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N° 2533

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 avril 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à reconnaître l’existence de pratiques illicites dans l’adoption internationale en France et à mettre en place des mesures de réparation à destination des personnes qui en ont été victimes,

 

présentée par

Mme Valérie RABAULT, M. Boris VALLAUD, M. Sylvain MAILLARD, M. Joël AVIRAGNET, M. Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Fanta BERETE, M. Mickaël BOULOUX, Mme Pascale BOYER, M. Philippe BRUN, M. Elie CALIFER, M. Alain DAVID, Mme Christine DECODTS, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, Mme Béatrice DESCAMPS, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FALORNI, M. Olivier FAURE, M. Guillaume GAROT, Mme Anne GENETET, M. Jérôme GUEDJ, M. Johnny HAJJAR, M. Michel HERBILLON, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Fatiha KELOUA HACHI, Mme Virginie LANLO, M. Jean-Charles LARSONNEUR, Mme Constance LE GRIP, M. Vincent LEDOUX, M. Gérard LESEUL, Mme Brigitte LISO, Mme Jacqueline MAQUET, Mme Lysiane MÉTAYER, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, M. Marcellin NADEAU, M. Philippe NAILLET, M. Karl OLIVE, M. Bertrand PANCHER, Mme Francesca PASQUINI, M. Bertrand PETIT, Mme Maud PETIT, M. Stéphane PEU, Mme Michèle PEYRON, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, M. Richard RAMOS, M. Nicolas RAY, Mme Cécile RILHAC, Mme Claudia ROUAUX, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Aurélien TACHÉ, M. David TAUPIAC, Mme Mélanie THOMIN, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Roger VICOT, M. Jiovanny WILLIAM, M. Jean-Marc ZULESI,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un pays s’honore toujours à regarder avec lucidité son Histoire.

La France, comme d’autres pays, doit aujourd’hui regarder avec lucidité les dérives de l’adoption internationale, que de nombreux témoignages ont depuis plusieurs années révélées.

L’adoption internationale s’est développée en France à compter des années 1950, avec une progression particulièrement marquée à partir des années 1970. Selon les statistiques du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 100 191 enfants nés à l’étranger ont été adoptés par des familles françaises depuis 1979. Un pic a été atteint en 2005, avec 4 133 adoptions internationales sur cette seule année, contre 232 seulement en 2022. Toutefois, ces chiffres ne permettent d’apprécier qu’inégalement l’ampleur de ce phénomène, en raison de l’absence de statistiques fiables, en particulier avant 1979.

Longtemps, la pratique de l’adoption internationale a reposé sur le cadre légal mis en place dans chaque État, souvent parcellaire et insuffisamment protecteur. En France, il faudra ainsi attendre le milieu des années 1980 et la loi du 26 juillet 1985 pour que l’obligation d’agrément, initialement réservée aux candidats à l’adoption d’un enfant pupille de l’État, soit étendue à tous les cas d’adoption, y compris aux adoptions internationales.

C’est également à la même période qu’interviennent les premières tentatives de régulation internationale, qui se sont traduites par la signature par la France de plusieurs textes plus protecteurs des droits de l’enfant. Il en est ainsi de la Convention internationale des Droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d’adoption internationale, cette dernière ayant pour objectif « d’établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international ».

Leur application n’a toutefois pas permis d’endiguer les dérives constatées. Car, depuis plusieurs années, de très nombreux témoignages ont jeté une lumière crue sur les pratiques illicites qui ont émaillé les procédures d’adoption internationale dans plusieurs pays. Certains d’entre eux, comme le Sri Lanka, ont reconnu l’existence d’irrégularités, à l’insu des familles adoptives : faux actes de naissance, mères de substitution engagées pour donner le consentement à l’adoption devant le tribunal, existence de « fermes à bébés », enfants enlevés dans des maternités.

Dans une étude publiée en février 2023, MM Yves Denéchère et Fábio Macedo ont documenté l’ampleur des irrégularités constatées : « les signalements de déviances […]et de pratiques illicites ont été depuis les années 1980 très nombreux et très fréquents. Leur récurrence, voire leur répétition, montre que le phénomène est demeuré considérable au moins jusque dans les années 2000. Pour la période postérieure, les archives ne sont pas accessibles, mais d’autres sources prouvent sa persistance, même atténuée. Ces signaux d’alarme émanent de tous les acteurs de l’adoption internationale », allant jusqu’à indiquer que ces « signalements sont tellement nombreux qu’on peut s’interroger sur l’ordinaire des pratiques illicites et leur caractère systémique ([1]) ».

Derrière ces pratiques illicites, ce sont les vies de milliers d’enfants, arrachés à leur famille d’origine, et de familles adoptives, qui ont été bouleversées.

Quelle connaissance avions‑nous de ces pratiques illicites ? Si des soupçons d’irrégularité existaient, pourquoi n’ont‑ils pas conduit à un arrêt préventif des adoptions ? Des responsabilités peuvent‑elles aujourd’hui être établies ?

Face aux nombreuses questions qui se posent, plusieurs pays ont engagé, au cours des dernières années, une démarche de transparence pour tenter d’y répondre.

En 2020, la Suisse a ainsi été le premier pays à reconnaître sa responsabilité dans certaines adoptions illicites survenues au Sri Lanka entre 1973 et 1997, indiquant que les autorités suisses, « informées dès 1981 par des articles de presse et des informations de la représentation Suisse à Colombo, n’ont sembletil pas envisagé de stopper les adoptions en provenance du Sri Lanka, estimant ne pas avoir de preuves suffisantes ([2]) ».

En 2021, les Pays‑Bas ont également reconnu leur responsabilité, pointant que « dans certains cas, le gouvernement néerlandais était au courant d’ abus, mais n’est pas intervenu efficacement ([3]) ».

En 2022, la Belgique a été le premier pays européen à adopter une résolution parlementaire reconnaissant l’existence d’adoptions illicites.

À son tour, la France s’est engagée sur le chemin de la recherche de la vérité. En novembre 2022, le Gouvernement a initié une mission interministérielle visant à identifier les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France, dont les conclusions ont été récemment rendues.

Nous partageons la volonté du Gouvernement de faire toute la lumière sur ces dérives. La France doit se montrer à la hauteur des drames personnels qui se sont noués autour de ces pratiques illicites, afin de permettre aux personnes adoptées de connaître la vérité sur leurs origines. Afin, également, d’apporter des réponses aux familles concernées qui pensaient avoir adopté en toute légalité.

Au‑delà de ce travail engagé par le Gouvernement, il nous semble aujourd’hui important que l’Assemblée nationale puisse à son tour se saisir de cette question.

La présente résolution vise donc à la reconnaissance officielle de ces pratiques illicites par l’Assemblée nationale. À travers cette reconnaissance, nous souhaitons témoigner de la solidarité de l’Assemblée nationale aux personnes concernées et de son soutien dans leur recherche de la vérité.

 


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PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‐1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, notamment son article 21,

Vu la convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale signée par la France en 1995 et entrée en vigueur en 1998,

Considérant que l’État a le devoir d’assurer à chacun l’accès à ses origines personnelles,

Considérant que les enfants, en particulier, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes,

Considérant qu’il est désormais avéré que des pratiques illicites ont émaillé les procédures d’adoption internationale dans de nombreux pays, dont la France,

Considérant que plusieurs pays ont engagé une démarche de transparence sur ces pratiques illicites,

Constatant que le Gouvernement a initié une mission interministérielle visant à identifier les pratiques illicites qui ont eu lieu par le passé et à apporter une réponse aux demandes des adoptés et de la société civile,

Reconnaît officiellement l’existence de pratiques illicites dans l’adoption internationale en France,

Reconnaît que ces pratiques ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes irrégulièrement adoptées, ainsi que pour leurs familles adoptives, et leur affirme son soutien,

Invite le Gouvernement à poursuivre et renforcer ses efforts afin d’apporter une réponse aux demandes des adoptés et de la société civile, et à envisager la mise en place d’une commission indépendante qui permettrait de créer une dynamique de vérité et de réparation centrée sur l’accompagnement des personnes victimes de ces pratiques illicites.

 


([1]) Yves Denéchère, Fábio Macedo. Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption interna- tionale en France. Université d’Angers. 2023. hal-03972497

([2]) https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/gesellschaft/adoption/illegale-adoptionen.html

([3]) https://www.tdg.ch/les-pays-bas-suspendent-ladoption-denfants-a-letranger-155131527835