notamment relever les annonces de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République en 2008 ou celles de M. Jean‑Marc Ayrault, Premier ministre en 2013, qui ne promettait pas moins de 3 milliards d’euros.

De plus, les doutes des citoyennes et des citoyens sont accentués par le caractère irréaliste de certaines annonces. De nombreux projets sont notamment financés dans des proportions importantes via des prêts garantis par l’État et non des subventions. Ces dernières sont de facto imputables sur les budgets des collectivités locales, qui sont logiquement peu enclines à se laisser dicter leur emploi.

S’ajoute également à ces doutes légitimes l’absence de clarification du partage des compétences entre la municipalité de Marseille et la métropole d’Aix‑Marseille‑Provence pourtant promise par le Président de la République, ainsi que le manque d’évaluation des lacunes des plans précédents, qui laissent donc présager l’échec du plan Marseille en grand.

Dans un article du journal d’investigation Marsactu ([4]), on apprend que la Chambre régionale des comptes (CRC) de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur a mis en exergue de nombreux éléments factuels qui jettent le discrédit sur la méthode et la mise en œuvre du plan Marseille en grand, allant même jusqu’à questionner sa nature. En effet, la CRC réfute le qualificatif de « plan », lui préférant plutôt celui de « label », plus adapté à une multitude de projets sans cohérence particulière.

Dans son projet de rapport d’évaluation, la CRC met également en évidence que le plan issu de la parole du Président de la République a été élaboré sans concertation ni association préalable des administrations déconcentrées de l’État, des collectivités territoriales et la population. Elle indique dans le même temps ses nombreuses interrogations induites par le manque de gouvernance claire et par les lacunes concernant le suivi et l’évaluation du plan Marseille en grand.

Elle épingle également le fait qu’il n’existe pas de dispositif contractuel précis, ce qui présente un caractère tout à fait inhabituel dans le cadre de l’engagement d’une somme conséquente de cinq milliards d’euros de la part de l’État. Cette singularité soulève de sérieux doutes sur la clarté des objectifs visés par le plan Marseille en grand, qui accentue les doutes concernant la capacité de ceux‑ci à être en adéquation avec les besoins de la ville Marseille.

Enfin, la CRC évoque les risques induits sur la pérennité du plan alors que des parties entières de celui‑ci sont très largement soumises aux aléas budgétaires et que certains crédits sont voués à disparaitre s’ils ne sont pas utilisés dans la temporalité prévue. On peut notamment relever le cas des 650 millions d’euros alloués à la rénovation urbaine, versés à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) dont les crédits, pour des raisons comptables, expirent en 2026, sans forme de prorogation possible. Or à ce jour, seul un cinquième des crédits ont été utilisés, ce qui suscite des sérieux doutes sur la capacité des institutions à les mobiliser dans le délai imparti.

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En somme, il apparait que, deux ans et demi après son lancement, le plan Marseille en grand soulève de nombreuses questions, tant dans sa gouvernance et son suivi que dans la nature de ses objectifs et de ses moyens. Une commission d’enquête parlementaire est donc nécessaire pour évaluer la gouvernance, le suivi, les objectifs et les moyens du plan Marseille en grand afin de rendre compte de la bonne utilisation des 5 milliards d’euros d’argent public qui lui sont théoriquement alloués.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

1° de mettre en lumière les défaillances de gouvernance du plan « Marseille en grand » ;

2° de mettre en lumière les graves manquements en matière de suivi et de devoir d’information envers les citoyennes et les citoyens à propos du plan « Marseille en grand » ;

3° d’évaluer les objectifs suivis par le plan « Marseille en grand » ainsi que la capacité de ceux‑ci à répondre aux besoins urgents et aux besoins systémiques de la ville de Marseille ;

4° de mesurer l’état de la réalisation des projets annoncés dans le plan « Marseille en grand » et d’identifier les éventuels obstacles à surmonter pour leur mise en œuvre ;

5° de mesurer les moyens alloués à la réalisation du plan « Marseille en grand » ainsi que la cohérence de ceux‑ci pour répondre aux besoins urgents et aux besoins systémiques de la ville de Marseille ;

6° d’émettre des recommandations pour rendre clairs, effectifs et transparents la gouvernance, le suivi, les objectifs et les moyens du plan « Marseille en grand » ;

7° d’émettre des recommandations sur les réponses législatives et budgétaires que peuvent apporter les décideurs en la matière.

 

 

 

 


([1]) https://www.vie-publique.fr/discours/281436-emmanuel-macron-02092021-marseille-situation-sociale-sanitaire-securite, visité le 8 mars 2024 à 18h00

([2]) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/02/marseille-en-grand, visité le 8 mars 2024 à 18h00

([3]) https://www.vie-publique.fr/discours/293300-sabrina-agresti-roubache-06032024-sud-radio-politique-de-la-ville, visité le 8 mars 2023 à 18h02

([4]) https://marsactu.fr/la-cour-des-comptes-dezingue-le-plan-marseille-en-grand/, visité le 8 mars 2024 à 18h00