Description : LOGO

N° 2395

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mars 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à étendre les compétences du Parquet européen
aux infractions à lenvironnement,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Naïma MOUTCHOU,

députée.

 

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Il faut un Parquet européen face à la criminalité organisée transfrontalière, précisément parce que le crime lui, est transfrontalier, et dans toutes ses manifestations les plus redoutables. La poursuite des criminels doit être pilotée par un parquet européen ». Le vibrant appel lancé par M. Robert Badinter devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, le 11 février 2014, a trouvé un écho favorable avec la création du parquet européen, entré en fonction le 1er juin 2021.

En instaurant un organe commun de poursuite adapté aux formes les plus graves de criminalités qui traversent les frontières, le Parquet européen permet de remédier aux conséquences du morcellement de l’espace pénal européen. Sa vocation initiale est de lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, dont les montages complexes justifient une coordination des services nationaux impliqués (fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, corruption et blanchiment d’argent notamment).

Dès les travaux préparatoires à sa création, la perspective d’un élargissement de ses compétences à d’autres formes de criminalité portant atteinte à des intérêts communs a été avancée. L’article 86 paragraphe 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit la possibilité d’une telle extension à la lutte contre la criminalité grave à dimension transfrontalière, à condition toutefois que celle-ci soit approuvée à l’unanimité par le Conseil européen, après approbation du Parlement européen et consultation de la Commission. La question de l’élargissement du champ de compétence du Parquet européen se pose particulièrement pour la criminalité environnementale grave.

La criminalité environnementale a été classée par les Nations Unies et l’agence Interpol au quatrième rang des activités criminelles les plus importantes au monde (avec un taux de croissance annuel estimé à deux ou trois fois celui de l’économie mondiale) et serait la première source de financement des groupes armés et terroristes. Les atteintes à l’environnement comme les grandes pollutions sont par nature transnationales. Le préjudice qu’elles peuvent causer à l’économie ainsi qu’aux populations concernées est parfois colossal, sans compter les liens avec le crime organisé qui s’est spécialisé de longue date dans certains secteurs particulièrement lucratifs, tels que les trafics de déchets, où le risque pénal est bien plus faible qu’ailleurs. Ce constat est confirmé par l’agence Europol dans un rapport publié en 2022 sur « la criminalité environnementale à l’âge du changement climatique ».

Dans les affaires transnationales d’atteintes graves à l’environnement, la coopération intergouvernementale ne suffit plus. Car celle-ci restera toujours soumise à des contingences nationales qu’aucun dispositif d’entraide judiciaire ne pourra jamais entièrement surmonter. Il ressort ainsi du rapport d’activité 2022 de l’agence Eurojust que celle-ci n’a ouvert cette année-là que 14 nouveaux dossiers en lien avec des infractions environnementales, soit seulement 0,25 pour cent de son activité opérationnelle totale. Il faut donc dépasser les stratégies nationales pour définir une véritable politique pénale européenne dans la lutte contre la criminalité environnementale grave et transnationale. L’affaire dite du « Dieselgate » en est la preuve ; nous devons renforcer notre réponse pénale.

Le Président de la République a déclaré, le 13 février 2020, à l’occasion de sa visite de la Mer de Glace, que le combat pour l’environnement sera le combat du siècle. Quelques semaines plus tard, en mai 2021, le Parlement européen adoptait une résolution allant dans le sens de l’extension des compétences du Parquet européen aux infractions environnementales, résolution reprise depuis par le groupe « Renew Europe ». C’est un premier pas bienvenu, appuyé ensuite par le discours sur l’état de l’Union du 15 septembre 2022 par Mme Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, qui a rappelé l’importance du « Pacte vert pour l’Europe ».

Le Parquet européen, par sa capacité à coordonner lui‑même les enquêtes et les poursuites dans les dossiers transnationaux, est aujourd’hui l’organe européen le mieux placé pour lutter contre les atteintes les plus graves à l’environnement. La collecte des preuves au sein des vingt-deux États membres qui le composent, de même que la définition des stratégies d’enquête dans les dossiers, se font de manière totalement intégrée. Il serait ainsi le seul à pouvoir définir une véritable politique pénale européenne dans la lutte contre les infractions environnementales les plus graves, étant rappelé que la Cheffe du Parquet européen doit rendre compte chaque année de son action devant le Parlement européen et le Conseil, ainsi que les Parlements nationaux lorsque ceux-ci en font la demande. Enfin, sur un plan plus stratégique, la position du Parquet européen apparaît d’autant plus centrale aujourd’hui, que la Pologne s’apprête à le rejoindre, étendant ainsi son empreinte territoriale et politique à un total de vingt-trois États membres.

L’autre raison tient aux liens établis de longue date entre le crime organisé et la grande délinquance financière contre laquelle le Parquet européen lutte chaque jour avec un succès grandissant. Au 31 décembre 2023, celui-ci conduisait 1927 enquêtes pour un préjudice estimé au budget européen de presque vingt milliards d’euros. Le Parquet européen est avant tout un parquet financier qui peut aussi bien poursuivre les fraudes au Plan de relance ou au Pacte vert européen, que les réseaux de blanchiment en aval de ces détournements. Face à une criminalité environnementale transnationale qui use des méthodes de la grande délinquance financière, il paraît dès lors, non seulement nécessaire, mais urgent de créer un Parquet vert européen.

Dans le double contexte d’urgence environnementale et de lutte contre le changement climatique, la création d’un « Parquet vert européen » permettrait d’afficher plus clairement encore la volonté des Européens de faire de la protection de l’environnement une de leurs grandes priorités d’action pour les prochaines décennies. Une fenêtre s’ouvre avec l’adoption prochaine de la nouvelle Directive européenne relative à la protection de l’environnement par le droit pénal qui permettra d’harmoniser plus largement les incriminations et les peines en matière de criminalité environnementale. Celle-ci vise notamment des infractions identifiées comme entrant dans le champ de la criminalité la plus grave dans ce domaine, telles que les trafics de déchets, les trafics de substances dangereuses, réglementées ou interdites, ainsi que les trafics de faune et de flore protégées. Les circonstances aggravantes de commission de l’infraction dans le cadre d’une organisation criminelle, de même que l’existence d’avantages financiers importants, sont d’ailleurs expressément visées dans le texte. Cette nouvelle Directive pourrait donc servir de base à la compétence d’un futur Parquet vert européen agissant dans un cadre légal entièrement harmonisé.

L’Europe et l’écologie sont au cœur de nos préoccupations. En écho aux aspirations des jeunes générations pleinement engagées dans la cause environnementale, nous devons voir plus loin et œuvrer pour donner une nouvelle dimension à la justice pénale européenne. Cette démarche est aussi un message d’espoir.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’étendre les compétences du Parquet européen à la criminalité environnementale.


proposition de résolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée en matière d’établissement du Parquet européen,

Vu la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal,

Vu la version définitive de la nouvelle directive européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal qui devrait être adoptée dans les prochaines semaines ; 

Vu le règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 relatif aux transferts de déchets,

Considérant l’ampleur et la progression de la criminalité environnementale ;

Considérant la dimension souvent transfrontalière de cette forme de criminalité ;

Considérant la gravité des dommages causés par ces atteintes à l’environnement sur les écosystèmes et la santé humaine ;

Considérant le caractère potentiellement irréversible de ces atteintes ;

Rappelant le rôle essentiel du Parquet européen dans la lutte contre les infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne,

Rappelant les possibilités d’élargissement des compétences du Parquet européen prévues dès sa conception,

Soulignant la nécessité d’une approche coordonnée pour faire face aux activités criminelles transfrontalières liées à l’environnement,

Soulignant la nécessité d’améliorer la mise en œuvre et l’application de la législation environnementale de l’Union,

Soulignant la nécessité d’augmenter le budget et les effectifs du Parquet européen pour lui permettre d’être un régulateur crédible dans tous ses domaines de compétence,

Invite à lutter plus activement et collectivement contre les formes graves de criminalité environnementale revêtant une dimension transfrontière ;

Appelle les États membres à reconnaître la criminalité environnementale comme une menace réelle et sérieuse nécessitant une réponse judiciaire efficace et coordonnée au niveau européen ;

Appelle à renforcer la coopération entre les États membres en matière de collecte et d’échange d’informations sur les affaires de criminalité environnementale, afin de faciliter une réponse judiciaire rapide et efficace ;

Souhaite la création d’un Parquet vert européen, moyennant l’extension des compétences du Parquet européen conformément à l’article 86, paragraphe 4, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Propose de spécialiser celui-ci dans la lutte contre la criminalité environnementale grave et transnationale, y compris dans sa dimension économique et financière, notamment en ce qui concerne les trafics de déchets, les trafics de substances dangereuses, réglementées ou interdites, ainsi que les trafics de faune et de flore protégées ;      

Insiste sur la nécessité de communiquer plus activement sur les missions du Parquet européen pour que celles‑ci trouvent un écho chez les citoyens des pays membres de l’Union.