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N° 286 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement et les modalités d’action des mouvements conservateurs anti-choix et agissant dans le champ de la parentalité et de la famille,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Sarah LEGRAIN, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Sandrine JOSSO, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Karine LEBON, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, M. Erwan BALANANT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Mickaël BOULOUX, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Zahia HAMDANE, Mme Céline HERVIEU, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, Mme Marie POCHON, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Boris TAVERNIER, M. Stéphane HABLOT, Mme Julie LAERNOES,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a permis de réaffirmer le caractère fondamental de ce droit et de le protéger, alors qu’il est en régression dans plusieurs pays comme aux États‑Unis, en Italie ou en Pologne. Au‑delà du droit à l’IVG, cette avancée permet de réaffirmer le droit à disposer de son corps, et plus généralement le droit à la liberté de choix en matière de couple, de famille et de parentalité. Or l’on assiste bien en France à une offensive visant à remettre en question ces conquêtes féministes majeures.

Depuis l’IVG jusqu’au divorce, en passant par l’éducation à la sexualité : une remise en cause des droits au nom d’une vision réactionnaire de la famille

En France comme partout en Europe, on observe depuis plusieurs années des velléités de revenir sur le droit à disposer de son corps, à la faveur de la montée de l’extrême droite, à travers des campagnes de désinformation, des manifestations anti‑IVG ou des actions choc de mouvements conservateurs. Malgré la loi constitutionnelle du 8 mars 2024, les mouvements anti‑choix continuent d’agir pour limiter les droits des femmes, des minorités de genre et des familles, notamment le droit à disposer de son corps, contrôler sa sexualité et à la séparation conjugale.

Selon le Planning familial, « les associations et fondations qui appartiennent à cette mouvance ont leurs spécificités, mais se retrouvent au sein de la Marche pour la vie et la Manif pour tous (devenue aujourd’hui le syndicat de la famille), par exemple. Ces mouvements sont bien organisés et financés, même s’ils ne le revendiquent pas. Ils ont su se renouveler, avec de jeunes militant·e·s formé·e·s au plaidoyer, aux techniques de communication et à la prise de responsabilité politique. Ils agissent au niveau institutionnel, politique, mais aussi dans les associations de terrain et veulent gagner l’opinion publique à leur projet de société. Réunis au sein d’un mouvement européen qui a un agenda bien précis, ils défendent la famille et l’occident chrétien, avec des priorités différentes d’un pays à l’autre : combattre l’avortement, la contraception, la PMA, le divorce, l’éducation à la sexualité, les droits des personnes LGBTQI+, et plus précisément des personnes trans, et l’euthanasie. » ([1]) Parmi ces mouvements anti‑choix agissant en France et en Europe se trouvent des associations et ONG (Parents vigilants, Institut européen de bioéthique, Civitas, SOS détresse, le Syndicat de la famille, Mum, Dad & Kids, etc.) et des fondations privées qui collectent et distribuent des fonds (Jérôme Lejeune, Fondation de la Famille Européenne).

Selon un rapport du Cese ([2]), pour définir leur corpus et programme idéologique, ces mouvements s’appuient sur une définition de la « dignité humaine » qui se décline selon trois aspects :

– Une défense de la vie définie « de la conception jusqu’à la mort naturelle », qui fonde l’opposition à plusieurs formes de contraceptions, à la contraception d’urgence, à l’avortement et au droit à mourir dans la dignité ;

– La défense de la « famille », dans une définition restreinte à son acception patriarcale et « traditionnelle » (un père, une mère et les enfants) ;

– La « liberté religieuse », définie sous l’angle de la possibilité de déroger à certaines législations pour des motifs de conviction religieuse

Les mouvements anti‑choix bénéficient donc d’objectifs et d’un agenda politique précis, sont structurés et se réunissent régulièrement pour mieux ajuster leur stratégie et travailler leur argumentaire, lors de grands événements internationaux, et à travers l’organisation pan‑européenne Agenda Europe.

Des réseaux de financements importants pour soutenir ces fonds antichoix

De plus, ils bénéficient d’importants soutiens financiers pour développer leurs activités, comme le démontre Le Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF) ([3]). En étudiant sur une période de dix ans les données financières de plus de 50 acteurs anti‑genre opérant en Europe, EPF brosse un tableau alarmant sur les acteurs du financement anti‑genre, les canaux utilisés pour générer et faire circuler ces fonds, et la hausse constante de ces fonds. EPF identifient quatre mécanismes de mobilisation des ressources : les collectes de fonds citoyennes ; le soutien par des élites socio‑économiques ; le financement public ; et les acteurs religieux. Sur la période 2009‑2018 ce sont ainsi 707,2 millions de dollars de financements, provenant d’un groupe restreint de 54 organisations (à savoir des ONG, des fondations, des organisations religieuses et des partis politiques) et de trois origines géographiques principales : les États‑Unis, la fédération de Russie et l’Europe (hors Russie). Parmi ces financements, 437,7 millions de dollars proviennent d’Europe, notamment grâce à l’action des fondations privées (dont la fondation Jérôme Lejeune), bailleurs de fonds, mais aussi aux dons défiscalisés. En France, pour illustrer ces importants flux financiers, la vague homophobe déclenchée par La Manif pour tous (LMPT) a fourni des opportunités de collecte de fonds dans toute l’Europe. En 2013, en seulement un an d’existence, LMPT a déclaré un revenu de 5,6 millions de dollars, grâce aux financements de la Fondation Lejeune, d’Alliance Vita, d’autres ONG catholiques, ainsi que de riches particuliers tels que d’anciens dirigeants du groupe d’assurance AXA, ou encore un oligarque russe proche du pouvoir.

Des champs et répertoires d’actions en constant élargissement

Agissant à la fois au niveau institutionnel, politique, médiatique, dans les écoles et sur le terrain, leurs modes d’action sont pluriels et prennent des formes multiples : vandalisme, campagne de désinformation sur les réseaux sociaux, édition de manuels scolaires, réalisation de documentaires, lobbying politique et entrisme, utilisation des instruments de démocratie participative (pétition, consultations publiques, sondages), etc. L’association Alliance VITA, fondée par l’ancienne présidente du parti démocrate chrétien en 1993, illustre bien ce répertoire d’action pluriel déployé au fil des années : service d’écoute en ligne SOS bébé, interventions en milieu scolaire, campagne d’affichage à Paris, tractage, organisation de ses « universités de la vie », etc. En septembre 2016, un « manuel scolaire », outil de propagande anti‑IVG de la Fondation Lejeune a été diffusé dans un établissement privé catholique de l’académie de Montpellier : « Près de 9 millions d’avortements ont été pratiqués [en France] depuis 1975. Ce sont 9 millions d’enfants uniques, irremplaçables », peut‑on notamment y lire. En mai et juin 2023, à Paris et à Lyon, les vélos en libre‑service Vélibs et Vélo’v ont été recouverts d’autocollants contre le droit à l’avortement par le groupuscule anti‑IVG Les survivants.

Sur le plan politique et institutionnel, afin de s’attaquer à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS), le Syndicat de la famille, ainsi que les associations Juristes pour l’enfance et famille et liberté se sont rassemblés en « Union pour une éducation responsable ». Cette union a organisé un colloque au Sénat en février 2024 afin de faire pression sur les décideurs politiques et institutions pour influencer le contenu du nouveau programme d’éducation à la sexualité. Enfin, le collectif Parents vigilants tente lui aussi d’imposer les obsessions de l’extrême droite au sein des établissements scolaires et de s’attaquer à l’EVRAS à travers différents leviers : mobilisation en ligne, organisation d’un colloque au Sénat, menaces et harcèlement à l’encontre d’enseignant·es, participation aux élections de parents d’élèves, mobilisations pour empêcher l’intervention de certaines associations féministes dans les établissements scolaires, lobbying pour couper leurs subventions, etc.

Le Planning familial identifie également quatre type d’attaques différentes perpétuées par ces mouvements à l’encontre des femmes, minorités de genre et associations, entravant leur travail : attaques de locaux (tags sur les vitrines ou murs, collages d’affiches), attaques sur les réseaux sociaux et cyberharcèlement, attaques contre des personnes (harcèlement, donc harcèlement judiciaire, menaces physiques, de viol et de mort) et attaques dans l’espace public (happening, tags, collages, stickers).

Ces mouvements agissent également dans le champ de la parentalité, des actions moins médiatisées mais qui se répandent à l’encontre des familles homoparentales et monoparentales. La Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) révèle que « ces mouvements développent un plaidoyer en faveur de la famille, visant à lutter contre la séparation des couples à travers des discours culpabilisants et des campagnes de désinformation sur les conséquences de la séparation pour les enfants. » ([4]) Ces mouvements encouragent alors la médiation parentale ou encore les thérapies de couple, et bénéficient même de soutiens politiques. C’est le cas par exemple à Viroflay, dans les Yvelines, où la municipalité offre depuis 2017 à ses habitants des « thérapies de couple ». Observant la surreprésentation des mères isolées parmi les demandes de logements sociaux, la municipalité a choisi de développer une politique de prévention des séparations conjugales afin de diminuer la demande de logements sociaux sur la commune. Dans le champ de la parentalité, ces associations, à l’instar de SOS Papa, répandent le concept fallacieux d’« aliénation parentale », dénué de fondement scientifique, pour décrédibiliser la parole des enfants, accabler les mères qui protègent leur(s) enfant(s) et les accuser de manipuler leur(s) enfant(s) pour nuire aux pères. Ces actions participent à mettre en danger les mères et les enfants, en invisibilisant le contexte de séparation, notamment de violences conjugales et intrafamiliales. Elles favorisent la prolongation des violences après la séparation par l’intermédiaire des enfants, reconnus co‑victimes dans le droit, et renforcent ainsi le contrôle coercitif des hommes violents sur leur ex‑conjointe et enfant(s).

De Cnews au Crayon : d’importants relais politicomédiatiques

Enfin, si leurs sources de financements et modalités d’action sont diverses, elles poursuivent toutes le même objectif : gagner la bataille idéologique et accroître leur influence par tous les moyens. Les mouvements anti‑choix cherchent particulièrement à accroître leur visibilité et influence sur internet grâce aux outils numériques et réseaux sociaux, maîtrisant les nouveaux modes de mobilisations et soignant leur communication. Selon un rapport de la Fondation des femmes et de l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) ([5]), « bien que de nombreux exemples de mobilisation contre l’avortement hors ligne aient été observés au cours des derniers mois, les activités en ligne des réseaux antiavortement demeurent peu explorées et une vue d’ensemble des dynamiques de diffusion, d’amplification et de monétisation de discours antiavortement et de désinformation relative à l’avortement est encore lacunaire ». Les plateformes de réseaux sociaux (Facebook, Instagram, YouTube et X, anciennement Twitter), leurs algorithmes de recommandation, publicités et d’autres fonctionnalités favorisent pourtant la circulation de ce type de contenu. Selon ce rapport, Meta aurait ainsi généré environ 43 750 euros grâce à 199 publicités anti‑avortement sur Facebook entre mai 2022 et juin 2023. Au total, ces publicités ont enregistré 9,4 millions d’impressions.

Mais leurs discours sont aujourd’hui également repris et diffusés dans les médias traditionnels (Valeurs Actuelles, C8, Cnews, Boulevard Voltaire etc.). En août 2021, le film américain anti‑avortement « Unplanned » est diffusé en direct sur la chaîne C8. En février 2024, la chaîne Cnews diffuse une infographie affirmant que L’IVG est la « première cause de mortalité dans le monde », assimilant l’avortement à un meurtre, lors d’une émission titrée « L’avortement : une blessure de l’âme ? » Une émission où l’on apprend qu’avorter est « contraire à la mission de la femme » et que le principe « tu ne tueras point » doit s’appliquer à la lettre à toutes les femmes.

Ainsi, les élites économiques utilisent leur empire médiatique pour diffuser cette propagande idéologique. Ceci est loin d’être étonnant, quand ces milliardaires, multi-propriétaires de médias, sont parfois directement impliqués dans le financement des mouvements anti-choix, à travers le mécénat et la philanthropie. Par exemple, à travers son fonds de dotation le Fonds du Bien Commun et sa soirée de levée de dons la Nuit du Bien Commun, diffusée sur la chaîne C8, leur propriétaire étend son réseau au sein de la philanthropie conservatrice et catholique. Le Fonds du Bien Commun finance par exemple les maisons Familya pour « prévenir les ruptures conjugales » ou SOS Calvaires « pour sauvegarder les calvaires de France », ainsi que d’autres organisations dédiées à « l’éducation intégrale », ou encore à « la croissance humaine et spirituelle » ([6]).

Dans ce contexte d’offensive réactionnaire dans les sphères politique, institutionnelle et médiatique, comme législateurs, nous devons faire la lumière sur ces organisations afin d’émettre des propositions pour protéger les droits des femmes et des familles et garantir le respect de notre Constitution. C’est pourquoi, nous reprenons dans cette proposition de résolution la proposition de la FNCIDFF, plaidant pour la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des mouvements conservateurs et anti‑choix agissant dans le champ de la parentalité et de la famille.

 

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête, de trente membres, chargée de faire toute la lumière sur la structuration, le financement et les modalités d’action des mouvements conservateurs anti-choix et agissant dans le champ de la parentalité et de la famille.

 

 


([1])  Planning Familial, Antichoix : petit vademecum à l’usage des AD, novembre 2023.

([2])  Étude de Conseil économique, social et environnemental présentée par Véronique Séhier, Droits sexuels et reproductifs en Europe : entre menaces et progrès, novembre 2019

([3])  La partie émergée de l’iceberg : Des financements issus de l’extrémisme religieux visent à faire reculer les droits humains en matière de santé sexuelle et reproductive en Europe 2009 - 2018, rédigé par Neil Datta, secrétaire du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, Bruxelles, Juin 2021

([4])  FNCIDFF, Plan d’action : En finir avec la précarité des mères isolées, avril 2024.

([5])  ISD, Fondation des Femmes, Mobilisation antiavortement en France : quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG, 2024

([6])  Rozenn Le Carboulec, « Conservatisme dur, initiatives anti‑IVG : comment l’argent public finance des fonds anti‑droits », Mediapart.fr, 7 juin 2024