N° 2615 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative au respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jérémie PATRIER-LEITUS, M. Laurent MARCANGELI, M. Xavier ALBERTINI, M. Henri ALFANDARI, M. Xavier BATUT, Mme Béatrice BELLAMY, M. Thierry BENOIT, M. Bertrand BOUYX, M. Paul CHRISTOPHE, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Félicie GÉRARD, M. François GERNIGON, M. Pierre HENRIET, M. François JOLIVET, M. Loïc KERVRAN, Mme Stéphanie KOCHERT, M. Luc LAMIRAULT, Mme Anne LE HÉNANFF, M. Didier LEMAIRE, Mme Lise MAGNIER, Mme Naïma MOUTCHOU, M. Christophe PLASSARD, M. Jean-François PORTARRIEU, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Philippe PRADAL, Mme Isabelle RAUCH, M. Vincent THIÉBAUT, Mme Juliette VILGRAIN, M. André VILLIERS, M. Alexandre VINCENDET, Mme Anne-Cécile VIOLLAND,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En consacrant la France comme une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 réaffirme l’universalisme et le pluralisme comme valeurs cardinales de notre nation et de notre contrat social.

Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur dans notre pays, comme le rappelle l’article L. 952‑2 du code de l’éducation. Elles s’exercent conformément au principe d’autonomie des universités et au principe constitutionnel d’indépendance des enseignants‑chercheurs, consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 83‑165 DC du 20 janvier 1984.

Or, les universités françaises et plus largement les établissements d’enseignement supérieur font face, depuis plusieurs années, à l’importation, depuis les États‑Unis, d’une « cancel culture » qui désigne la volonté de réduire au silence dans l’espace public tous ceux qui portent des paroles ou un comportement jugés « offensants », c’est‑à‑dire qui heurtent, choquent ou inquiètent. Qu’on l’appelle « wokisme » ou « relativisme », il remet profondément en cause le pluralisme qui a fait la force de notre système d’enseignement supérieur, et contrevient à l’affirmation des valeurs de la République qui a fait le rayonnement de la France des Lumières à l’international.

L’activisme de groupes de pression militants qui détourne l’activité académique de ses objectifs épistémiques ‑ la production et la transmission du savoir ‑ se multiplie dans nos universités, dans les amphithéâtres ou encore dans les colloques. Leur logique est celle de la déconstruction et du séparatisme, au détriment de la rigueur scientifique, de l’esprit critique, de la promotion des valeurs républicaines, de l’universalisme et du respect du pluralisme des opinions. Bien loin de se cantonner à un problème idéologique, elle remet aussi en cause le bon déroulement des enseignements et des activités des établissements.

Scènes de prières en voile intégral dans les enceintes des universités à Lille, Aix‑en‑Provence, Marseille ou Reims ; promotion du port du hijab, avec l’organisation d’un « hijab day » ; appel de la section syndicale Solidaires de l’École des hautes études en sciences sociales à un soutien « indéfectible à la lutte du peuple palestinien dans toutes ses modalités et formes de lutte, y compris la lutte armée » ; actions violentes commises par des étudiants membres du syndicat d’extrême droite Cocarde étudiante ; intimidation de la section locale du syndicat Union Pirate à l’université Bretagne‑Sud ; les exemples ne manquent pas.

En outre, à la suite de l’attaque terroriste barbare du 7 octobre 2023, une forte augmentation des actes antisémites a été constatée dans notre pays et en particulier dans les établissements d’enseignement supérieur. Le Premier ministre, lors du 38e dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France, a ainsi indiqué que « 366 faits antisémites » ont été enregistrés en France au premier trimestre, soit « une hausse de 300 % par rapport aux trois premiers mois de l’année 2023 ». Le poison de l’antisémitisme, qui se déverse dans notre société, doit être éradiqué de notre République, en particulier de nos campus. Nous ne pouvons accepter que des étudiants de confession juive soient stigmatisés, ostracisés, attaqués voir interdits d’accès à un amphithéâtre.

De nombreux intellectuels et personnalités publiques se sont également trouvés dans l’impossibilité de faire des conférences dans l’enceinte de certains établissements d’enseignement supérieur : blocage de l’université de Lille lors de la venue d’un ancien Président de la République, report forcé d’une conférence sur l’islamisme d’une chercheuse à Sorbonne‑Université…

Nous ne pouvons tolérer ces tentatives d’affaiblir notre modèle français d’enseignement supérieur et nous nous devons de défendre une certaine idée de l’enseignement qui doit former des citoyens éclairés, conscients de leur héritage historique et littéraire, capables de penser par eux‑mêmes en soumettant l’information à la raison critique, et ce dans le strict respect des principes républicains.

Il est urgent d’établir, à la lumière de ces faits, l’étendue et les raisons de ces dérives, et notamment les influences idéologiques qui pèsent sur l’écosystème universitaire et qui menacent la tradition philosophique ancienne des universités françaises et européennes : le dialogue, le débat d’idées, la liberté d’expression et le respect d’autrui et du pluralisme.

La création d’une commission d’enquête s’impose donc afin d’établir si ces faits sont constitutifs d’une dérive globale de l’enseignement supérieur français, d’en identifier les fondements, et d’analyser si les établissements et l’État sont dotés de moyens suffisants pour assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme. Il s’agira enfin d’identifier les solutions et les mesures à mettre en œuvre pour remédier aux manquements et dérives constatés, dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique.

Par cette proposition de résolution, et parce que notre modèle d’enseignement supérieur français est un bien commun que nous devons préserver et renforcer, le groupe Horizons et apparentés souhaite faire valoir le débat d’idées, cadre essentiel du vivre ensemble et de la démocratie, sur cet enjeu majeur. Le Parlement doit en effet être le lieu où il est possible de débattre sur le fond tout en respectant chaque opinion, le principe du contradictoire, et les principes constitutionnels et républicains.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée :

1° d’évaluer l’étendue et les fondements de la recrudescence des faits qui remettent en cause les valeurs de la République et le pluralisme dans l’enseignement supérieur ces dernières années ;

2° d’identifier, à la lumière de ces faits, les pressions et influences idéologiques qui pèsent sur l’écosystème universitaire ;

3° d’établir si les établissements d’enseignement supérieur et l’État sont dotés de moyens suffisants pour assurer le respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l’enseignement supérieur ;

4° d’identifier la pertinence des garanties actuelles du pluralisme et de la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur au regard du respect des principes républicains ;

5° d’identifier les solutions pour remédier aux manquements et dérives constatés, dans le respect des principes d’autonomie des universités et de liberté académique.