N° 643

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement à commander un audit financier indépendant de l’ensemble des comptes publics des retraites obligatoires,

 

présentée par

Mme Eliane KREMER, Mme Pascale BAY, Mme Josiane CORNELOUP, M. Eric LIÉGEON, Mme Véronique LOUWAGIE, M. Yannick NEUDER, M. Jean-Pierre TAITE,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En décalant à 64 ans l’âge de départ à la retraite, la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 est censée pérenniser le financement des retraites et ce, d’autant plus facilement, que le Conseil d’orientation des retraites (COR) faisait alors passer le message de l’équilibre financier actuel du système de retraites.

Le caractère trompeur de ce message de l’équilibre financier fut pourtant dénoncé dès 2022 et le Haut‑Commissaire au Plan devait souligner, à plusieurs reprises, que l’opinion publique n’avait pas été correctement informée sur les déséquilibres de la branche vieillesse.

En effet, dire que l’on ne réforme pas le système de retraites pour des raisons financières est une contre‑vérité absolue.

C’est bien un problème d’équilibre financier qui a motivé la réforme de 2023, comme il en sera de même pour la prochaine réforme que nous savons, d’ores et déjà, inéluctable.

Après le Haut‑Commissaire au Plan, c’est désormais au tour de monsieur le Professeur Rémi PELLET, spécialiste des finances sociales et membre du Conseil des prélèvements obligatoires, de préciser, le 28 mars dernier, devant la Mission d’études et de contrôle de l’exécution des lois de financement de la Sécurité sociale (dans le cadre de l’enquête 2024 de cette mission permanente de l’Assemblée Nationale sur le dette sociale et la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES)), que la dette sociale portée par la CADES est sous‑estimée d’un flux annuel de 60 milliards d’euros largement constitués des déficits des régimes de retraites.

Dans un article intitulé « Retraites obligatoires et déficits publics. Pour la clarté », M. Jean‑Pascal BEAUFRET, ancien inspecteur des finances et ancien directeur général des impôts, donne le détail de cette réalité bien gardée.

Aux subventions s’ajoutent les « contributions d’équilibre ». Ainsi apprend‑on que « les retraites obligatoires sont financées par des cotisations pour 66 % seulement et par des impôts transférés aux caisses de retraites à hauteur de 13 %. Le solde, soit 21 %, est couvert par des subventions allouées au système de retraites, qui font partie du déficit public, pour en garantir le financement global. Dès lors, les retraites sont financées à 21 % par la dette publique, soit 71 milliards d’euros en 2021 ».

Et l’auteur de poursuivre :

« En se protégeant derrière une organisation juridique et comptable des retraites des fonctionnaires de l’État qui en masque la réalité financière, en concentrant le débat sur un futur hypothétique pour éviter de parler de la situation présente et réelle, Parlement, gouvernement et Cour des comptes ont renoncé à attirer l’attention de l’opinion publique sur les 50 milliards d’euros actuels de déficit annuel inclus dans celui de l’État pour financer les retraites, ou sur les 21 milliards d’euros annuels supportés dans les comptes des autres administrations sociales ou locales pour financer directement et indirectement les caisses de retraites.

…avant de conclure :

La raison en est certainement qu’il faudrait alors annoncer qu’un report de l’âge de la retraite à 64 ans avec quarante‑trois années de cotisations serait loin d’être suffisant et qu’une désindexation graduelle des retraites, avec des effets sur le pouvoir d’achat, sera également indispensable. À défaut, des augmentations importantes de cotisations et d’impôts, réductrices du potentiel économique, devront intervenir ».

Dans son rapport annuel, publié en juin 2023, et intitulé « Évolutions et perspectives des retraites en France », le Conseil d’orientation des retraites (COR) met en évidence la baisse du rapport démographique des 20‑59 ans sur les 60 ans et plus – qui atteint 1,79 en 2023 – et devrait se poursuivre jusque vers le début des années 2030 en raison de l’arrivée à l’âge de 60 ans des générations du babyboom.

L’impact démographique est incontournable : le nombre de retraités va passer de 17 millions en 2021 à 24,5 millions attendus en 2070 (avec une forte progression jusqu’en 2035), la durée de vie s’allonge et le rapport cotisant par retraité de droit direct passerait de 1,7 en 2021 à environ 1,3 en 2070.

Qui va assurer les pensions de retraite de demain quand celles de nos enfants et de nos petits‑enfants relèvent du mirage ?

Alors qu’au terme de l’année 2023, le déficit public atteignait 5,5 points de produit intérieur brut (PIB) – excédant de 0,5 point la prévision initiale ‑, l’année 2024 marquerait une nouvelle étape sur la voie de la dégradation continue de nos finances publiques, le déficit public connaissant une nouvelle aggravation de 0,6 point de PIB, qui le porterait à 6,1 points de PIB, ce dérapage représentant une dégradation de pas moins de 51 milliards d’euros (cf. rapport n° 468, Tome I, p. 60, 19 octobre 2024)

Alors que de 2017 à 2024, l’endettement public a augmenté de 1 180 milliards d’euros, la charge de la dette de l’État est attendue à 54,9 milliards d’euros en 2025 pour atteindre 60,1 milliards d’euros en 2026 et 69,6 milliards d’euros en 2027, au risque d’en faire le premier poste du budget de l’État.

Autant dire que dans ce contexte, le krack de la dette menace et qu’il est essentiel de faire toute la lumière sur la situation financière des régimes de retraite.

Quelle est la situation financière réelle des comptes publics des retraites obligatoires ?

Quels sont les régimes les plus déficitaires ?

Quel est l’impact réel des déficits retraite sur le déficit et la dette publics ?

Telles sont les questions essentielles qui doivent être posées dès maintenant tant la pérennité du système et le redressement des finances publiques exigent la transparence sur la situation réelle.

Tel est, Mesdames, Messieurs, le sens de la proposition de résolution suivante que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 de son règlement,

Considérant la situation très préoccupante des comptes publics français ;

Considérant la nécessité d’identifier les causes structurelles de la dégradation du déficit budgétaire et de l’accroissement de la dette publique ;

Considérant l’impact démographique majeur sur notre système de retraites, le nombre de retraités passant de 17 millions en 2021 à 24,5 millions attendus en 2070 ;

Considérant l’allongement de la durée de vie ;

Considérant que le rapport cotisant par retraité de droit direct passerait de 1,7 en 2021 à environ 1,3 en 2070 ;

Considérant que les retraites sont financées à 21 % par la dette publique, soit 71 milliards d’euros en 2021 ;

Considérant que toute la transparence doit être faite sur la situation réelle des comptes publics des retraites obligatoires ;

Invite le Gouvernement à commander, dans les meilleurs délais, un audit financier indépendant des comptes publics des retraites obligatoires.