N° 639

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 novembre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant les autorités françaises à dénoncer l’accord-franco-algérien du 27 décembre 1968,

 

présentée par

Mme Michèle TABAROT,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La circulation, le séjour et le travail des Algériens en France sont régis de manière complète par l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968 modifié. Ils relèvent ainsi d’un régime spécifique.

Le droit commun ne leur est pas appliqué, à l’exception des dispositions de procédure.

L’accord prévoit également les règles concernant la nature et la durée de validité des titres de séjours qui leur sont délivrés. Ces titres de séjour portent le nom de « certificats de résidence » et leur durée de validité est soit d’un an soit de dix ans.

Les principales spécificités de ce régime sont les suivantes :

L’entrée des Algériens en France est facilitée (condition d’entrée régulière, et non de visa de long séjour, pour la délivrance de certains titres de séjour). ;

Les Algériens bénéficient de la liberté d’établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante ;

Les ressortissants algériens peuvent accéder plus rapidement que les ressortissants d’autres États à la délivrance d’un titre de séjour valable 10 ans.

Ainsi, le conjoint algérien d’un Français se voit délivrer un certificat de résidence de 10 ans après un an de mariage et le parent d’un enfant français l’obtient à l’échéance d’un premier certificat de résidence d’un an.

Les membres de famille admis au séjour en France au titre du regroupement familial reçoivent un titre de séjour de même durée que la personne qu’ils rejoignent. Ils reçoivent donc un certificat de résidence valable 10 ans dès leur arrivée sur le territoire français si l’accueillant est porteur d’un tel titre de séjour.

En outre, s’ils ne l’ont pas obtenu avant, les ressortissants algériens peuvent solliciter un certificat de résidence de 10 ans après 3 ans de séjour, contre 5 ans dans le cadre du droit commun, sous condition de ressources suffisantes.

En revanche, les titres de séjour créés par les lois de 2003, 2006, 2018 ne leur sont pas applicables, notamment les titres de séjour en matière d’immigration professionnelle tels que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » ou encore la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant programme de mobilité », qui n’ont pas d’équivalent dans l’accord franco‑Algérien.

S’il souhaite exercer une activité salariée en France, l’algérien titulaire d’un certificat de résidence mention « étudiant » doit solliciter une autorisation provisoire de travail et ne peut travailler au maximum 50 % de la durée annuelle de travail pratiquée dans la branche ou la profession concernée (contre 60 % de la durée annuelle légale du travail pour les autres nationalités).

Relevant du droit international, ce traité bénéficie donc d’une autorité supérieure à la loi française. Dès lors, son contenu est hors de portée du législateur national. L’accord de 1968 a été révisé en 1985, 1994 et 2001, mais les principes qui le fondent ont toujours été maintenus.

Cette anomalie a installé une brèche dans notre ordre juridique, d’autant plus importante que, comme l’a rapporté l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans sa dernière enquête publiée en mars 2023, les Algériens constituent en effet la première nationalité étrangère en France. Selon les données de l’Insee, ils étaient 887 100 ressortissants, soit 12,7 % des étrangers vivant en France. Cette réalité statistique est nourrie par la dynamique des flux : en 2022, d’après la direction générale des étrangers en France, l’Algérie était le deuxième pays d’origine des bénéficiaires des premiers titres de séjour et le troisième pays d’origine des titulaires des visas délivrés par la France.

L’accord de 1968 prive le législateur et le gouvernement français de la possibilité d’agir significativement sur les flux en provenance de l’Algérie. C’est ce que rappelle M. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, dans son étude publiée en mai 2023 (Politique migratoire : que faire de l’accord franco‑algérien de 1968 – Publié par la Fondation pour l’Innovation politique).

La France est d’autant plus défavorisée, que l’Algérie ne remplit pas ses obligations, notamment en ce qui concerne la délivrance des laissez‑passer consulaires (LPC) sans lesquels il n’est pas possible de réaliser les obligations de quitter le territoire français (OQTF).

Dans son dernier avis budgétaire sur l’Immigration, l’Asile et l’Intégration, la rapporteure de la commission des affaires étrangères, Mme Brigitte Klinkert souligne le faible taux de délivrance de LPC par l’Algérie. Elle y distingue différentes raisons dont « l’organe titulaire de la compétence en matière migratoire en Algérie. Cette compétence n’appartient pas au ministère de l’intérieur mais au ministère algérien des affaires étrangères. Or, ce dernier n’hésite pas à lier sa pratique migratoire aux aléas de la relation bilatérale et joue volontiers sur le levier de la délivrance des LPC, contrairement au ministère de l’intérieur qui tendrait à avoir une position plus accommodante ».

Depuis un an, date à laquelle les députés de la Droite républicaine ont déjà souhaité aborder le sujet de la dénonciation de l’accord, la situation s’est fortement dégradée entre la France et l’Algérie.

Fin juillet 2024, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris, en réponse à la reconnaissance par la France du plan marocain pour le Sahara occidental. A cette date l’Algérie est toujours sans ambassadeur à Paris. En mars 2024, les Présidents français et algérien avaient convenu et annoncé une visite du Président algérien en France pour la fin septembre‑début octobre, force est de constater que cette visite n’a pas eu lieu et qu’aucune date n’est avancée pour une telle visite. L’arrestation et l’emprisonnement à Alger fin novembre 2024, de l’écrivain franco‑algérien M. Boualem Sansal contribue à raviver les tensions.

Ces difficultés, compte tenu de la mauvaise volonté manifestée et réitérée par les autorités algériennes rendent l’hypothèse d’une renégociation des accords de 1968 annoncée fin 2023 par Mme Elisabeth Borne, alors Première ministre, inenvisageables.

C’est donc une dénonciation unilatérale de cet accord, par les autorités françaises, que les députés de la Droite Républicaine souhaitent proposer.

Comme nous l’avions déjà souligné en juin 2023, dans une première proposition allant dans ce sens les deux objections juridiques habituellement avancées pour faire obstacle à cette hypothèse ne nous paraissent aucunement convaincantes. Certes, la première objection relève l’absence, dans cet accord, de clause de dénonciation par l’une ou l’autre des parties. Mais le droit commun des traités et accords internationaux, régi par la convention de Vienne du 23 mai 1969, a vocation à s’appliquer alors. La dénonciation unilatérale d’un accord est ainsi autorisée si le droit de dénonciation peut être déduit de la nature du traité. L’accord de 1968 n’a pas vocation à être perpétuel et peut donc être dénoncé. Quant à la seconde objection, elle prétend qu’en dénonçant l’accord de 1968, nous reviendrions au statu quo ante, c’est‑à‑dire à la libre circulation qui existait, au temps de la colonisation, entre l’Algérie et la France. Cette allégation est parfaitement fallacieuse. D’une part, les ressortissants algériens resteraient, en tout état de cause, soumis aux règles d’entrée dans l’espace Schengen. D’autre part et surtout, aucune argutie ne permet raisonnablement d’imaginer que les autorités françaises, une fois l’accord dénoncé, accepteraient de laisser entrer en France tous les Algériens munis d’une simple carte d’identité.

Nous pouvons, si nous le voulons, en finir avec cette anomalie.

Il suffit à la République française, si elle le veut, d’affirmer sa souveraineté en dénonçant l’accord qui la lie jusqu’alors à l’Algérie pour que les ressortissants algériens soient soumis, non seulement au droit commun qui régit aujourd’hui l’entrée et le séjour des étrangers en France, mais aussi, demain, aux nouvelles règles qui permettront d’arrêter l’immigration de masse.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que l’accord de 1968 a été négocié dans un contexte politique, diplomatique et économique très différent des réalités contemporaines, de sorte que l’accord a aménagé un régime juridique favorable aux Algériens que plus rien ne justifie aujourd’hui ;

Considérant que l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968, publié par le décret n° 69‑243 du 18 mars 1969, a créé un régime dérogatoire qui facilite l’immigration des ressortissants algériens vers la France ;

Considérant qu’aucun motif ne justifie désormais que les ressortissants algériens bénéficient d’un tel statut juridique facilitant leur entrée et leur séjour en France dans des conditions plus favorables que celles qui sont régies par le code de l’entrée et du séjour des étrangers ;

Considérant, que les autorités algériennes n’ont pas démontré leur volonté de coopérer de manière effective avec les autorités françaises afin de permettre, par la délivrance des laissez‑passer consulaires, le retour vers l’Algérie des ressortissants algériens en situation illégale en France ou troublant l’ordre public ;

Appelle les autorités en ayant la compétence, à dénoncer l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968.