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N° 564
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à mettre fin à la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires pour violences sexuelles,
présentée par
Mme Sarah LEGRAIN, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Claudia ROUAUX, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Sandrine JOSSO, Mme Marie POCHON, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Colette CAPDEVIELLE, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Maud PETIT, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Karine LEBON, M. Jean-Claude RAUX, M. Boris TAVERNIER, M. Stéphane HABLOT,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« J’ai l’impression que la coupable, c’est moi, et que derrière moi, les 50 [co‑accusés] sont des victimes. […] Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée. On me traite d’alcoolique, que je me mette dans un état d’ébriété tel que je suis complice de M. Pelicot. […] C’est tellement humiliant et dégradant d’entendre cela. »
Gisèle Pelicot
« Car l’histoire se répète
Je suis cette sœur en miette
Pour eux c’est classé sans suite
Mais nous on a pris perpète
C’est une justice qui néglige
Une justice qui méprise
Qui te remets face à celui
Qui hante toutes tes nuits hein »
Koclico, Notre Ohrage, 1er novembre 2024
Il y a urgence à améliorer le traitement judiciaire des violences sexistes et sexuelles
Depuis #MeToo, le nombre de plaintes pour violences sexuelles est en hausse constante : +3 % en 2020, +33 % en 2021, +11 % en 2022, etc. Entre 2017 et 2022, le nombre de victimes de violences sexuelles enregistrées par les services de sécurité a ainsi doublé (+ 103 %) ([1]). Or il sous‑estime pourtant encore largement la réalité des violences sexuelles subies par la population. D’après l’enquête Genese, conduite par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure en 2020, un peu plus d’une victime de violences sexuelles conjugales sur sept (15 %), et un peu moins d’une victime de violences sexuelles hors cadre familial sur dix (9 %), a déposé plainte dans un commissariat ou une gendarmerie.
Ainsi, en France, moins de 10 % des femmes portent plainte. Et parmi ces plaintes, le taux de condamnation reste minime. En 2022, on compte seulement 7 000 condamnations pour violences sexuelles ([2]) selon les chiffres du ministère de la justice. Selon un collectif ([3]) d’avocates, d’autrices et de magistrats, 74 % des plaintes sont classées sans suite. Ce collectif dénonce aussi les ordonnances de non‑lieu, les correctionnalisations et les relaxes prononcées « dans des dossiers où il existe des éléments qui devraient entraîner poursuites et condamnations pénales ». Magali Lafourcade ([4]), magistrate et secrétaire générale de la commission nationale consultative des droits de l’homme, révèle que seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol auraient donné lieu à une condamnation en 2020. S’agissant des viols pour lesquels une plainte a été enregistrée par la police, seuls 14,7 % ont donné lieu à une peine cette année‑là.
De plus, au‑delà du faible taux de condamnation, la procédure pénale est coûteuse pour les victimes. Elles portent alors plainte au prix de violences redoublées : refus de prise de plainte, confrontation avec l’agresseur, questions déplacées, procès éprouvant, culpabilisation, aboutissant souvent à la non condamnation d’actes sexuels non consentis, etc. Le traitement judiciaire devient une épreuve supplémentaire, qui peut accentuer leur stress post‑traumatique. Or cette épreuve supplémentaire infligée aux victimes est contraire à la loi et contrevient à leurs droits. En effet, un certain nombre de textes juridiques et internationaux consacrent le droit des victimes à être protégées lors d’une audience, et donc l’obligation d’éviter la « victimisation secondaire » des victimes, de l’enquête au délibéré. Cette victimisation secondaire survient lorsque les victimes d’actes criminels subissent une première blessure par le crime, et une seconde par les acteurs du système de justice pénale ([5]). Elle survient notamment lorsque la victime subit l’expression de stéréotypes de genre et de préjugés sexistes, des questions ou des investigations intrusives dans sa vie privée (notamment sa vie sexuelle) qui ne seraient pas nécessaires à la recherche de la vérité ou aux droits de la défense, ou encore est exposée à de nouvelles violences (menaces, intimidations, humiliations) de son agresseur, notamment à l’occasion de confrontations. De plus, les délais excessifs des procédures liés au manque de moyens de la justice entravent l’exercice des droits des victimes et peuvent avoir d’importants effets psychologiques.
L’obligation d’éviter la victimisation secondaire s’impose aux États et à leurs juridictions. Si cette notion n’apparaît pas comme telle dans notre droit français, certaines dispositions garantissent les droits des victimes. Le paragraphe II de l’article préliminaire du code de procédure pénale affirme que « l’’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». Les articles 10‑2 à 10‑6 consacrent les droits des victimes. L’article 10‑2 liste la pluralité de ces droits : obtenir la réparation de leur préjudice, se constituer partie civile, être assistée d’un avocat·e, être aidées par un service relevant d’une ou de plusieurs collectivités publiques ou par une association d’aide aux victimes agréée, être informées sur les mesures de protection dont elles peuvent bénéficier, bénéficier d’un·e interprète et d’une traduction pour les victimes qui ne comprennent pas la langue française, etc. L’article 10‑5 prévoit leur protection : « dès que possible, les victimes font l’objet d’une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale ». La décision du 23 mars 2022, 21‑84.034 de la Chambre criminelle de la cour de cassation statue également que les dénégations de l’accusé renforcent le préjudice moral causé aux victimes et que le juge peut tenir compte de l’attitude de celui‑ci à l’audience pour déterminer l’étendue du préjudice. La décision du 4 avril 2024, 22‑80.417 rappelle qu’ « aucune disposition du code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle ».
La France contrevient à ses engagements internationaux
Au‑delà du droit français, la victimisation secondaire est mentionnée dans différents textes internationaux signés et ratifiés par la France.
L’article 2 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF, 1979), signée et ratifiée par la France, affirme que les États parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, et s’engagent à « instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire ». À ce titre, lors de la décision Karen Vertido c/Philippines (CEDEF, 2010), dénonçant l’acquittement du chef d’un viol, le Comité en charge du respect de cette convention a invité l’État partie à : « Veiller à ce que toutes les procédures judiciaires concernant le viol et les violences sexuelles soient impartiales et équitables, et qu’elles ne soient pas entachées par les préjugés ou les stéréotypes dont fait l’objet la sexualité féminine et masculine ; adopter à cette fin un train de mesures d’amélioration de traitement judiciaire des affaires de viol, et organiser des stages et des séances d’information pour mettre fin aux comportements discriminatoires à l’égard des femmes. » Une jurisprudence qui s’applique alors à tous les États membres, y compris la France.
L’article 4 de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir de l’ONU de 1985 (40/34), garantit le droit à la dignité des victimes : « les victimes doivent être traitées avec compassion et dans le respect de leur dignité. Elles ont droit à l’accès aux instances judiciaires et à une réparation rapide du préjudice qu’elles ont subi, comme prévu par la législation nationale. »
Au niveau régional et européen, deux textes du Conseil de l’Europe devraient guider le législateur et les juristes français : la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (1950), dont la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est chargée de s’assurer du respect des engagements par les États parties ; et la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ratifiée en 2014 par la France), dite Convention d’Istanbul, dont le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) est chargé de la mise en oeuvre. L’article 15 de la Convention d’Istanbul contraint les États parties à dispenser ou renforcer « la formation adéquate des professionnels pertinents ayant affaire aux victimes ou aux auteurs de tous les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention, sur la prévention et la détection de cette violence, l’égalité entre les femmes et les hommes, les besoins et les droits des victimes, ainsi que sur la manière de prévenir la victimisation secondaire. » L’article 54 prévoit que, dans toute procédure civile ou pénale, les preuves relatives aux antécédents sexuels et à la conduite des victimes ne sont recevables que lorsque cela est pertinent et nécessaire. L’article 56 est consacré aux mesures législatives nécessaires pour protéger les droits et les intérêts des victimes.
Enfin, deux directives européennes ont été adoptées au Parlement Européen et protègent les droits des victimes. La directive européenne de lutte contre les violences faites aux femmes, adoptée le 14 mai 2024 et qui doit encore faire l’objet d’une transposition dans notre loi, considère que : « la présentation d’éléments de preuve concernant le comportement sexuel passé, les préférences sexuelles et la tenue vestimentaire de la victime pour mettre en cause la crédibilité et l’absence de consentement des victimes dans les cas de violences sexuelles, en particulier les cas de viol, peut renforcer la perpétuation de stéréotypes préjudiciables quant aux victimes et entraîner une victimisation répétée ou secondaire. En conséquence, les États membres devraient veiller à ce que les preuves relatives au comportement sexuel passé de la victime, ou à d’autres aspects de la vie privée de la victime qui y sont liés, soient uniquement autorisées lorsqu’il est nécessaire d’évaluer une question spécifique en l’espèce ou aux fins de l’exercice des droits de la défense. » La directive européenne établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité consacre son article 23 aux victimes ayant des besoins spécifiques en matière de protection au cours de la procédure pénale, y compris les victimes de violences sexuelles, de violences fondées sur le genre ou de violences domestiques.
Ainsi, en ne mettant pas en place des mesures de protection spécifiques aux victimes de violences sexuelles, des formations adéquates sur les stéréotypes de genre à destination des professionnels du droit, ou en laissant les victimes être questionnées au cours de la procédure, sans pertinence évidente, sur leur passé et leurs comportements sexuels, la France contrevient à ses engagements internationaux en matière de lutte contre la victimisation secondaire. C’est pour cette raison qu’elle est actuellement mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
La France mise en cause devant la Cour européenne des droits de l’Homme
Délais des procédures, questions biaisées, consentement présumé, ignorance des phénomènes d’emprise ou de sidération, etc. le nombre de requêtes contre la France devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est en constante augmentation, mettant en cause son traitement judiciaire des affaires de violences sexistes et sexuelles. En 2022 et 2023, la CEDH a déclaré recevables 8 requêtes qui demandent la condamnation de la France dans des affaires de viols, pour des mauvais traitements, « stéréotypes de genre », ou encore « idéologie sexiste » ([6]). La majorité des requérantes plaident la « victimisation secondaire », notion qui fait l’objet d’une jurisprudence de la CEDH. Dans les huit cas, la justice française a prononcé une relaxe, un acquittement ou encore un non‑lieu. Trois d’entre elles concernent des mineures au moment des faits, à l’instar de Julie, mettant en cause deux pompiers pour viol en réunion et un autre pour agression sexuelle.
Parmi ces huit requêtes, en 2023, la CEDH a interrogé la France sur l’affaire Spanton c. France, dite « l’affaire du 36 quai des Orfèvres ». La ressortissante canadienne Emily Spanton a deposé cette requête après l’acquitement en appel de deux policiers qu’elle accusait de viol lors d’un séjour en France en 2014 et qui avaient été condamnés en première instance. Dans son communiqué, la Cour précise que la requérante « soutient que les autorités françaises ont méconnu leurs obligations d’incriminer les faits de pénétration sexuelle non consentie et d’assurer une répression de ces crimes de manière effective sans victimisation secondaire ». En conséquence, la Cour s’interroge sur le respect de plusieurs articles de la convention européenne des droits de l’homme : l’article 3 (interdiction de la torture), l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), et l’article 6 (droit à un procès équitable).
Une autre des requérantes, Clara Achour, dénonce un « déni de justice grave commis par le système judiciaire français » et la « double peine que la justice leur a fait subir pendant toute leur procédure juridique, suite à leur plainte pour violences sexuelles : refus de plainte, non condamnation d’actes sexuels non consen[tis], victimisation secondaire, jugements se basant sur des préjugés sexistes, procédure aux délais déraisonnablement longs, confrontation avec son agresseur… ». Alors que le verdict de ces huit requêtes tombera fin 2024 ou début 2025, elle lance en ce mois de novembre 2024 une campagne d’actions intitulée « Notre Ohrage » pour visibiliser cette affaire historique, faire du bruit et condamner la France. Dans une pétition signée par plus de 36 000 personnes, ce collectif explique :
« Aujourd’hui, il est temps que les lois en France concernant les violences sexuelles évoluent.
Il est temps que la Justice dispose de textes clairs et précis en la matière, avec lesquels il n’est plus possible de bafouer le principe de consentement.
Il est temps que les procès eux‑mêmes respectent les Droits de l’Homme, et qu’ils ne soient plus le théâtre d’une culture du viol aberrante.
Il est temps que les victimes de violences sexistes et sexuelles soient dignement accompagnées lors des procédures judiciaires, et qu’elles ne subissent plus la double peine du viol et de la procédure. »
Si ces requêtes sont toujours en cours d’examen, des précédents existent dans d’autres pays, où la CEDH a soulevé des stéréotypes et biais sexistes lors de la procédure et a statué que les victimes avaient été exposées à une victimisation secondaire. Plusieurs arrêts ont participé au développement d’une jurisprudence autour de cette notion, et des articles 3 et 8 de la convention :
– l’arrêt MC c. Bulgarie, n° 39272/98, du 4 mars 2004. La Cour considère que, combinée avec l’article 3 de la Convention, l’article 1er « leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des mauvais traitements, même administrés par des particuliers » (paragraphe 149) ;
– l’arrêt N.Ç. c. Turquie, n° 4059/11 du 9 février 2021. La Cour estime que « l’absence d’assistance à la requérante, le manquement à sa protection face aux accusés, la reconstitution inutile des viols, les examens médicaux répétitifs, le manque de sérénité et de sécurité durant les audiences, l’évaluation du consentement de la victime, la durée excessive de la procédure, et enfin, la prescription pénale de deux chefs d’accusation ont constitué des cas graves de victimisation secondaire de la requérante » ;
– l’arrêt J.L. c. Italie, n° 5671/16 du 27 mai 2021, dans lequel la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention et juge essentiel « que les autorités judiciaires évitent de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes à une victimisation secondaire en utilisant des propos culpabilisants et moralisateurs propres à décourager la confiance des victimes dans la justice ».
– l’arrêt B v. Russia, n° 36328/20 du 17 janvier 2023. La Cour conclut sous l’angle de l’article 3 que « les autorités ont fait preuve d’un mépris total pour les souffrances de la requérante, qui se trouvait dans une situation de grande vulnérabilité en raison de son jeune âge, de sa situation familiale tragique, de son placement dans un orphelinat et des abus sexuels allégués. L’État défendeur n’a donc pas protégé l’intégrité personnelle de la requérante au cours des procédures pénales qui ont abouti à sa victimisation secondaire. »
Des pistes pour lutter contre la victimisation secondaire
Sept ans après #MeToo et alors que la France est visée par ces 8 requêtes devant la CEDH pour victimisation secondaire, il y a urgence à améliorer le traitement judiciaire des violences sexuelles, afin d’assurer la protection des victimes, le respect de leurs droits et dignité. La lutte contre la victimisation secondaire passe par différents niveaux. Elle nécessite une politique globale et un budget à la hauteur des enjeux, afin de véritablement lutter contre la culture du viol et ainsi interroger toute notre société patriarcale. Les associations féministes chiffrent à 2,6 milliards d’euros le budget nécessaire pour lutter contre les violences faites aux femmes. Il faut notamment plus de moyens dédiés à la Justice et aux formations des professionnels du droit, pour mettre fin à l’engorgement des tribunaux, recruter davantage de magistrats spécialisés sur les violences sexistes et sexuelles et lutter contre les stéréotypes de genre et biais sexistes. Cela doit aller de pair avec des directives claires sur les exigences déontologiques à respecter au cours des procédures. Enfin, comme nous y invitent nombre d’instances internationales, il faut envisager toute évolution de la définition pénale des violences sexuelles permettant de mieux rendre justice, notamment de mieux prendre en compte la diversité des cas d’actes sexuels non consentis et des stratégies des agresseurs (emprise, rapports de pouvoir et de dépendance économique…), ainsi que leurs conséquences sur les victimes (sidération, dissociation…).
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proposition de DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’arrêt Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 mars 2022, 21‑84.034,
Vu l’article préliminaire et les articles 10‑2 à 10‑6 du code de procédure pénale,
Vu l’article 2 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies,
Vu l’article 4 de la déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir (résolution n° 40/34 de l’ONU du 29 novembre 1985),
Vu les articles 3, 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée par les États membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950,
Vu les articles 15, 54 et 56 de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée par la France le 11 mai 2011 et ratifiée le 4 juillet 2014,
Vu l’article 23 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité,
Vu la directive 2024/385/UE du 14 mai 2024 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique,
Vu les arrêts MC c. Bulgarie (n° 39272/98 du 4 mars 2004), N.Ç. c. Turquie (n° 4059/11 du 9 février 2021), J.L. c. Italie (n° 5671/16 du 27 mai 2021) et B v. Russia (n° 36328/20 du 17 janvier 2023) de la Cour européenne des droits de l’Homme,
Considérant que la France contrevient à ses engagements internationaux en matière de droits des victimes de la criminalité ;
Déplorant les conséquences néfastes de la victimisation secondaire lors des procédures judiciaires sur le stress post‑traumatique et le préjudice moral des victimes de violences sexuelles ;
Invite le Gouvernement à doter les services de police et de justice des financements adaptés pour garantir les besoins spécifiques des victimes ;
Invite le Gouvernement à renforcer les formations des professionnels de la police et du droit à la prise en charge des victimes de violences sexuelles, au traitement judiciaire de ces violences, et à la lutte contre les stéréotypes de genre, afin d’éviter toute victimisation secondaire et répétée ;
Demande à ce que soit assurée la protection de la dignité et de l’intégrité physique des victimes de violences sexuelles, du dépôt de plainte jusqu’au délibéré.
([1]) Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). (2023). Insécurité et délinquance en 2022 : bilan statistique. Dans https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2022-bilan-statistique-complet
([2]) Service statistique ministériel de la justice & Sous-direction de la statistique et des études (SDSE). (2023). Infos rapides justice (Numéro 9). https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-11/Infos_Rapides_Justice_n9_Violences%20sexuelles.pdf
([3]) Collectif. (2023, 12 décembre). Violences sexuelles : « Il est urgent de redéfinir pénalement le viol, dont la définition, en France, présuppose un consentement implicite » . Le Monde.fr.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/12/violences-sexuelles-il-est-urgent-de-redefinir-penalement-le-viol-dont-la-definition-en-france-presuppose-un-consentement-implicite_6205335_3232.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default
([4]) Lafourcade, M. (2022, 7 octobre). Violences sexistes et sexuelles : « Le faible nombre de condamnations incite à trouver de nouvelles façons de travailler ». Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/05/violences-sexistes-et-sexuelles-le-faible-nombre-de-condamnations-incite-a-trouver-de-nouvelles-facons-de-travailler_6144436_3232.html
([5]) Deschênes, A. (2022, juillet). Mémoire de recherche. “Victimisation secondaire : vers la création d’un outil standardisé”.
([6]) Kovacs, Z. (2024, 3 mars). “Traitement judiciaire du viol : huit femmes veulent voir la France condamnée par la CEDH”.Mediapart.fr.