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No 1024

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mars 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE

 

relative aux transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens

par la Fédération de Russie,

 

 

TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES EUROPÉENNES

 

ANNEXE AU RAPPORT

 

 

Voir le numéro : 1014.


1

 

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
 

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 2 et 3, paragraphes 3 et 5, du Traité sur l’Union européenne,

Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, notamment ses articles 12, 13 et 15,

Vu la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, notamment ses articles 4, 49 et 50,

Vu le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, notamment ses articles 77 et 78,

Vu l’article 3 du Protocole n° 4 du 16 septembre 1963 complétant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention,

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, notamment ses articles 18, alinéa 4, et 24,

Vu la Convention relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 20 novembre 1989, notamment ses articles 7, 8, 9, 21, 22, 25, 28 et 30,

Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, notamment ses articles 5, 6-e, 7-d, 7-i, 8-a-vii, 8-b-i, 8-b-xxi, 15, 25, 53 et 81,

Vu la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, signée le 20 décembre 2006, notamment son article 25,

Vu l’ordonnance de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022 sur les allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie),

Vu la proposition de résolution européenne dénonçant les transferts forcés massifs d’enfants ukrainiens par la Fédération de Russie adoptée par le Sénat le 9 mars 2023,

Vu les résolutions 2433 (2022) et 2436 (2022) et 2482 (2023), notamment ses alinéas 10, 12, 15-7, 17 et 25-5, de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,

Vu la résolution 2022/2564 du Parlement européen du 1er mars 2022 sur l’agression russe contre l’Ukraine,

Vu la résolution 2022/2655 du Parlement européen du 19 mai 2022 sur la lutte contre l’impunité des crimes de guerre en Ukraine,

Vu la loi russe sur le non-respect par la Russie des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme adoptée le 7 juin 2022 par la Douma d’État, l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie,

Vu le rapport de la faculté de santé publique de l’université de Yale, intitulé « Le programme systématique de la Russie tendant à la rééducation et à l’adoption d’enfants ukrainiens », publié le 14 février 2023,

Vu le rapport de l’organisation Human Rights Watch intitulé « “We must provide a family, not rebuild orphanages”, the consequences of Russia’s invasion of Ukraine for children in ukrainian residential institutions », publié le 4 mars 2023,


Vu le rapport de l’organisation Amnesty International intitulé « “Like a prison convoy”, Russia’s unlawful transfer and abuse of civilians in Ukraine during ‘filtration’ », publié le 10 novembre 2022,

Vu le rapport du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne intitulé « Une analyse juridique indépendante des violations de la convention sur le génocide par la Fédération de Russie en Ukraine et de l’obligation de prévenir », publié en mai 2022,

Vu l’article intitulé « De l'unité historique des Russes et des Ukrainiens », publié le 12 juillet 2021 par le Président de la Fédération de Russie,

Vu la loi russe autorisant la Russie à ne pas tenir compte des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme adoptée le 7 juin 2022 par la Douma d’État, l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie,

Vu le décret du Président de la Fédération de Russie du 30 mai 2022 visant à faciliter et à accélérer la procédure d’adoption des enfants ukrainiens et à autoriser leurs changements d’état-civil,

Considérant que, selon de nombreux témoignages et enquêtes conduites tant par le Gouvernement ukrainien que par des associations, dont les organisations non-gouvernementales Amnesty International et Human Rights Watch, les autorités d’occupation russes ont procédé depuis le mois de février 2022 à la déportation vers le territoire russe de plusieurs milliers d’enfants ukrainiens ;

Considérant que le Gouvernement ukrainien a été en mesure, au 20 mars 2023, d’identifier 16 226 enfants mais que leur nombre total est considéré avec certitude comme beaucoup plus élevé par les organisations non-gouvernementales ayant enquêté sur ce sujet ;

Considérant que, selon le rapport de l’université de Yale, certains de ces enfants étaient âgés de moins d’un an au moment de leur déportation ;

Considérant que les autorités d’occupation russes ont déporté ces enfants ukrainiens sans le consentement de leurs parents ou tuteurs légaux, ou en obtenant leur consentement par la contrainte, l’intimidation ou de fausses promesses, ou en déclarant orphelins des enfants qui ne l’étaient pas ;

Considérant que les enfants déportés ont été placés dans des camps, parmi lesquels quarante-trois ont pu être identifiés par le rapport de l’université de Yale, et dont certains sont situés à plus de 6 000 kilomètres de la frontière ukrainienne, rendant pratiquement impossible à leurs familles d’aller les récupérer ou de communiquer avec eux ;

Considérant que les enfants transférés sont, dans de nombreux cas cités par le rapport de l’université de Yale, retenus au-delà de la durée annoncée par les autorités russes, sans que les familles ne connaissent les motifs, ni la durée de ce prolongement, ni ne puissent communiquer avec les enfants transférés ;

Considérant que les enfants transférés sont, selon le rapport de l’université de Yale ainsi que de nombreux témoignages, soumis à des programmes d’entraînement paramilitaire ainsi qu’à des programmes de rééducation et de propagande visant à l’effacement de leur héritage national ;

Considérant que le Président de la Fédération de Russie a signé le 30 mai 2022 un décret visant à faciliter et accélérer la procédure d’adoption des enfants ukrainiens et à autoriser leur changement d’état-civil ;

Considérant qu’en application de ce décret, les autorités russes ont fait adopter, au minimum, plusieurs centaines d’enfants ukrainiens par des familles russes dans l’intention explicite d’effacer leur identité d’origine, nationale comme familiale ;


Considérant qu’en pratiquant des transferts forcés de population, les autorités d’occupation russe violent l’obligation de protection des populations civiles qui incombe à la puissance occupante en application de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, et contreviennent en particulier à son article 49 ;

Considérant que le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe », dès lors qu’il est « commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », constitue un génocide aux termes de l’article 2 de la Convention des Nations unies du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, ainsi qu’à ceux de l’article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ;

Considérant que la déportation ou le transfert forcé de population, lorsqu’ils sont commis « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque » constituent aux termes de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale un crime contre l’humanité ;

Considérant que les déportations d’enfants ukrainiens obéissent à une politique élaborée au plus haut niveau de l’État russe et exécutée à tous les niveaux de l’administration ;

1. Condamne avec la plus grande vigueur les transferts forcés d’enfants ukrainiens perpétrés par la Fédération de Russie au plus haut niveau de l’État ;

2. Estime qu’en procédant au changement des données d’état-civil des enfants déportés, les autorités russes cherchent à empêcher à tout jamais leurs familles ukrainiennes d’origine de les retrouver ;

3. Considère que cette négation de la mémoire personnelle des enfants transférés, jointe à leur éloignement géographique, leur endoctrinement et leur assimilation forcée au sein de la société russe, relève d’une stratégie délibérée de destruction de l’identité nationale et de la société ukrainiennes ;

4. Estime urgent que le Gouvernement français et l’Union européenne fournissent toute l’aide matérielle et humaine nécessaire au Gouvernement et à la société civile d’Ukraine en vue de recenser les enfants déportés ou disparus et de les rapprocher de leurs familles ou de leurs tuteurs légaux ;

5. Demande au Gouvernement français et à la Commission européenne de mettre à la disposition des institutions et des organisations non-gouvernementales ukrainiennes et européennes les moyens nécessaires à un accompagnement médical, psychologique et social adapté, dans la durée, des enfants victimes ainsi que de leurs familles, pendant et après leur rapatriement ;

6. Appelle également la France et l’Union européenne à agir afin que les organisations internationales compétentes, en particulier le Fonds des Nations unies pour l'enfance et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés mettent en œuvre les moyens humains et matériels requis pour venir en aide aux enfants concernés en vue de leur rapatriement et une fois celui-ci effectué ;

7. Considère cependant qu’au-delà des mesures visant à aider les victimes des agissements russes, ces derniers doivent faire l’objet de suites judiciaires afin que de telles pratiques ne soient pas répétées lors de conflits futurs ;

8. Demande en conséquence au Gouvernement français et à l’Union européenne de fournir l’aide matérielle et humaine requise au Gouvernement ukrainien comme aux autorités judiciaires internationales afin que les responsables de ces agissements soient identifiés, traduits en justice et répondent de leurs actes ;

9. Invite le Gouvernement français à prendre une part active à l’initiative conjointe de la présidente de la Commission européenne et du Premier ministre de Pologne annoncée le 27 février 2023 par la porte-parole de la Commission européenne et visant à ce que les enfants enlevés soient retrouvés et les responsables de ces crimes traduits en justice ;


10. Demande à l’Union européenne l’extension de la liste des personnes et entités faisant l’objet de sanctions à l’ensemble des acteurs ayant contribué aux déportations d’enfants depuis le territoire ukrainien vers celui de la Fédération de Russie ;

11. Se félicite de l’émission par la Cour pénale internationale, le 17 mars 2023, d’un mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, et de Maria Lvova-Belova, Commissaire aux droits de l'enfant auprès du président de la Fédération de Russie ;

12. Invite les autorités compétentes à saisir le procureur de la Cour pénale internationale afin qu’il étende cette procédure à l’ensemble des responsables ayant pris une part active aux déportations d’enfants ukrainiens.