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N° 562
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête pour évaluer l’efficacité et le volume des aides publiques aux entreprises au regard de leur investissement économique sur le territoire français et de l’accompagnement social de leurs salariés,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Damien GIRARD, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sophia CHIKIROU, Mme Catherine HERVIEU, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, Mme Julie LAERNOES, Mme Sandra REGOL, Mme Marie POCHON, M. Mickaël BOULOUX, Mme Dominique VOYNET, M. Pierrick COURBON, M. Sébastien PEYTAVIE, M. Karim BEN CHEIKH, Mme Julie OZENNE, Mme Christine ARRIGHI, M. Hendrik DAVI, Mme Eva SAS, Mme Delphine BATHO, M. Boris TAVERNIER, Mme Lisa BELLUCO, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Charles FOURNIER, M. Pouria AMIRSHAHI, M. Matthias TAVEL, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Steevy GUSTAVE, M. François RUFFIN, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Marie RÉCALDE, M. Damien MAUDET, M. Jean-Claude RAUX, Mme Ayda HADIZADEH,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France soutient de façon très significative ses entreprises. Plusieurs notes et rapports l’illustrent.
Le rapport pour l’Institut de recherches économiques et sociales par des chercheurs de l’université de Lille évalue à 157 milliards d’euros les aides publiques aux entreprises en 2019. Une revue des dépenses de l’Inspection générale des finances évalue à 88 milliards d’euros le montant des aides versées aux entreprises en 2022 par les pouvoirs publics par environ 380 dispositifs. Encore plus récemment, une note de la Cour des comptes intitulée « Garantir l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises » du 7 juillet 2023 estime à 260,4 milliards d’euros le soutien financier total de l’État face à la crise sanitaire. Cela représente les deux tiers du budget annuel de l’État français. Or, la Cour des comptes en estime l’effet limité en dehors du soutien à la trésorerie aux entreprises.
Ces aides sont largement inégalitaires et sont d’une efficacité au mieux limitée. Ainsi, les mesures d’exonérations créent un effet d’accoutumance des entreprises aux aides, rendant largement inopérant le but initial de diminution de coût du travail. Quant au financement de l’innovation, il rembourse le plus souvent des dépenses déjà prévues d’après le Conseil d’analyse économique. De manière générale, les dividendes importants versés aux actionnaires, par exemple durant la période de recours au chômage partiel, laissent penser que ces aides sont dévoyées et ne bénéficient pas à l’économie et aux salariés.
L’usage par Michelin de fonds du crédit d’impôt recherche (CIR) pour financer des machines envoyées sur des sites délocalisés illustre les potentiels détournements de ces aides.
Les aides exceptionnelles et structurelles se cumulent pour former un ensemble opaque, coûteux, et à l’efficacité peu lisible. Du Crédit Impôt Recherche aux allégements de charge sur les bas salaires, de nombreux dispositifs financent de façon continue et sans contrepartie évidente nos entreprises.
Ces dispositifs comme les aides exceptionnelles durant la crise sanitaire peuvent être utiles à notre pays et à son économie. Cela implique cependant un pilotage sérieux, une évaluation rigoureuse et l’existence de contreparties, notamment en matière sociale. Comme le souligne le Premier président de la Cour des comptes M. Pierre Moscovici : « je constate qu’il y a beaucoup d’aides aux entreprises, qu’elles ne sont pas toujours contrôlées et ce que je souhaite c’est qu’elles soient utilisées à bon escient ». L’inefficacité des aides aux entreprises est également soulignée par un rapport d’information remis le 31 mars 2021 par des députés. Celui‑ci critique notamment l’absence de cadre normatif unifié.
Dans ce contexte, les licenciements annoncés par Auchan et Michelin nous interrogent. Il n’est pas acceptable que des entreprises bénéficiant sur la durée de l’argent des contribuables mènent des politiques socialement irresponsables.
Ainsi, les récents plans de licenciements annoncés par Michelin et Auchan sans réelle solution sociale pour plus de 3 500 salariés apparaissent choquants au regard des crédits publics alloués à ces sociétés. Celles‑ci ont bénéficié de la solidarité de l’État pour innover et faire face aux crises conjoncturelles grâce à l’argent des contribuables. La nation est en droit d’attendre de leur part un effort d’accompagnement de leurs salariés à la hauteur de cette solidarité.
Michelin a reçu plusieurs dizaines de millions d’euros via le crédit impôt recherche : 42 millions d’euros en 2023, a disposé du chômage partiel durant la crise sanitaire et bénéficié de plusieurs aides de modernisation de site et pour la décarbonation.
Auchan a bénéficié de 83 millions d’euros de réduction de cotisations au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et également d’une large prise en charge du chômage partiel.
En outre, la brutalité des fermetures d’usines ou de sites porte atteinte à la dignité des travailleurs concernés.
Ainsi, à Vannes l’annonce de la suppression des emplois par Michelin n’a été longue qu’une dizaine de minutes sans déplacement d’aucun membre de la direction.
Les salariés ressentent un fort sentiment d’injustice et de dégoût. Cette décision les prive de leur emploi et de revenus. Mais la façon dont celle‑ci est annoncée les prive aussi de dignité.
Mme Stéphanie Schlosser, salariée et syndicaliste, a ainsi déclaré à Ici son « dégoût » : « Je suis écoeurée de voir autant de mépris pour les salariés depuis tant d’années qu’on travaille pour l’entreprise. Pour beaucoup, on a plus de 20 ans voire 30 ans d’ancienneté, explique la déléguée CGT. C’est un travail quand même vachement physique. On s’inquiète aussi pour toutes les personnes en maladie professionnelle qui vont devoir retrouver du travail demain, les couples qui sont dans cette entreprise et qui vont perdre tous les deux leur travail. Je suis choquée et outrée en fait. »
M. Guenn le Luherne, élu CGT au comité social et économique (CSE) du site de Vannes tombe des nues et déclare : « 24 ans de loyaux services pour Michelin, des plans à n’en plus finir pour essayer de faire en sorte que Michelin Vannes soit toujours la meilleure, la plus compétitive. À Vannes, les employés ont fait beaucoup pour Michelin, voilà la récompense qu’on leur donne, souffle le salarié, au bord des larmes. On n’a pas le droit de fermer des usines comme ça parce que ça ne rapporte pas assez. C’est très dur. »
Cette situation indigne à juste titre nos concitoyennes et concitoyens. Le Premier ministre Michel Barnier a lui‑même déclaré vouloir savoir ce que Michelin et Auchan ont fait « de l’argent public qu’on leur a donné » tandis que la préfecture du Morbihan précise que « les pouvoirs publics seront extrêmement vigilants sur la qualité et l’efficience des mesures mises en œuvre, qui devront assurer le reclassement et la reconversion des salariés des sites concernés, mais aussi répondre aux obligations en matière de recherche de repreneur, de revitalisation et de redynamisation du territoire ».
Cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête poursuit ce but. Ses signataires souhaitent que l’Assemblée nationale analyse la réalité des aides publiques aux entreprises. Ils souhaitent que cette analyse de leur efficacité se fasse en les mettant en perspective avec l’accompagnement professionnel des salariés concernant leur maintien en emploi et leur transition professionnelle.
Cette commission d’enquête formulera des propositions concrètes pour plafonner dans le temps les aides aux entreprises et effectuer une revue de dépenses, y compris au regard de l’action sociale des entreprises concernées. Elle proposera une refonte des aides aux entreprises valorisant celles qui maintiennent l’emploi et accompagnent les transitions professionnelles de leurs salariés et pénalisant celles faisant preuve d’irresponsabilité sociale. Elle suggérera enfin des pistes pour un remboursement des aides publiques par les entreprises ne respectant pas leurs engagements ou pratiquant des licenciements sans accompagnement social satisfaisant au profit de dispositifs profitant directement au maintien en emploi des salariés.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée :
– d’inventorier en transparence les aides publiques sous toutes leurs formes accordées par l’État aux entreprises ;
– d’étudier leur efficacité rapportée aux investissements de ces entreprises sur le territoire français ainsi que leur politique d’emploi ;
– de formuler des propositions pour que les aides publiques valorisent les entreprises responsables socialement, notamment en matière de maintien en emploi et d’accompagnement des salariés ;
– d’explorer la possibilité de financer des dispositifs profitant directement à l’emploi des salariés licenciés par le remboursement des aides publiques versées aux entreprises faisant preuve d’irresponsabilité sociale, notamment en matière de manque d’accompagnement professionnel.