N° 2531

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale en grande cause nationale pour 2025,

 

présentée par

M. Benoit MOURNET, Mme Huguette TIEGNA, Mme Sandrine JOSSO, M. Éric POULLIAT, Mme Caroline ABADIE, M. Anthony BROSSE, Mme Anne BRUGNERA, Mme Christine DECODTS, Mme Julie DELPECH, Mme Ingrid DORDAIN, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, Mme Sophie ERRANTE, M. Philippe FAIT, M. Philippe FREI, Mme Claire GUICHARD, Mme Monique IBORRA, Mme Caroline JANVIER, Mme Michèle PEYRON, Mme Béatrice PIRON, M. Jean-François ROUSSET, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

 

Mesdames, Messieurs,

« La santé mentale est un droit humain fondamental pour toutes et tous. Toute personne, quelle qu'elle soit et où qu'elle se trouve, a droit au meilleur état de santé mentale possible. »

Organisation Mondiale de la Santé

 

« La santé mentale de notre jeunesse est une grande cause de l’action gouvernementale » a annoncé le 30 janvier 2024 le Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale. « Je l’ai dit, je veux en faire la grande cause de l’action de mon Gouvernement. Je décrète l’état d’urgence sur la santé mentale en France » a confirmé le Premier ministre le 6 avril 2024.

12,5 millions de français sont atteints de maladies mentales, 1 jeune adulte sur 2 présente des signes de dépression. 6 000 personnes meurent par suicide chaque année ce qui représente la première cause de décès des 15-29 ans.

Les pathologies psychiatriques sont la première affection longue durée devant les cancers et le premier poste de dépense de l'assurance maladie de 25 milliards d'euros en 2023. Pour la société, le coût global est évalué par l’URC Eco et la fondation FondaMental à 163 milliards d'euros en 2018, dû à la perte de productivité du travail.

Au niveau international, selon l’OCDE, 1 personne sur 3 a été, est ou sera atteinte par une maladie mentale. Il s’agit de la première cause mondiale de handicap acquis selon l’OMS, la première cause d’années de vie perdues et plus de 4% du PIB selon l’OCDE.

Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé (IRDES) a montré qu’une personne atteinte de troubles psychiatriques a deux à quatre fois plus de risques de mourir prématurément qu’une personne du même âge non souffrante, et jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins, liée notamment à l’existence de comorbidités.

La France n’est pas la seule à être confrontée à cette forte prévalence. Elle est cependant en retard dans sa prise de conscience de l’impact sociétal de ces troubles et de l’importance de la santé mentale à titre individuel et collectif.

Selon le rapport de la Cour des comptes de mars 2023 sur la psychiatrie infanto-juvénile, 750 000 à 850 000 mineurs sont soignés sur 1 600 000 en besoin sur le plan de leur santé mentale, soit seulement un sur deux.

Par ailleurs, la spécialité psychiatrique connaît une baisse d’attractivité. Le nombre de médecins en psychiatrie n’a cessé de décroître et est passé de 14 272 à 13 344 entre 2016 et 2023 selon la DREES. L’âge moyen des psychiatres libéraux et salariés était de 52 ans en janvier 2021 et 62 ans pour les pédopsychiatres.

À ce jour, le modèle français de la psychiatrie publique est organisé en secteurs géo-démographiques d’environ 70 000 habitants pour les enfants et adolescents et 200 000 habitants pour les adultes, proposant une offre de soins intra et extrahospitaliers. Le critère d’orientation diagnostique et thérapeutique est fondé sur un critère géographique permettant un maillage territorial fin et une prise en charge de proximité pour des patients alternant des phases chroniques ou aigus.

Cependant l’accès souvent tardif aux soins ne garantit pas une prévention satisfaisante, ni une prise en charge précoce. Le recours aux urgences psychiatriques et à l’hospitalisation pourrait être réduit par une amélioration de la prévention, du premier accueil et d’une meilleure organisation entre hôpital et ville, mais aussi par un renforcement des structures-pivots de secteur à savoir les CMP-centre médico-psychologiques. Le dispositif « MonSoutienPsy » récemment conforté est une avancée importante pour les troubles légers à modérés demandant une prise en charge pour une durée limitée. L’approche spécialisée par pathologie ou classes d’âge à risques conséquents, complémentaire à l’approche psychiatrique généraliste, reste en outre marginale.

Pour celles et ceux qui les vivent comme pour leurs proches, s’ajoutent aux maladies mentales des situations de stigmatisation, d’errance diagnostique, de retard d’accès aux soins, de traitements non adaptés et d’exclusions sociales et professionnelles. Le développement de nouvelles approches basées sur le principe du rétablissement permet des progrès notables et pourrait être systématisé.

Il est temps qu’une politique de santé mentale globale et ambitieuse soit consolidée, orientée notamment vers l’éducation de la population et le rétablissement des personnes concernées. La sensibilisation en amont reste en effet l’un des moyens les plus efficaces pour préserver la santé mentale, favoriser les repérages précoces et changer les représentations.

Nous devons encourager à parler publiquement de santé mentale pour amorcer sa déstigmatisation. Il n’y a pas de politique de santé publique sans politique de santé mentale. Pour que chacun puisse se réaliser, faisons de la santé mentale un bien commun de notre pays.

Ainsi, la proposition de résolution invite le Gouvernement à ériger la santé mentale en grande cause nationale 2025.

 


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PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 341 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé,

Vu l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,

Vu l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu l’article 11 de la Charte sociale européenne révisée de 1996,

Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 30 novembre 2023 sur la santé mentale (15971/23),

Vu la communication de la Commission européenne relative à une approche globale de la santé mentale du 7 juin 2023,

Vu la déclaration de politique générale du Premier ministre du 30 janvier 2023,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que la santé mentale est un droit fondamental selon l’Organisation mondiale de la santé ;

Considérant que 12,5 millions de français présentent un trouble psychique ;

Considérant que la prévalence des troubles mentaux chez les jeunes a doublé en France depuis mars 2020 ;

Considérant que les premiers signes des maladies mentales les plus sévères de l’adulte apparaissent entre 15 et 25 ans, et que la grande majorité des troubles mentaux sur la vie entière sont déterminés dans l’enfance ;

Considérant que la prise en charge précoce doit être améliorée à tous âges ;

Considérant que les campagnes de prévention et de sensibilisation permettront un raccourcissement du temps de diagnostic et une déstigmatisation du sujet autant pour le grand public que pour les patients ;

Considérant qu’il est indispensable d’accélérer le soutien à la prévention, à la sensibilisation, à l’éducation, à la formation et à l’innovation et d’amplifier les moyens qui lui sont attribués ;

Invite le Gouvernement à déclarer la santé mentale « grande cause nationale 2025 ».

Pour ce faire, la politique publique en matière de santé mentale, nécessairement transversale, gagnerait à être structurée autour de quatre axes gradients de la prévention à la prise en charge spécialisée.

I/ Pour renforcer la prévention en santé mentale

1)    Invite le gouvernement à déployer une campagne de sensibilisation nationale sur la santé mentale et certaines actions spécifiques à l’école, au collège, au lycée et dans les établissements d’enseignement supérieur ainsi que dans les maternités, les services de la Protection maternelle et infantile, les lieux de garde et d’accueil de la petite enfance ; les centres communaux et intercommunaux d’action sociale et au sein des entreprises et de France Travail ; au sein des résidences pour seniors ;

2)    Invite à généraliser les formations en « Premiers secours en santé mentale » ;

3)    Invite les praticiens à créer un « guide global des bonnes pratiques » référencé et unique, que chaque professionnel de santé mentale mettrait à disposition de ses patients. Ce guide intégrerait la dimension de réhabilitation psychosociale et les divers étayages, tels que l'éducation thérapeutique, favorisant les processus de rétablissement. Cette initiative s'effectuerait en respectant les référentiels de bonnes pratiques professionnelles édictés par les agences nationales compétentes ;

4)    Invite au lancement d’un vaste plan de formation pour la prévention et la détection des signaux de stress post-traumatique et de souffrance psychique destiné à tous les enseignants, personnels de l'éducation, AESH et professionnels de la jeunesse et des collectivités, éducateurs sportifs, ainsi que les bénévoles ;

5)    Invite au lancement d’un plan « santé mentale au travail » comprenant notamment la création d’une liste élaborée par les praticiens des métiers susceptibles d’être plus à même de souffrir de stress prolongé ou de traumatisme professionnel, ainsi que la création d’une formation dans le cadre du compte personnel de formation (CPF) à la gestion du stress et pour la promotion de la santé mentale au travail ;

6)    Invite à compléter le programme du cours d'empathie annoncé dans le plan de lutte contre le harcèlement avec un cours plus large sur l'écoute, l'empathie et la cohésion afin de développer les compétences psychosociales des élèves.

 

II/ Pour assurer une meilleure accessibilité et efficacité des premiers recours en santé mentale sur tout le territoire

7)    Demande la généralisation des maisons des adolescents sur l’ensemble du territoire dans l’espritdes guichets uniques et la promotion des lieux d’accueil, d’écoute et d’accompagnement dédiés aux jeunes adultes ;

8)    Invite le gouvernement à développer des actions d’« aller vers » les populations à risque éloignées de structures de soins (aide sociale à l’enfance, jeunes agriculteurs par exemple) et par un plan d’accessibilité aux soins pour les jeunes via l'e-santé (plateforme en ligne permettant l’accès rapide à la téléconsultation, notamment d’un psychologue, et à l’élargissement du périmètre du numéro 3114) ;

9)    Demande de favoriser le repérage et la prise en charge de la santé mentale en premiers recours en facilitant le recrutement, au sein des cabinets de médecine générale et des maisons de santé pluriprofessionnelles, d'infirmiers dédiés placés aux côtés des médecins généralistes et travaillant en lien étroit avec des professionnels de la psychiatrie ;

10)              Invite à lancer des concertations avec les acteurs concernés sur la gradation de l’offre de soins en santé mentale afin de mieux coordonner le recours aux structures publiques en lien avec le développement de l’accès au psychologue en libéral (dispositif « MonSoutienPsy ») ;

11)              Demande la création d’un ordre national des psychologues afin d’améliorer l’organisation du dialogue entre la profession et les pouvoirs publics ;

12)              Invite à intégrer des projets de santé mentale au sein des communautés professionnelles territoriales de santé en lien notamment avec les projets territoriaux de santé mentale ;

13)              Invite à favoriser les coordinations entre secteur de psychiatrie et médecine de premier recours.

III/ Pour compléter l’organisation du modèle français de psychiatrie publique

14)              Invite le gouvernement à renforcer les moyens des centres médico-psychologiques, de l’offre sociale et médico-sociale de proximité et des équipes mobiles pluridisciplinaires en milieu ordinaire de vie ;

15)              Invite à expérimenter des formations spécialisées d’infirmier en psychiatrie, avec une attention particulière aux spécificités du recrutement en milieu pénitentiaire ;

16)              Invite à développer dans tous les hôpitaux des services de réhabilitation psychosociale et remédiation cognitive favorisant le processus de rétablissement ;

17)              Invite à renforcer la formation en pair-aidance et à créer des formations pour le nouveau métier de coordonnateur de parcours (« case manager ») ;

18)              Demande l’élaboration d’un plan « 0 sortie sèche » de l’hôpital psychiatrique intégrant les sujets de l’ambulatoire, du logement (appartement thérapeutique ou de transition) et des aidants (psychoéducation) grâce à un Plan de Soins Individualisés (PSI) ;

19)              Invite le gouvernement à développer pour les personnes vivant avec un trouble psychiatrique sévère et persistant une approche, notamment médico-sociale et sociale, prenant en compte les situations de handicap psychique, associant l’évaluation de leurs incapacités, leurs besoins de compensation, un accompagnement global à l’inclusion par le travail, le logement et tous les aspects de la citoyenneté dans une perspective dynamique de rétablissement ;

20)              Invite à prendre en compte les aidants en redéfinissant leur place dans l’accompagnement et le processus d’alliance thérapeutique, en les formant et développant des solutions de répit ;

21)              Invite à renforcer la continuité des parcours de soins en santé mentale en sortie de détention en étendant le déploiement d’équipes mobiles transitionnelles (EMOT) ;

22)              Invite à ouvrir un chantier sur l’attractivité des métiers de la santé mentale et de la psychiatrie.

IV/ Pour une offre de recours spécialisée intégrée et articulée avec l’offre de secteur

23)              Invite le gouvernement à intégrer dans le code de la santé publique le modèle des centres experts, des centres régionaux de psychotraumatisme, des centres de ressources en psychiatrie et santé mentale et des services intersectoriels, en articulation avec le maillage de secteur et tous les professionnels de proximité ;

24)              Invite à structurer dans chaque région a minima un centre expert en santé mentale pour les troubles de l’humeur, les troubles psychotiques, les troubles du neurodéveloppement et les troubles du comportement alimentaire. Le choix de ces pathologies repose sur leur sévérité, les besoins des usagers et la demande des professionnels de la psychiatrie ;

25)              Invite le gouvernement à faciliter la recherche sur les troubles psychiatriques, leur lien avec les troubles addictifs, la diffusion de leurs résultats auprès des professionnels de la santé spécialisés et généralistes.