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N° 545

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’utilisation des fonds publics par l’entreprise Michelin,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Clémence GUETTÉ, M. Manuel BOMPARD, Mme Marianne MAXIMI, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 5 novembre 2024, l’entreprise française Michelin, spécialisée dans la fabrication de pneus, a annoncé la fermeture de deux usines françaises à Cholet (49) et à Vannes (56). C’est respectivement 955 et 299 salariés qui vont perdre leur emploi d’ici à la fermeture définitive des sites en 2026. Michelin avait déjà annoncé la fermeture du site de La Roche‑sur‑Yon (85) en 2019. Il employait près de 619 travailleurs, certains étaient allés travailler dans l’usine de Cholet. Ce sont ainsi près de 1 254 salariés et leurs familles qui vont être touchés directement par un plan massif de licenciement et de restructuration.

L’entreprise Michelin a justifié sa décision en évoquant une chute de la production. Le directeur général, Florent Menegaux, expliquait le jour de l’annonce de la fermeture à Ouest France que « le coût de production à Cholet est cher, sur un marché qui décline rapidement » ([1]). La production de pneus pour camionnettes à Cholet et de câbles métalliques pour pneus à Vannes va être reprise par des sites de l’entreprise en Espagne, en Pologne et en Italie ([2]).

Ces nouvelles fermetures d’usines automobiles et annonces de délocalisation de la production s’inscrivent dans la trajectoire de déclin de la filière automobile française qui représentait près de 400 000 emplois en 2019[3]. Déjà en 2021, 2 865 emplois avaient été supprimés dans la soustraitance automobile[4], dans l’indifférence totale du gouvernement Castex. Le nombre de véhicules assemblés en France est passé de 3 millions dans les années 2000, à 2 millions en 2019 et 1,3 million en 2020 ([5]). De même, près d’un tiers des sites de fonderies françaises ont fermé en 2006 et 2021.

Un soutien public important

Dans ce contexte, il convient de noter que la filière a largement été soutenue financièrement par la puissance publique. Ainsi, l’entreprise Michelin a bénéficié de sommes d’argent très importantes versées par l’État ces dernières années, grâce à différents dispositifs. On peut ainsi citer 42 millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche en 2023, plus de 65 millions d’euros du fait du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) depuis 2013, 12 millions d’euros pour le chômage partiel en 2020, ou encore le plan de soutien automobile de 2020 doté d’un fonds de 200 millions d’euros ([6]), selon l’économiste Maxime Combes ([7]).

Où va l’argent ?

Comment expliquer la combinaison entre de telles sommes d’argent public et la mise sur le carreau de tant de salariés ? Mise en regard avec cette situation, le bilan comptable de l’entreprise interroge. En effet, Michelin totalise 3,6 milliards d’euros de bénéfices en 2023 ([8]). Plus surprenant encore, les sommes versées aux actionnaires ont explosé ces dernières années. Ainsi, les sommes qu’ils ont perçu de la part de l’entreprise chaque année, en dividendes et en rachat d’actions, étaient la plupart du temps inférieures à 200 millions d’euros jusqu’en 2010. Elles s’élevaient à 456 millions d’euros en 2020 et 410 millions en 2021. Après avoir plus que doublé pour atteindre 923 millions en 2022 et 892 millions en 2023, elles ont continué à exploser pour se porter à 1,464 milliard en 2024 ([9]). L’entreprise a même annoncé en février dernier le lancement d’un nouveau programme de rachat d’action à hauteur de 1 milliard d’euros entre 2024 et 2026 ([10]).

À titre de comparaison, les sommes versées aux actionnaires pour l’année 2024 auraient permis de rémunérer plus 65 000 salariés au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Aussi, il apparaît clairement que l’entreprise Michelin a fait le choix de faire exploser la rémunération de ses actionnaires et de licencier ses salariés alors qu’elle aurait pu faire un choix différent.

Ces décisions apparaissent d’autant plus choquantes qu’elles vont plonger des centaines de familles et d’enfants, alors que l’entreprise qui les prend a largement été soutenue par l’impôt des Français. Elles interrogent l’utilité sociale du versement de telles sommes aux entreprises. Cette situation fait apparaître l’impérieuse nécessité d’encadrer les aides aux entreprises en les conditionnant au maintien ou à la création d’emplois, et d’envisager des conséquences en cas de non‑respect de ces conditions.

Un problème qui dépasse la filière automobile

Ces fermetures d’usines s’inscrivent dans le contexte plus global de déclin industriel français. Pendant le premier semestre de 2024, 61 usines ou ateliers embauchant plus de 10 salariés ont annoncé leur fermeture en France hexagonale. Sur la même période, le taux d’ouverture de nouveaux sites a diminué de 4 % ([11]). Cette dynamique se couple à l’inquiétant nombre de défaillances d’entreprises. Entre juillet et septembre 2024, 13 400 entreprises ont fait faillite[12] et d’ici la fin de l’année 2024, 60 000 devrait avoir fait faillite ([13]). Alors que dans le même temps, les aides publiques aux entreprises avoisinent les 206 milliards d’euros entre mars 2020 et mars 2021 ([14]). Il apparaît ainsi urgent de se poser la question de l’utilisation et de la répartition de ces aides.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de vingt membres, chargée :

1° d’étudier l’utilisation des fonds publics par l’entreprise Michelin et de comprendre pourquoi il lui est possible de combiner licenciements massifs, bénéfice d’aides publiques et versement records aux actionnaires sur une même période ;

2° de proposer la mise en place de modalités de fléchages et de conditionnalités des aides publiques permettant de s’assurer qu’elles soient utilisées de manière conforme à l’intérêt général ;

3° de proposer des sanctions applicables aux entreprises bénéficiant d’aides publiques et ne respectant pas les conditions qui leur auraient été imposées.

 

 


([1])  https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/michelin/fermeture-de-lusine-michelin-de-cholet-on-pense-plus-a-largent-quaux-personnes-bd45d274-9a9d-11ef-940c-520b50887c11

([2])  https://www.europe1.fr/economie/michelin-va-fermer-ses-usines-de-vannes-et-cholet-annonce-le-groupe-4276993

([3])  https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/en-pratique/etudes-et-statistiques/themas/transformations-et-defis-de-la-filiere-automobile.pdf

([4])  https://www.largus.fr/pros/actualite-automobile/les-equipementiers-et-sous-traitants-automobiles-au-bord-du-gouffre-10851397.html!

([5])  https://www.syndex.fr/sites/default/files/files/pdf/2021-06/TT-rapport-automobile-juin-2021-1.pdf

([6])  https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/covid19-soutien-entreprises/DP-Plan_soutien_automobile26052020.pdf

([7])  https://x.com/MaximCombes/status/1853739963306652100

([8])  https://www.michelin.com/publications/groupe/michelin-am%C3%A9liore-en-2023-son-r%C3%A9sultat-op%C3%A9rationnel-des-secteurs-%C3%A0-3-6-milliards-et-d%C3%A9livre-un-free-cash-flow-%C3%A9lev%C3%A9-de-3-0-milliards-refl%C3%A9tant-la-solidit%C3%A9-de-sa-strat%C3%A9gie

([9])  https://cfecgcmichelin.org/2024/03/14/montant-record-de-14-milliard-de-pour-les-actionnaires-michelin-en-2024/

([10])  https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/michelin-a-reconstitue-sa-tresorerie-en-2023-et-reste-prudent-pour-2024_AD-202402120806.html

([11])  https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20240923-france-les-fermetures-d-usines-augmentent-et-la-r%C3%A9industrialisation-marque-le-pas

([12])  https://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-defaillances-d-entreprise-atteignent-un-nouveau-record-20241014

([13])  https://www.altares.com/fr/statistiques-defaillances-entreprises/?_gl=1*ot2iww*_up*MQ..&gclid=CjwKCAjwxNW2BhAkEiwA24Cm9IIo28DXCViwsjgRivn_4hnxj-qw2C4XuXGaWYwfh1vu4CSTdTnmCxoCmnIQAvD_BwE

([14])  https://www.latribune.fr/economie/france/aides-aux-entreprises-plus-de-200-milliards-d-euros-mobilises-depuis-un-an-882735.html


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.