N° 544
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête relative au plan Marseille en grand,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Sébastien DELOGU, M. Manuel BOMPARD,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé, depuis l’esplanade du Palais du Pharo à Marseille ([1]), le lancement du plan Marseille en grand, qu’il a présenté comme une réponse globale aux multiples problématiques urgentes que rencontre la ville de Marseille.
Durant ce discours, le Président de la République a annoncé le lancement de nombreux projets et la reprise d’anciens. Il a également précisé les modalités de leurs financements, constituées de subventions et de prêts garantis par l’État, pour un total annoncé d’environ cinq milliards d’euros.
Les projets inclus dans Marseille en grand qui ont été annoncés le 2 septembre 2021 se concentrent sur sept domaines d’actions. Ceux‑ci sont énoncés de la façon suivante sur la page web de l’Élysée ([2]) : « la lutte contre les trafics », « le social », « le sanitaire », « l’éducation », « l’emploi », « la culture » et « les mobilités ».
Pour lutter contre les trafics, le Président de la République a annoncé l’arrivée de 200 nouveaux policiers et la pérennisation de deux compagnies républicaines de sécurité. Il a également indiqué que trois nouveaux groupes d’enquêteurs de la police judiciaire seraient déployés à Marseille, ainsi que le financement à hauteur d’un million d’euros de 500 caméras. Enfin, il a promis que l’État investirait 150 millions d’euros pour construire un nouvel hôtel de police ainsi que 8,5 millions d’euros pour renouveler 220 véhicules, acquérir des caméras piétons et du matériel d’investigation.
Sur le volet social, le plan Marseille en grand se fixe pour objectif la réhabilitation de 10 000 logements en quinze ans et la rénovation d’une partie du centre‑ville de Marseille.
Pour répondre à l’urgence sanitaire qui touche la ville de Marseille, le Président de la République a annoncé le soutien de l’État à un plan d’investissement pour l’hôpital de la Timone et pour l’hôpital Nord. Celui‑ci comprend notamment l’annonce de la reprise de la dette de l'Assistance publique – hôpitaux de Marseille (AP-HM) ainsi qu’un investissement de 169 millions d’euros pour financer un projet de réhabilitation. Enfin, un investissement de 50 millions d’euros a été annoncé pour compléter le financement du pôle mère‑enfant.
Dans le domaine de l’éducation, le Président de la République a promis que 174 écoles « dans un état de délabrement tel que l’apprentissage y est devenu impossible », seraient rénovées par le biais d’une structure dédiée. Il a également annoncé la création de dix micro‑collèges et de dix micro‑lycées ainsi que le lancement d’un projet « d’écoles du futur ». Enfin, il a promis que 100 jeunes seraient inscrits dans une formation militaire.
Dans le domaine de l’emploi, le plan Marseille en grand propose essentiellement la création du « capital jeune créateur ».
Sur le plan culturel, le Président de la République a annoncé la construction de grands studios de la Méditerranée ainsi que celle d’une école « CinéFabrique ». Il a également dévoilé le projet « Odysseo » et le projet d’implanter une antenne de la « Cinémathèque française » à Marseille.
Sur le plan de la mobilité, le plan Marseille en grand prévoit un investissement d’un milliard d’euros dans le secteur des transports et de nombreux projets qui seront pilotés grâce à la création d’un groupement d’intérêt public dédié. Parmi ceux‑ci, on retrouve notamment le projet d’automatisation des deux lignes de métro marseillaises, la création de cinq lignes de bus à haut niveau de service ainsi que celle de quatre lignes de tramway. De plus, le Président de la République a fait part de sa volonté de lancer le projet de transformation de la gare Saint‑Charles en gare souterraine traversante, ainsi que celle d’accélérer le « RER à la marseillaise ». Enfin, il a annoncé la création d’un port fluvial et l’extension de l’aéroport et de sa desserte, ainsi que le branchement à quai des navires dans le Grand port maritime de Marseille.
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Alors que trois ans se sont écoulés depuis le discours inaugural du Président de la République sur l’esplanade du Palais du Pharo, Marseille en grand, modestement qualifié par l’ancienne secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville ([3]), Mme Agresti‑Roubache, de « plus grand plan de sauvetage […] d’une ville de la Ve République », fait l’objet de très nombreuses incertitudes, tant auprès des Marseillaises et des Marseillais, que de la Chambre régionale des comptes de Provence‑Alpes‑Côte d’Azur.
En effet, ce n’est pas la première fois qu’un Président de la République ou qu’un Premier ministre annonce sans aucune concertation préalable un plan d’ampleur pour Marseille, et dont les résultats se font toujours attendre, sans qu’ils n’aient fait l’objet d’évaluation a posteriori.
On peut notamment relever les annonces du Président de la République Nicolas Sarkozy en 2008 ou celles du Premier ministre Jean‑Marc Ayrault en 2013, qui ne promettait pas moins de trois milliards d’euros.
De plus, les doutes des citoyennes et des citoyens sont accentués par le caractère irréaliste de certaines annonces. De nombreux projets sont notamment financés dans des proportions importantes via des prêts garantis par l’État et non des subventions. Ces dernières sont de facto imputables aux budgets des collectivités locales, qui sont logiquement peu enclines à se laisser dicter leur emploi.
À ces doutes légitimes s’ajoute également l’absence de clarification du partage des compétences entre la municipalité de Marseille et la métropole d’Aix‑Marseille‑Provence pourtant promise par le Président de la République et annoncée comme un prérequis au plan, ainsi que le manque d’évaluation des lacunes des plans précédents, qui laissent donc présager l’échec du plan Marseille en grand.
Le 21 octobre 2024, la chambre régionale des comptes Provence‑Alpes‑Côte‑d’Azur et les six chambres thématiques de la Cour des comptes ont rendu publique une enquête ([4]) sous la forme d’une évaluation en cours de mise en œuvre de Marseille en grand. Celle‑ci met en évidence les nombreuses lacunes du plan et de son organisation qui rendent in fine hypothétique la satisfaction des besoins urgents visés.
Elle met particulièrement en avant les faiblesses du contenu et de l’organisation retenue pour le mettre en œuvre, qui expliquent en partie que fin 2023, seul 1,31 % de la somme totale annoncée par le Président de la République ait été décaissé par l’État.
La chambre régionale des comptes met par ailleurs en évidence les problèmes prévisibles induits par la gestation très rapide du plan, décidé au plus haut niveau de l’État sans associer préalablement les administrations chargées ensuite de sa mise en œuvre, les collectivités locales ou la population concernée.
Sans aucune étude d’ensemble, ni dispositif contractuel, le plan Marseille en grand ne répond donc pas de façon globale aux besoins de la population.
Dans le domaine de l’éducation, par exemple, l’enquête met en évidence l’absence de prise en compte des facteurs multiples de l’échec scolaire, pourtant nécessaire à un plan global de réussite éducative. En effet, aucun dispositif n’a à ce jour été mis en œuvre pour améliorer le climat scolaire, pour renforcer la mixité au sein des établissements ou pour prendre en charge une meilleure santé des élèves.
Dans le champ du logement, la chambre régionale des comptes regrette également le manque de réflexion autour de la ségrégation résidentielle et l’absence de réponse concernant la faiblesse de la production de logements, notamment sociaux.
En ce qui concerne les mobilités, par ailleurs, elle regrette une prise en compte trop parcellaire de la question de la mobilité urbaine et le manque de cohérence dans la sélection des projets préexistants financés par Marseille en grand, qui ne sont pas de nature à répondre à l’objectif de désenclaver les quartiers nord.
Enfin, l’enquête de la chambre régionale des comptes qualifie les moyens de suivi du plan de la part de l’État d’indigents, aucune ressource humaine n’ayant été initialement spécifiquement affectée au plan.
Malgré la nomination de Mme Sabrina Agresti‑Roubache en juillet 2023 à la fonction de secrétaire d’État chargée de la Ville, le dispositif administratif n’a subi aucun changement conséquent de nature à améliorer significativement la mise en œuvre de Marseille en grand.
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En somme, il apparaît que, trois ans après son lancement, le plan Marseille en grand soulève de nombreuses questions, tant dans sa gouvernance et son suivi que dans la nature de ses objectifs et de ses moyens. Une commission d’enquête parlementaire est donc nécessaire pour évaluer la gouvernance, le suivi, les objectifs et les moyens du plan « Marseille en grand » afin de rendre compte de la bonne utilisation des cinq milliards d’euros d’argent public qui lui sont théoriquement alloués.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de 30 membres chargée :
1° d’identifier les défaillances de gouvernance du plan Marseille en grand ;
2° d’identifier les graves manquements en matière de suivi et de devoir d’information envers les citoyennes et les citoyens à propos du plan Marseille en grand ;
3° d’évaluer les objectifs suivis par le plan Marseille en grand ainsi que la capacité de ceux‑ci à répondre aux besoins urgents et aux besoins systémiques de la ville de Marseille ;
4° de mesurer l’état de la réalisation des projets annoncés dans le plan Marseille en grand et d’identifier les éventuels obstacles à surmonter pour leur mise en œuvre ;
5° de mesurer les moyens alloués à la réalisation du plan Marseille en grand ainsi que la cohérence de ceux‑ci pour répondre aux besoins urgents et aux besoins systémiques de la ville de Marseille ;
6° d’émettre des recommandations pour rendre clairs, effectifs et transparents la gouvernance, le suivi, les objectifs et les moyens du plan Marseille en grand ;
7° d’émettre des recommandations sur les réponses législatives et budgétaires que peuvent apporter les décideurs en la matière.
([1]) https://www.vie-publique.fr/discours/281436-emmanuel-macron-02092021-marseille-situation-sociale-sanitaire-securite, visité le 8 mars 2024 à 18h00.
([2]) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/02/marseille-en-grand, visité le 8 mars 2024 à 18h00.
([3]) https://www.vie-publique.fr/discours/293300-sabrina-agresti-roubache-06032024-sud-radio-politique-de-la-ville, visité le 8 mars 2023 à 18h02.
([4]) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/marseille-en-grand, visité le 22 novembre à 12h00.